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Vivre en poésie

Dîner à l'arbre vagabond

Il y a un an à cette époque de l'année, je recevais une carte postale avec quelques lignes de Ito Naga, que je ne connaissais pas. je me suis émue de sa poésie. Comment aurais-je pu faire autrement ? 
D'autres que moi ont tissé des liens entre Ito Naga (j'adore la sonorité de ce nom), les Editions du Cheyne, une implantation géographique, un festival de lecture et des gens que j'aime... ou devrais-je dire : ont lancé leur filet et m'ont (forcement) attrapée? 
je sens n'est pas je sais 
je sens décrit l'autre moitié du monde 
Ito Naga- Je sens
Je ne pouvais pas ne pas y aller. 
Je ne pouvais pas ne pas aller là où se mêlent amitié, poésie, librairie et... cerise sur le gâteau :  montagne. Je suis assez facilement cernable. Une proie facile.
Laissez-moi dans une librairie j'y passe du temps.
Laissez-moi dans une libraire dédiée à la poésie j'y reste longtemps. 
Laissez-moi dans le coin poésie d'une librairie à dîner avec des amis, j'y passe l'éternité 
Laissez-moi là, avec de la neige dehors, du thé et un recueil d'Ito Naga, je peux y mourir (en paix).
je sens que l'autre moitié du monde évoque la face cachée de la lune. Il y a d'autres possibilités.
je sens manque parfois de mots pour décrire les autres possibilités
Ito Naga- Je sens
Je suis donc allée dans un coin reculé de France, sans TGV, peu de TER et à peine une autoroute. Entre la Haute-Loire et l'Ardèche. Je n'avais pas beaucoup d'imaginaire de ce coin,  si ce n'est la notion de paumé, qui peut recouvrir beaucoup de choses je vous l'accorde, à commencer par un tropisme parisien.
Paumé génial, comme les Hautes Alpes, comme tous les coins reculés de montagne - non je ne suis pas chauvine ; ou paumé nul, comme la Beauce, la campagne plate, les endroits où il n'y a rien selon moi, c'est à dire sans bons trucs à boire ou à manger et surtout sans librairie. Rentrent dans cette catégorie l'image que je me fais de Vierzon, Vesoul, la Picardie... , ne rentrent pas dans cette catégorie le fin fond du Jura, les Cévennes, l'Aubrac... Tout est affaire de représentation, nous sommes d'accord.
Paumé donc, et j'ai découvert une ville, une vraie avec 2 librairies (deux! et en plus une maison de la presse), un cinéma et un musée, sans oublier ni le magasin Bio ni le caviste. 
Un endroit où il fait bien vivre, agréable et payé, presque la définition du paradis.
Un endroit animé : soirée vernissage de deux artistes une peintre et un sculpteur. Pas vraiment des amateurs, les artistes. Les peintures en disent long sur le paysage alentour,  ramènent dans la salle et à travers la scénographie le relief, le vivant, la météo. 
Aujourd'hui, chez moi,
l'extérieur est dedans
et le verbe sortir signifie
regarder
Anna Milani - Géographie de steppes et de lisières
Nous sommes dans le paysage, nous sommes le vent sur le plateau, le brouillard sur la neige, le blé en train de murir, le sapin qui porte la corneille...avec un verre de vin à la main et des trucs à grignoter. Comme l'artiste peintre est la voisine d'en face, elle est accessible. Le maire est le gars qui m'a parlé devant un tableau, le scénographe est celui qui était derrière le cubis de vin. Ils se connaissent et par ricochet te parlent. Et c'est sympa, c'est plaisant à regarder, et même d'en faire partie  - pour une soirée. Trop de liens sociaux dans une même pièce, pour moi, serait un peu étouffant si c'est souvent. Ce soir-là, c'est chouette, je n'appartiens pas et je ne suis de passage.

Une séance cinéma et débat, le lendemain, avec la venue sur place du libraire et de sa sélection pointue , la BD sur le remembrement (Champs de Bataille, l'histoire enfouie du remembrement de Ines Leraud et Pierre Van Hove) et le parlement de l'eau de Wendy Delorme. Que des ouvrages que j'ai envie de lire, je me retiens ce jour-là du passage à l'acte d'achat.
Il marche longtemps conte un
poème qu'il ne gardera pas. La
solitude en a perdu son sens de
l'orientation. Il possède toutes les
cartes, mais quoi au bout? un livre.
Albane Gelée - je tu nous aime
Tout ça dans un paysage de montagne, de vallées, de sommets, des lieux où le regard ne se noie pas à l'horizon, mais caresse les reliefs, glisse sur les pentes, remonte vers des hauteurs (modestement, nous ne sommes pas dans les Alpes) se coule dans un ruisseau, craque le gel du matin dans l'herbe. Un endroit où l'air est sec, vif, frais ; où, si le ciel est dégagé, il est ouvert, où les arbres sont des sapins sombres accrochés au ciel. Les maisons sont noires, les pierres sont sombres, parfois volcaniques, on imagine les murs épais, les gens reclus, les poêles allumés, l'odeur du feu. 
Je suis dans un roman : la gloire des Pythre de Richard Millet ou la langue des choses cachées de Cécile Coulon.
Le jogging du matin n'a rien en commun avec les tours de piste au stade parisien, il traverse les coins à champignons, ceux que nous allons ramasser, trier et manger dans le week-end. 

C'est la première fois de ma vie que je ramasse des champignons. 
Pas la première fois où je vais en promenade pour ramasser des champignons.
Pas la première fois où j'en cherche. 
Oui, je suis déjà allée en sortie champignons sans les chercher.
Mais la première fois où j'y vais, avec l'intention de les chercher et où effectivement j'en trouve. 
Je ne sais pas ce qui relève du miracle, de l'intention et de l'attention portée à la chose. 
Ou tout simplement de l'envie de les manger ensuite ?
elle 
a commencé par enlever le couvercle
et puis tout doucement elle
est sortie de son bocal
Albane Gelée - je tu nous aime
Grand moment du week-end, but ultime de voyage presque : aller dîner dans cet endroit qui mêle librairie, restaurant, art et poésie.  L'arbre vagabond est un lieu pour moi (et pour beaucoup d'autres certainement) : je ne saurai pas le décrire correctement. 
C'est une librairie, peu commune, avec des ilots, des pièces dédiées à ... la fantaisie du libraire , son affaire de goût, ses ailleurs, son rapport à la Terre.... La littérature est rangé son imaginaire du dernier refuge de l'homme libre.  Avec un choix réduit d'ouvrages, soigneusement choisis. Un espace dédié aux voyages, des récits plus que des beaux livres de photos. et d'autres encore par un agencement peu commun qui nous promène de fait dans une façon d'explorer les livres. Loin de la Fnac, pas de rayon poche ou polars ou enfance. Plus proche de mon rangement par couleur et par autrices fétiches, ou thématiques (j'ai une étagère : littérature féministe, des essais, de la fiction...). On y déambule pour s'y perdre et se retrouver avec des choses qu'on aurait pas rencontrées sinon. 
Evidemment, il y a des oeuvres accrochées au mur, les artistes tournent. 
elle
ses larmes couleraient comme de
l'eau courante si elle ne les empêchait pas
Albane Gelée - je tu nous aime
Mon coin favori est celui de la Poésie. C'est un recoin, il y avait une table, elle fut pour nous, pour y diner. 
Dans le recoin Poésie, toute la Collection des Editions du Cheyne, des couleurs, des auteurs, des formats étonnants, des écritures détonnantes. 
Peu de classique au final (on évite Ronsard ce vieux charo comme dirait mon iAdo,  charo = charognard = coureur de jupons dans le mauvais sens du terme), mais on y trouve Rupy Kaur. 
mais la magie 
ne fonctionne pas ainsi
la magie n'opère pas
parce que j'ai trouvé comment
caser plus de travail dans une journée
la magie opère 
par les lois de la nature
et la nature a sa propre horloge
la magie opère
quand nous jouons
quand nous nous échappons
rêvons et imaginons
c'est là que tout
ce qui pourra nous combler
nous attend à genoux 
Rupy Kaur - home body
Bonheur et perdition comme endroit pour moi. Comme un opiomane dans une fumerie.
Je n'y ai pas passé le nuit, j'y ai juste dîné. C'est aussi un très bon restaurant, local et de saison, peu de tables, disséminées dans les différentes pièces et recoins de la librairie. Pas de bruit, pas de voisins et en tendant le bras, je pouvais prendre des livres et lire des poèmes entre deux plats. Le vin était très bon, le serveur agréable.
Que demander de plus?
je sens par moment comme un diamant brut sans faire toute une phrase  - Ito Naga Je sens
Un moment au coin du feu, après avoir trié les champignons, après avoir épluché les châtaines, et avant l'apéro pour savourer le recueil-histoire de Albane Gelée Je tu nous aime à disposition dans la maison qui nous reçoit. Un regret de ne pas le posséder pour le relire à l'envie.
elle
allait si vite, alors que c'est si long
de comprendre. Est-ce qu'elle va
ralentir ?
Albane Gelée - je tu nous aime






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