Myr Murater le dispositif @la France sous leurs yeux |
Mais quel c**d!
A peine m'avait il quitté pour passer au voyageur suivant, que je sentais la colère monter. Tout me disant "lache l'affaire, écoute ton podcast, reste tranquille". Je résistais difficilement à la tentation de me lever et d'aller lui dire ce que je pensais de son comportement, là au milieu de la Business Première vide, un vendredi soir à 19h passées.
Nous sommes exactement 10 personnes, la voiture est vide. J'ai réservé ma place isolée, emplacement précieux, d'autant plus lors d'un retour tardif la veille du week-end. J'ai déja raconté plusieurs fois mes déboires en train, les odeurs, les dérangements les instrusions dans mon espace vital. Je surévalue les places isolées, certainement ; il en va de ma santé psychique, si ce n'est mentale.
Je suis donc installée sur mon fauteuil-tout-seul, dans le sens contraire de la marche. Le train démarre, sans arrêt jusqu'à Paris. Cinq minutes après le départ, le gars devant moi change de place, et se met sur un carré quatre, s'étale, son manteau en face, son cartable sur le siège à côté, son livre, son PC... en bon mâle il occupe les 4 sièges du carré quatre à lui tout seul.
C'est exactement fait pour ça.
Je l'ai de ce fait en vis à vis, sans que ce soit vraiment gênant.
De l'avoir en face de moi, me fais réfléchir à moi me déplacer ...
J'hésite encore dix bonnes minutes. Si j'avais su j'en aurai pris dix de plus encore.
Et je me décide, je me déplace de deux rangs - quelle folie! - et occupe à mon tour un carré quatre seule - quelle émancipation vraiment!
Contrairement à mon voisin, je ne m'étale pas, je mets juste mon sac sur le fauteuil à côté de moi, je reste avec mes écouteurs et mon téléphone dans la poche.
Aucune ostentation, ni prise de position sur le carré quatre.
Aucune velléité de conquête.
Le contrôleur arrive. Grand, crâne rasé, baraqué à la mode ancien rugbyman, qui joue en ligne senior bien qu'il n'est que 40 ans à cause d'un problème de genou. Bien évidemment il ne m'a pas raconté tout ça. Je l'imagine, je le sens aigri.
Bien moins poli que tous les autres : ceux du matin, ceux des autres jours.
- contrôle des billets, Madame.
J'enlève mes écouteurs,
- bonjour Monsieur.
Je lui tends mon téléphone pour le billet à scanner.
Ca dure. Plus longtemps, que nécessaire. Il reste planter là, à regarder son appareil.
- il y a un problème ?
- vous êtes à la place 101, Madame.
- oui, ma place est juste là. Ça vous dérange ?
Entre la place de mon billet et la place où je suis assise : 7 sièges vides.
Dans ma tête défile plein de choses défilent, je cherche activement ce qui aurait pu me mettre en infraction :
- Y a t il un arrêt dont je n'ai pas conscience ? non j'ai vérifié, et a été redit au départ du train.
- Mon billet est au départ de Perrache et je suis monté à part Dieu? Il ne peut pas le savoir, c'est le même prix, la dernière fois le contrôleur m'a confirmé que je pouvais monté indifféremment à Perrache ou a Part Dieu.
- Ma carte liberté n'est pas à jour ? Je n'aurai été bloquée à l'achat.
Je cherche toutes les raisons pour lesquelles je pourrais être en faute.
- vous devez rester à votre place.
J'en suis restée bouche bée. Je ne lui ia même pas dit "mais la voiture est vide!"
- vous devez nous demander d'abord l'AUTORISATION, on vous signale les places disponibles. Et ensuite vous changer
Toujours muette. Que dire à une brute épaisse ?
Que j'ai attendu que le train démarre, que j'ai bien vu qu'il n'avait personne, qu'il est direct jusqu'à Paris...?
Non rien de tout ça.
- Nous, on a des problèmes tous les jours avec des situations pareilles. Je dois gérer ça et c'est pénible. Vous ne devez pas changer de place sans nous le demander.
Je suis restée mutique.
J'ai d'abord pensé que j'étais tombée sur un contrôleur très investi, un psycho rigide du contrôle. Et ça va être sa soirée, parce que mon ex-voisin avait aussi changé de siège . Il m'avait même ouvert la voie.
Même pas.
Mister ex-rugbyman a controlé mon ex-voisin sans un mot. Ce dernier n'a pas enlevé ses écouteurs, ne l'a pas regardé pour lui tendre don téléphone, il l'a posé sur la table à côté de lui. Cet homme a un air hautain, un costume 3 pièces (oui avec un veston) bleu clair, des chaussures qui embaument leur prix et un hâle qui a passé les congés de printemps au soleil. Aucune interaction verbal entre les deux hommes.
Je me suis retenue de me lever et de lui dire "mais vous ne lui expliquez pas la règle à lui ? Il n'a pas besoin d'autorisation?".
Mais je ne me suis pas retenue d'un "incroyable il ne lui dit rien", qui a fait retourner la personne juste devant moi.
Qu'est ce qui m'a valu, spécialement à moi, le rappel de la règle ?
Qu'est ce qui m'a valu d'avoir besoin d'une autorisation pour changer de place ?
Ce soir je suis la seule femme dans la voiture.
Les hommes n'ont pas besoin d'autorisation pour se déplacer.
Les hommes sont libres de leur corps de leur mouvement.
J'ai besoin d'une autorisation pour décider de changer de place. C'est simple.
Trop de liberté dans le TGV menace la paix civile, l'ordre du monde, la perspective d'un week-end tranquille, l'alignement des planètes et le rythme des saisons.
Trop de liberté est une menace pire que le réchauffement climatique.
Trop de liberté dans le TGV c'est surtout une remise en cause de l'ordre patriarcal, surtout on va rappeler aux femmes de demander l'autorisation de bouger, de déplacer leur corps, de prendre une décision pour elles-même (surtout quand c'est sans conséquence).
Je suis restée dans mon carré quatre.
Et je me suis étalée, j'ai même mis les pieds sur le fauteuil en face pour bien marquer mon territoire.
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