Accéder au contenu principal

Mon coeur entre ses mains

Françoise Pétrovitch

Il m'a appelé alors que j'étais en vadrouille, comme souvent, sans prévenir. Il surgit dans ma vie pour me donner des nouvelles, me raconter comment ça avance, me dire qu'il ne m'oublie pas que je suis la première sur sa liste. Je n'ai pas décroché. Il n'a pas laissé de message, il a tenté le lendemain. 

Par mail interposé avec son assistante j'ai fait savoir que je ne pouvais pas répondre, et j'ai reçu une proposition de date pour l'intervention, celle de la charge de hippocampes. Rapide, il me proposait de venir dans la dizaine de jours qui suit. 

Dans ma chambre à Sarajevo, bien après l'appel à la prière je suis restée scotchée devant le mail. D'un coup, ça devenait réel, c'était proche et ensuite ce serait fini. Ensuite j'aurai un coeur qui fonctionne sans effort, ma malformation serait réparée, je serais "normale". J'ai été tentée de me dire c'est trop tôt, faisons ça à la rentrée. Premier réflexe : surtout ne rien changer. J'ai laissé passer la nuit et j'ai accepté les dates, bousculé un peu mon agenda. Qu'on en finisse.

Je suis rentrée de Sarajevo, je suis allée le voir, qu'il me raconte de nouveau de ce qu'il allait faire, comment il allait s'y prendre, qu'il me fasse le récit de la charge des hippocampes.

Ce jeune médecin chercheur est certainement un excellent médecin, pour se trouver à la tête d'une recherche pareille, il est en plus une chouette personne ce qui en fait un médecin extraordinaire. Quand il me parle, j'ai l'impression d'être unique au monde, quand il me regarde tous ses yeux sont avec moi, il n'est nulle par ailleurs. 
J'aime à croire qu'il fait ça avec tous ses patients.

Quand il parle, il écrit aussi, il dessine des schémas pour expliquer le protocole de recherche,  même quand ce n'est pas nécessaire. Il prend le temps de tout, même de l'inutile, il parle lentement comme si le temps lui appartenait. Il me parle de ce qu'il lit, me pose des questions, un peu, pas trop car il se doute que je n'aime pas trop raconter ma vie. C'est la première fois qu'il me demande quel âge ont mes enfants. 

Je n'ai jamais vu autant mon coeur en 3D que sur son écran, en statique, en dynamique, avec les flux sanguins, avec le stent qu'il doit poser, et la simulation 3D de comment ce sera ensuite. il est fasciné par ce qu'il raconte.

Il me dit "je suis content qu'on arrive à vous faire ça". 
Je réponds "Moi aussi, je suis très contente"
Lui : c'est vrai ? 
Et ses yeux brillent. Il y a un blanc. Nous sommes émus.  
Je pose des questions sur les risques, il y en a toujours, il me répond directement. J'ai le coeur qui flanche comme dans une chute. 
Je lui dis "si pour une raison ou pour une autre, vous n'arrivez pas à placer le stent comme il faut, et qu'il n' y a pas de danger de vie ou de mort, je vous demande de laisser tomber, vous sortez, vous ne m'envoyez pas au bloc. On re-essayera dans 6 mois ou dans 10 ans". 
Il me répond : OK. Sans discuter, avec ses grands yeux bleus.

Et il a été là plus que nécessaire. Et on s'est dit plus de choses que nécessaires.

Moi : vous n'avez pas intérêt à me louper la semaine prochaine 
Lui :  je prendrai le plus grand soin de votre coeur 

Lui, le matin de l'intervention en jean basket avant son service : vous allez bien?
Moi : j'espère que vous allez mieux que moi
Son sourire était éloquent : on se retrouve tout à l'heure.

Lui dans l'antichambre de la salle de catheter : ça va? 
Moi  : je n'ai pas peur, je suis juste très émue.
Lui : je suis content qu'on soit là. 
Sourires. 
Lui : Nous, on s'est tout dit. Je vous retrouve de l'autre côté.

Et effectivement, il était de l'autre côté et, pendant que toute l'équipe s'agitait autour de moi, pour la perfusion, les électrodes, le masque l'endormissement, il était debout, directement dans  mon champ de vision et me regardait sans sourire, juste là. Ce médecin me fera pleurer d'émotion.

Evidemment il est passé dans ma chambre, dans l'après midi, lui entre deux interventions avec sa tenue de bloc, sa charlotte et ses crocs jaunes, et moi entre deux somnolences, encore sous le coup du cocktail ketamine et autres produits anesthésiques. 
Moi, heureuse de le voir : je suis très contente de vous 
Lui s'approche et me tape dans la main, paume contre paume, finies les mesures covid : tout s'est bien passé, comme à la simulation, sans accrocs. 
Nous étions deux héros après une grande aventure 

J'éprouve de la gratitude pour ce médecin, de m'avoir emmener là, sur cette intervention avec aussi peu d'appréhension, autant de confiance, sur un truc aussi expérimental.

Il m'a dit "tout doux la semaine qui suit". Il sait à qui il parle : pas de jogging, pas de yoga pas de Pilates, pas de voyages en avion. "restez tranquille, vous repartirez la semaine suivante". Je l'ai écouté.

Mon coeur entre ses mains. 
De bonnes mains. Le charmeur d'hippocampes a de bonnes mains et un bon coeur.
Quand j'aime une fois, j'aime pour toujours. 
Et comme il m'en a fait un coeur costaud, réparé pour durer, ça va durer longtemps.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Je te souhaite

Borne, une lumière pour nous guider Je te souhaite un ciel étoilé à contempler, une remise en ordre dans les constellations,     -  Aldeberan, Betelgeuse et Antarès sont mieux rangées      que dans ta bibliothèque, des contes qui organisent le bordel laissé  par des héros destructeurs qui se prennent pour des mythes. Je te souhaite  des promenades dans les pas d'autres que toi  de croiser les trajectoires de ceux qui habitent là,  de les deviner sans les voir -  eux ne te louperont pas -  apercevoir leurs empreintes, imaginer leurs chemins sont déjà un luxe Je te souhaite  d'entendre  la couche craquelée qui scintille de t'enfoncer dans le velours de la neige tout juste tombée de te couler dans le crissement de sa rondeur  quand tu avances. Je te souhaite une montée entre chien et loup une arrivée à la nuit un dernier regard aux couleurs qui se couchent la chaleur du refuge après l'effort. Je te souhaite  de...

Histoire vache

A Lons le Saulnier Direction le Jura pour les congés de printemps. Une proposition de mon iFille qui adore randonner et qui voulait arpenter son parc régional. Heureusement qu'elle a des envies, seule je n'aurai pas songé à cette destination.  Le Jura : un ersatz de montagne, un faux-semblant d'altitude, des collines arrogantes.  En matière de montagne, il n'existe rien d'autre que les Alpes. Les Hautes-Alpes exactement. Je serai chauvine jusqu'au bout. Alors le Jura... Et bien le Jura, bien que pas haut du tout en altitude a des atouts qui m'ont plu.  Vin déja.  Fromage ensuite.  Paysage pour finir, sur un malentendu on pourrait se croire en montagne.  Surtout quand il neige, surtout quand la neige tient, surtout quand on rentre le soir de la "ville" (Lons le Saulnier) et qu'on se dit "pourvu qu'on arrive bientôt sinon on va devoir de mettre les chaines" , surtout quand la montée vers la maison (bioclimatique !) se fait en patina...

Parlez moi de la météo (et je pleure)

la météo en 1930 aux USA Je ne suis pas très douée pour le small talk. Je ne sais pas parler de la météo. Je ne scrute pas mon appli météo, j'ouvre la fenêtre et je tends le bras.  Que feraient les Anglais sans la météo ? Ce pilier de tout échange informel depuis au moins cent ans. Sur notre île royalement détrempée, elle sauve la mise à tout un chacun, maintenant à flot les conversations , et en l’occurrence  elle s’exporte sous les climats étrangers où elle fait admirablement son travail. Abir Mukherjee – Les ombres de Bombay Heureusement je ne suis pas anglaise. Mais on n'a jamais autant parler de météo qu'en ce mois de mai, si frais.  Un copain a cru bon m'expliquer le concept de "goutte froide"  : une poche d'air venue de l'Arctique coincée entre deux anticyclones et juste au dessus de la France. Mon iMari a paru hyper intéressé.  Je sais que quand il montre un intérêt pour un truc débile en société c'est qu'il s'ennuie ferme.  Quand i...