Georgia O'Keefe par John Loengard (1967) |
Des fleurs. On m’a dit que j’allais y voir des fleurs. C’est aussi ce que présente l’affiche et le catalogue de l’exposition, et le numéro spécial de connaissance des arts, et tout le reste …
Des fleurs. Qu’on peut imaginer comme des sexes féminins, exposants en grand des vulves, des clitoris, représentées en rouge parce que finalement en rouge c’est encore plus sexuel, non ?
Ce n’est pas ça qu’on voit. Ce n’est pas uniquement ça, et c’est très peu ça, finalement. Peu de fleurs parmi tous les tableaux exposés, et ce ne sont pas les œuvres les plus impressionnantes, ni les plus belles, ni les plus émouvantes. Elles ne sont qu’une « phase » dans l’œuvre de l’artiste, (si c’était un homme on dirait « sa période fleur ») et surtout on ne le réduirait pas à ses fleur-sexes. Elle réfute d’ailleurs le lien entre les fleurs et la sexualité féminine. Il faut bien un regard dominant, une vision étroite pour réduire l’œuvre de Georgia O’Keefe à des fleurs métaphores allégoriques du sexe féminin.
Peut-être parce qu’on pense encore qu’un femme artiste au 20è siècle n’était capable que de peindre des fleurs et la nature qui l’entoure ? Et d’être aveugle inconsciente au fait qu’elle représentait des sexes féminins certainement liée sa sexualité non assumée ? Ou parce qu’un homme comme Stieglizt, photographe de renom, amateur d’art, dégotteur de talents et galeriste reconnu était aussi pétri de psychanalyse (signe d’avant -gardisme à l’époque) ? Il écrit :
Les dessins de Melle O’Keefe sont d’un intérêt criant du point de vue psychanalytique. 291 (ndr : le nom de sa galerie) n’avait jamais vu une femme s’exprimant si librement sur le papier »
Ça fait parler les critiques, venir les amateurs et vendre les œuvres.
Georgia O’Keeffe riposte à cette lecture sexuellement déterministe de sa peinture. Son ambition artistique excède et de loin l’affirmation d’une féminité qu’elle revendique par ailleurs politiquement en rejoignant en 1913 le National Woman’s party.Elle persiste, elle peint des fleurs, a conscience des rapprochements qui sont faits, s’en moque et les considère comme dérisoires, son message va bien au delà. La trace qu’elle veut laisser n’est pas là. C’est pourtant celle qu’on met en avant presque 100 ans après. Encore aujourd’hui, ça fait venir les gens dans les expositions.
Et pourtant l’essentiel de l’oeuvre n’est pas là.
C’est le regard, c’est l’abstraction, c’est l’infiniment petit qui est représenté en grand,
Black Lines 1916 |
l’infiniment grand concentré en quelques lignes et couleurs sur un espace fini, c’est un paysage reproduit en trois couleurs et si peu de formes. Ce sont la chaleur, les odeurs et les couleurs qui reproduisent des sensations. C’est un monde qui nous est révélé.
Cette exposition est définitivement trop petite. Les pièces sont étroites, il y a peu de recul pour regarder les tableaux, en avoir une vision d’ensemble. La série de photos est projetée dans un couloir impossible de profiter des photos prises par Alfred Stieglizt, par Ansel Adams, et bien d’autres, de Georgia. Elles sont pourtant magnifiques les photos. Et Georgia surtout.
Le podcast fait par le centre Pompidou pour l’expo est le bon dosage entre l’audio-guide et la longue lecture avec tout un tas de gens sérieusement attentifs aux explications écrites au début de chaque espace. Et il a l’immense avantage de nous rendre sourds aux commentaires des visiteurs devant les tableaux. La remarque intello-bobo du visiteur du vendredi midi à Beaubourg n’est pas indispensable. Le silence, la musique, les paroles, les pensées de Georgia sont, elles, la clé de ce qui drive, ce qui inspire, ce qui meut Georgia O’Keefe et qui l’amène à créer ce qu’elle nous livre là.
East river from Shelton Hotel - 1928 |
J’ai adoré ces peintures abstraites, ses représentations de New York, de Lake George, les paysages, les ossements…
La période que je préfère c’est quand elle s’installe au Nouveau Mexique, après la mort de Stieglitz.Elle raconte qu’elle dort sur le toit de sa maison, par-dessus tout elle s’endort sous les étoiles et se réveille avec le ciel. C’est émouvant : elle raconte ça dans mes oreilles et je vois dans la dernière salle « cosmos » ce qui l’entoure. A ce moment précis, je suis là-bas, moi aussi sur le toit de sa maison d’adobe, moi aussi dans la chaleur, moi aussi dans ces couleurs.
Et en ce vendredi d’octobre, ça me fait chaud au cœur.
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