Sarajevo assiégé - Patrick Artinian (Libération) |
Non, je ne vais parler ni du roman de Colum McCann, ni du poème de Tennyson dont est tiré le titre (découverte du jour).
Non, je fais directement référence à notre monde et sa course folle, au sens littéral de la phrase et des mots qui la composent.
L'objectif d'un mémorial (tourner la phrase au singulier pour éviter de mettre mémorial au pluriel -mémoriaux ce n'est clairement pas joli comme mot) est de se souvenir, mais force est de constater qu'on n' apprend rien ni du passé, ni des erreurs des autres, encore moins quand on part du principe qu'on a "sauvé l'Europe".
J'ai un gros doute sur cette histoire de mémorial au final.
Est-ce que cela ne finit pas par mettre en valeur les armes, les tanks, les jeeps bien équipées... tout l'attirail pour détruire? Et notre rôle de héros : finalement celui qui a raison c'est celui qui gagne.
Celui de Caen est bien fait.
Immersif, documenté à souhait, il intéresse tous les âges, on y passe facilement des heures, on a l'impression d'en savoir plus sur l'histoire, de se cultiver... bref de ne pas voir perdu notre temps.
J'adore la salle immersive à droite en rentrant (c'est aidant ça comme indication !) : celle de l'histoire du 20ème siècle. Il y a une salle de cinéma, ronde, on est y debout, les images défilent en hauteur, on ne sait plus où donner de le tête : le début du siècle, l'assassinat à Sarajevo de Franz Ferdinand, la première guerre mondiale, la montée du front populaire, du communisme, la crise de 29, la montée du nazisme, la 2ème guerre mondiale, la guerre froide, et toutes les guerres ensuite (Indochine, Vietnam, Corée...) celles qui sont le choc de deux visions du monde, le mur de Berlin, Lech Walesa, le printemps de Prague, les grondements des pays Baltes, la chute du mur... l'histoire s'arrête de nouveau à Sarajevo avec la fin de la guerre dans les Balkans (ou l'ex Yougoslavie) en 1991.
Il y a toute une partie qui m'émeut , c'est celle que j'ai vécu, les bribes dont je me rappelle enfant, les morceaux qu'adolescente ou jeune adulte je n'avais pas attrapés, et les liens que je n'avais pas faits.
Je sors de là chamboulée, le truc a fait son effet.
J'en sors aussi ébranlée : ce n'est pas : aux animaux la guerre, mais
aux hommes la guerre
est la pensée qui me reste.
On le sait, les hommes font l'histoire, ils font surtout la guerre.
Dans tout le 20ème siècle, pas une seule femme parmi ces grands guerriers.
Les femmes sont dans les photos des victimes, avec les enfants et les personnes âgées.
Les femmes sont les infirmières américaines venant soigner les blessés européens au côté des sauveurs américains.
Il faut attendre 1987, pour que dans un meeting politique on voit une femme : elle est de dos dans le public d'une rencontre Gorbatchev - Reagan. Elle n'a pas de visage dans cette unique image. C'est la seule présence féminine aux côtés de ceux qui font l'histoire.
Je ne sais pas d'où vient l'expression aux animaux la guerre , le titre d'un livre de Nicolas Mathieu (que évidemment je n'ai pas lu, mais qui encore une fois sonne à côté de la plaque).
Les animaux ne font pas la guerre.
Ils se battent parfois pour une question de qui est le chef (et c'est bien un truc de mâle), et par exemple les loups se régulent très bien, ne se multiplient pas quand le territoire ne produit plus assez pour vivre et se developper. Ils ne vont pas tuer la meute à côté pour le leur piquer
La boucle de l'histoire du 20e siècle présentée au mémorial de Caen commence et se termine à Sarajevo.
Il y a un an, à cette époque, j'étais à Sarajevo. La boucle est loin d'être bouclée ni dans la ville, ni dans le pays et ni avec les voisins (Serbie, Croatie en particulier). Ce coin est une poudrière en puissance, confetti administratif en multicouches de gouvernements, des lois s'appliquant différemment dans tel ou tel quartier selon qu'il est à majorité musulmane, chrétienne ou orthodoxe. Tout cela sous la responsabilité d'un administrateur nommé par l'Europe qui valide tout.
Sans compter les traces de la guerre, et du siège présentes sur les murs, et dans les mémoires.
C'était il y a 30 ans. C'était à nos portes et nous n'avons rien fait. Ou pas suffisamment.
C'était le moment de l'éternel débat (toujours pas réglé) du droit d'ingérence cher à Kouchner (le hasard du timing veut qu'il faisait des grands discours sur le droit d'ingérence au moment où il aurait du un peu plus s'ingérer dans la vie de son fils qui était violé par son beau-père Olivier Duhamel à la même époque ).
Aujourd'hui nous avons aussi à nos portes l'Ukraine et Gaza.
Nous ne parlons plus du droit d'ingérence.
Nous avons l'impression d'agir soit parce qu'on livre des missiles soit parce qu'on demande (poliment) d'arrêter de bombarder et de laisser passer l'aide humanitaire.
Mais l'histoire se répète. Les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Tout est déjà au Mémorial de Caen.
La ville du Havre "libérée" après les bombardements ressemble à s'y méprendre à Gaza. De là à penser que Gaza est "libérée"...
On a les mêmes images de victimes : des civils, des femmes, des enfants.
On a toujours des visions du monde qui s'affrontent et contrairement aux loups on s'entretue pour prendre le territoire de l'autre ou écraser ce qui nous semble différent. Ça ne s'est pas arrêté en 1991 à Sarajevo, après il y a eu la Crimée, la Tchétchnie, la Russie, demain la Georgie ...
On a les même à la manoeuvre : des hommes (sans majuscule aucune), qu'ils se nomment poutine, nétanyahou, biden, macron et tous les autres.
On a les mêmes hommes en première ligne qui font des démonstrations de gros bras et de joutes verbales et dont les seules actions se résument à évacuer des étudiants de Sciences Po et des migrants du centre ville à la veille des JO, parce que "les JO ce n'est pas de la politique".
Le mémorial nous rappelle (c'est son rôle) que si les JO n'étaient pas de la politique, alors ils n'existeraient tout simplement pas.
Il suffit de s'intéresser aux JO de 1936 et la victoire de Jesse Owens devant l'aryen (son nom n'est pas passé à la postérité ), de ceux de 1972 avec la prise d'otages d'athlètes israéliens par ... des Palestiniens (does it ring a bell?), de ceux de 1996 à Altanta, des démonstrations USA vs CCCP (comme c'était écrit en TRES GROS sur les dossards quand j'étais enfant) : on savait très bien qui était Nadia Comanči et qu'elle était du côté des "méchants" même si elle était la meilleure et qu'on l'admirait. On savait très bien qui était qui entre RDA et RFA, aucun risque de les confondre. Les JO sont juste la représentation de cette "guerre" déplacée sur le tapis de gymnastique, le ring de boxe, la ligne de course...
Tout est déjà au Mémorial de Caen.
Et nous sommes de nouveau en haut de l'escalier du mémorial : le long chemin vers la guerre (à gauche en entrant !)
Le mémorial ne nous apprend qu'une chose : nous sommes prêts à recommencer.
Commentaires
Enregistrer un commentaire