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Malaise alors, malaise encore

Godreche et Durand par Télérama


"Elle fait chier Judith" aurait dit en privé Lou Doillon.
Ben oui. 
Forcément.
Et elle trouve un écho avec Edouard Durand, le juge, ancien président de la Civise.
Et elle a un appui de Camille Kouchner, dont le conjoint ne l'oublions pas est le président du journal le Monde.
Elle a raison Judith. 
Même si elle dérange tout le monde, pas juste le monde du cinéma, mais aussi les critiques et les spectateurs. 
Nous tous.
Moi y compris qui ai vu ces films,
Tous ceux qui ont crié au miracle, au génie, de ces films-là., qui ont adulé ces réalisateurs là, alors qu'au final ce n'était juste que des criminels qui étalaient au grand jours leurs crimes. C'est la meilleure façon de les cacher. Etaler au grand jour ce qu'on veut cacher.
Et ces films là c'est toute une époque. Il n'y en pas qu'un. On pourrait certainement en faire une anthologie, je ne suis pas une grande cinéphile, mais je me rappelle de quelques uns qui m'avaient dérangée.

Le premier était L'effrontée en 1985, film de Claude Miller avec Charlotte Gainsbourg et Jean-Philippe Escoffier.  J'ai le même âge que Charlotte Gainsbourg : en 1985 nous avons 14 ans. Je la trouve super dans ce film, je rêve de marinière bleu, de me faire coiffer dans un salon Jacques Dessanges (je l'avais vu au générique) et d'avoir de longues jambes qui dépassent de mon short. Je me trouve très timorée en comparaison d'une Charlotte qui ose tout dans le film, jusqu'à avoir une histoire avec Jean, joué par JF Escoffier. Ma mémoire me fait défaut, je ne sais plus si elle l'embrasse, si elle couche avec lui , si elle fleurte avec lui... les faits m'échappent, la sensation reste : ça me dégoute un peu cette histoire à 14 ans avec un adulte mais je trouve que ça fait "grande". Je ne me rends pas compte à l'époque que l'acteur a 12 ans de plus qu'elle, quasiment le double de son âge. Mais je le trouve vieux et à 14 ans il est trop vieux pour que j'en rêve.

Charlotte est déja grande pour son âge, elle chante Lemon Inceste avec son père depuis un an déja. Je n'aimais pas trop la chanson non plus, les mots me gênaient, je ne voulais pas les fredonner, j'aimais encore moins le clip vidéo qui me mettait très mal à l'aise. Mais comme personne autour de moi ne disait rien j'en avais conclu que j'étais prude et qu'il n'y avait rien de mal à voir là-dedans.

A la même période, sa mère (Jane Birkin) est avec Jacques Doillon qui filme deux ans après La fille de 15 ans, c'est sur ce tournage qu'il viole Judith Godrèche, cette dernière à l'âge de Charlotte qui vit avec sa mère, c'est à dire  sous le même toi que Doillon. Et sa fille, Lou Doillon a 5 ans. 

En 1989, j'ai dix huit ans, je vais voir Noces Blanches, de Jean-Claude Brisseau. Les rôles sont carrément inversés : le professeur de philosophie marié et stable dans sa vie interprété par Bruno Cremer - né en 1929 - est sous le charme du personnage joué par Vanessa Paradis (née en 1972). 
Au moment du tournage, Vanessa Paradis n'a pas 18 ans et lui en a déjà 60. 
Entre temps, des voix se sont élevées contre lui, on connait l'ambiance des plateaux de Brisseau,  il a eu de nombreuses accusations de violences sexuelles de la part des actrices -  pas Vanessa Paradis (qu'on n'a d'ailleurs jamais entendu lors de l'affaire Johnny Depp). 
Ce film me perturbe, une fois de plus je trouve l'héroïne très libérée, je me trouve timide voire timorée à côté d'elle. Je me dis que si j'étais plus mûre, moi aussi je serai attirée par des hommes plus murs. Mais en même temps je préfère les gars de mon âge, je me marre plus et je trouve ces vieux messieurs vaguement dégoutants une fois de plus.
Sans trop oser le dire, ça pourrait faire de moi une mijorée.

L'année suivante sort La désenchantée de Benoit Jacquot. 
Judith Godrèche a alors 18 ans sur le tournage, ça fait déja quatre ans qu'elle vit en couple avec le réalisateur. On le sait : les critiques que je lis en parle. Je trouve qu'elle est carrément émancipée, et le film carrément progressiste. Je me sens rétrograde de penser que ce n'est ni normal ni crédible qu'une jeune fille tombe amoureuse d'un homme aussi âgé ...
Ça fait de moi une provinciale traditionnelle. Encore une fois autour de nous, personne n'est choqué par l'histoire. Ou si, mais personne n'en parle. Ni moi, ni les copains qui vont au cinéma. Ni les critiques. 
Il n'y a pas la Denise Bombardier du cinéma. Si elle existe je suis passée à côté. Je suis d'ailleurs passéE à côté de cette émission Apostrophe où elle est la seule à s'insurger contre Matzneff

Quand enfin je raconte ça aujourd'hui, que j'en parle avec mon iMari  : il me dit c'est dingue que j'ai pensé que c'était moi le problème. Lui ne se rappelle pas des films, qu'on a vu ensemble pourtant. Il ne se rappelle pas non plus l'impression. Alors que moi l'impression de malaise est restée, bien plus net que les histoires.
Le même silence dans le public qu'au cinema : personne ne dit rien, personne ne semble choqué. Et comme je suis seule, je me sens seule, je ne dis rien. Moi aussi, il me faut des années pour dire que ces films m'ont dérangée. C'est exactement ça le deni social dénoncé par Edouard Durand (tract Gallimard)

Ces jeunes femmes de l'époque Judith, Charlotte, Vanessa (et bien d'autres certainement) puis Lou ensuite ont du voir, vivre et subir de drôles de choses pour mener leur carrière, pour (sur)vivre dans leur famille -  au sens littéral - et celle "du cinema". 
Alors oui "Elle fait chier, Judith" parce que toutes alors doivent se remémorer les violences auxquelles elles ont eu droit, elles doivent affronter leur père, leur beau-père, leur réalisateur, en se disant que leur carrière est construite sur la violence et l'emprise et pas uniquement sur leur talent. 

Votre talent ne réside pas uniquement dans le fait d'avoir tenu bon face à ce déferlement de violences sexuelles, votre talent est d'être là aujourd'hui, devant nous. 
Parlez mesdames, laissez tomber les mythes de vos pères, arrêtez de nous raconter le génie Gainsbourg, le cinema d'auteur ... 
Parlez-nous de vous. Parlez-nous de votre douleur, de votre souffrance, de ce qui n'était pas "normal".
Ne faites pas comme moi à l'époque qui ne dit rien de son malaise face à ces histoires et ces images.
Vous êtes nombreuses, parlez ensemble.




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