Le nombril du monde @Lyon |
Je déteste les carrés quatre dans le train. Même en première.
Et pourtant cette semaine, j'ai sciemment pris mon billet sachant que je serai assise dans un carré quatre. Près de la fenêtre (pour avoir accès à la prise), mais un carré quatre tout de même.
Je suis bêcheuse, princesse-au-petit-pois tout ce qu'on veut, mais au troisième jour de déplacement je suis tout de même prête à voyager dans un carré quatre plutôt que de prendre le train suivant deux heures après. Une vrai princesse au petit pois aurait, elle pris le train de 18h45 au lieu de 16h45.
J'étais bougon à l'idée de ce carré quatre en montant dans le train.
Forcement.
Qui a envie de se retrouver avec trois autres hommes (en première beaucoup d'hommes, je fais des stat') ventrus en costard, qui sont susceptibles de sentir soit la cigarette, soit la transpiration?
Pas moi.
Ça n'a pas loupé, un sac à dos (un truc de bobo genre de la marque Rains) était posé sur mon siège quand j'arrive au fameux carré quatre de la voiture 1.
Le sac à dos très mode a été prestement enlevé par le jeune homme en face, sourire ravageur, qui m'a lancé un grand bonjour, avec des grands yeux clairs derrière ses lunettes. La trentaine avancée, grand touffe de cheveux peu disciplinée, veste polaire The North Face aux couleurs des années 80 sur un T-shirt d'une Université américaine.
Un accueil qui a baissé drastiquement mon niveau de bougonnerie.
Un accueil qui m'a presque fait regretter d'avoir 25 ans de trop.
L'espace d'un instant j'aurai aimé être plus jeune ; dans cet infime instant j'aurai presque eu envie d'engager la conversation.
Cet instant n'a duré que le temps que le 4ème passager du carré quatre arrive, à côté de moi.
Cet instant n'a duré que le temps que je mette mes écouteurs pour travailler.
Et il s'est reproduit.
Quand je lui ai tapé dans les pieds en prenant mes affaires. Il me regardait et m'a souri. J'ai cru bon de préciser :
- je vous promets que je ne vous fais pas du pied.
Je n'aurai pas eu mes écouteurs, il aurait été tenté d'engager la conversation.
Dans un vie parallèle, j'aurai pu enlever mes écouteurs.
Dans une vie parallèle, je lui aurai demandé quelle était cette Université sur ton T-shirt, au lieu de la googliser (le mot existe?). et me rendre compte que c'est une Université privée jésuite.
Dans une vie parallèle, il n'aurait pas eu un bébé en fond d'écran de son téléphone.
Sur le trajet de plus de trois heures, j'ai eu son genou contre le mien, ses pieds dans les miens plus souvent que ce qui est politiquement correct.
Il est grand, ses jambes dépassent de la moitié qui lui est dévolue. Je m'en suis trouvée à m'assoir en tailleur sur mon siège.
Il a aussi travaillé, de façon très expressive, s'est marré tout seul, s'est agacé à ce qu'il lisait, a beaucoup regardé ce que faisait son voisin, a du m'épier aussi, vue l'intensité qu'il mettait à son voisin, j'ai probablement bénéficié de la même. J'ai eu droit à beaucoup de sourires dès que je levais les yeux de mon écran, j'ai eu droit à ces yeux intensément lumineux, à ce truc qu'il dégageait et qui me donnait en vie d'enlever mes écouteurs (si j'avais été plus jeune).
Et bonheur....
Mon voisin de droite est parti avec ses affaires, et lui, le charmeur jésuite avec un bébé en fond d'écran, en face de moi avec ses grandes jambes, aussi, a pris son PC sous le bras et a disparu.
C'est comme ça que le carré quatre devient supportable : quand ton voisin de droite et ton voisin d'en face filent à la voiture bar.
Crise de bonheur quand le 3e dans ma diagonale s'est aussi éclipsé, longtemps.
Une partie du voyage seule dans un carré quatre.
C'est même mieux qu'une vie parallèle où je suis plus jeune, sans mes écouteurs.
Quand je raconte ça à mon iMari, qui est tellement pragmatique : pourquoi être plus jeune? Il fallait juste enlever tes écouteurs pour lui parler.
Il a raison.
Mais alors il n'y aurait pas eu la possibilité d'une vie parallèle.
Et alors il ne serait pas allé à la voiture bar avec son PC sous le bras.
Et alors je n'aurai pas joui du carré quatre à moi seule.
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