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I don't love happy endings



Elle n'a pas pu s'empêcher. 
C'était trop tentant. 
Ou alors elle se dit que la période est tellement morose avec si peu de quoi se réjouir.
Elle n'a pas su s'empêcher. 
Elle a terminé son livre avec un happy ending.
Ce n'est pas comme le guilleret film We love happy endings avec le très sexy Stanley Weber.
Le titre est sérieux. 
Il m'a été recommandé par plusieurs personnes, des gens sérieux en littérature.
Et pourtant La décision a un goût de "tout va mal mais finit bien" parce qu'il faut s'en remettre à la fin : nous lecteurs aussi bien que les personnages.

J'avais déja eu cette sensation bizarre en lisant Les choses humaines. Ses personnages se retrouvent dans des situations paradoxales  - qui opposent deux réalités contraires. Dans Les choses humaines, Karine Tuil s'était inspirée de l'histoire du procès d'un étudiant pour le viol sur le campus de Stanford de Channel Miller en 2016 (merci Wikipedia pour la date). Il y a un épisode (#106) du podcast La Poudre avec Channel Miller. Elle y raconte son histoire, l'analyse qu'elle en fait quatre ans après les faits. Ce qui m'avait marqué, c'est la remarque du père de l'étudiant coupable à l'énoncé de la sentence (6 mois)  : 
a steep price to pay for 20 minutes of action out of his 20 plus years of life. 

Le juge avait voulu "minimiser l'impact sur son potentiel d'étudiant" (étudiant sportif, nageur de mémoire).
De l'impact sur la victime de ces 20 minutes d'action, pas un mot.
Dans Les choses humaines, des éléments sont repris et notamment l'argument du père du coupable. Ce que l'autrice a mis en scène de particulier c'est que la mère de la victime est en couple avec le père du coupable. Il y a donc l'affaire du viol, du consentement, de la caractérisation des faits, et la relation entre les deux parents défendants chacun leur enfant. 
On peut se dire que la situation n'est pas courante et qu'une solution est vite trouvée : le couple se sépare et chacun défend son enfant. Ce qui aurait été plus difficile, singulier, critique, confondant, confrontant et merdique c'est ce qu'il se passe quand c'est un frère qui viole sa soeur. et que les parents sont à la fois les parents de la victime et du coupable. 
La situation met en abîme, mais elle est tellement plus courante et plus paradoxale aussi. Bon je m'égare, ce n'est pas le livre qu'a écrit Karine Tuil.

Elle remet en scène ce même paradoxe dans La décision (ne changeons pas une recette qui gagne). Elle (re)met en couple  - adultère cette fois  - une juge de l'anti-terrorisme et un avocat de la défense (qui défend donc des terroristes). 
Le triangle est alors : le terroriste potentiel (qui rentre de Syrie et qu'on enferme à titre préventif  - je ne savais même pas qu'on pouvait faire ça), l'avocat du terroriste putatif qui plaide pour sa libération ("on a rien contre lui"), la juge qui peut décider de le libérer avec une simple signature (deux en fait avec un collègue, avec qui elle a plus ou moins eu une histoire).
Un autre triangle  : la juge, son mari, son amant.
Un dernier, pour la route : la juge, sa meilleur amie , son pourfendeur.
La juge et l'avocat ont une histoire "intense" et je spoile tout : le terroriste sort de prison et réalise son potentiel de terroriste.
Le titre nous porte à croire que La décision est celle de la juge : est-ce que je libère ou pas ce gars alors qu'il risque de commettre un attentat ? 
Elle élabore longtemps sur le système des peines, comment la juge se forge son idée, quelle est la procédure pour cette décision , le lien avec l'enquêteur, la discussion entre pairs, les deux signatures... Auscultation du processus de décision.
Que néni. 
Des décisions il y en a partout, à tous les niveaux et celles du roman ne sont pas toujours aux bons endroits.
La décision de quitter ou pas son mari. Pas forcement pour son amant, mais pour elle même déja.
- Je veux divorcer, non pas pour et homme mais pour moi-même, je ne veux plus me contenter de cette vie, mais j'ai peur de tout détruire, de regretter, de tout perdre. J'ai peur en fait de prendre une mauvaise décision.
- Le risque de prendre une mauvaise décision n'est rien comparé à la terreur de l'indécision.
Karine Tuil - La décision 

La décision de vivre avec son amant - ou de prendre conscience que c'est l'amour de sa vie (un avocat de la défense ? )
La décision de se dire que pour la justice et l'interêt collectif elle se retire du dossier et elle le confie à quelqu'un qui ne couche pas avec la partie adverse.
La décision de se dire qu'elle n'est pas toute puissante et que les liens affectifs, charnels, sexuels affectent les décisions
Je ne voulais plus m'exposer à l'instabilité. Avec lui j'avais découvert que l'amour n'étiat pas seulement cette expérience épanouissante qui vous transcendait mais une aventure pathogène. l'amour avait révélé le pire de moi-même - l'incertitude et ma tension sexuelle avaient produit chez moi une charge agressive que je ne soupçonnas pas ; je m'étais vu changer, dériver lentement vers une zone inconnue dans laquelle je ne pouvais pénétrer sans porter atteinte à mon intégrité psychique, je m'étais vu me départir de ma confiance, de ma vitalité et après avoir cru que j'aurai le courage de divorcer, j'avas pris brutalement mes distances au lendemain de attentats du 13 novembre.
Karine Tuil La décision 
La décision de ses collègues de lui retirer le dossier compte tenu de ces liens avec l'avocat de la défense précisément. Je spoile : personne ne dit rien, personne ne décide, mais tout le monde sait.
La décision de se dire qu'elle ne peut pas décider  dans sa situation. Et qu'elle la confie à d'autres qu'elle.

La voila la bonne décision. Elle se pose peu la question dans le roman. Elle l'effleure à peine. Alors qu'on a des pages sur "quitter ou pas mon mari?". 
Non, ce roman n'est pas sur "je libère ou pas un terroriste potentiel".
Ce roman porte sur les conditions d'une décision qui n'engage pas que nous, qui engage la représentation institutionnelle.
Ce petit gout amer, c'est que l'histoire passe à côté de ça. un peu comme Les choses humaines.
Ce n'est pas la situation paradoxale, c'est le fait que la reflexion effleure le sujet, le manque de peu et me laisse sur ma faim. 
Zut, encore manqué! j'ai envie de dire à Karine Tuil.
Et il y a trente pages de trop. Les trente pages du happy ending. 
Et ils vécurent heureux (ils n'eurent pas d'enfants ensemble, il y a en a déja un mort, un handicapé et des jumeaux qui se gardent tous seuls), n'est pas crédible. 
Et c'est même inutile. Ca fait retomber tout le soufflet, toutes les décisions. Celles qui ont prises, celles qui n'ont été ni prises ni posées.
Nous n'avions pas besoin de ça. Déja qu'on s'est fait rouler sur LA décision, on se récupère une comédie romantique à la fin.
Il aurait fallu prendre la décision de laisser les vies des personnages inachevées.


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