... c'est la confirmation visuelle de la trace laissée par les hommes, uniquement les hommes |
Je cours au parc de Sceaux tous les dimanches ou presque, entre 5 et 10 kilomètres selon ma forme, ma motivation, mon degré de culpabilité. Je finis vers le château, et là il y a des expo photos en plein air. Des grandes photos, qui mettent en valeur la région des Hauts de Seine (Gloire aux Hauts de Seine, et à son PIB les plus élevés des départements de France). Depuis quelques mois, c'est Face à faces, les figures des Hauts de Seine, une série de photographies qui met en valeur des figures sculptées du département. Quatre photographes y ont contribué, à parité femmes et hommes, la commande a été passée par la Directrice de la Communication du Département (c'est une fonction principalement occupée par des femmes : parler aux gens c'est une affaire de femmes, presque dans les gênes pourrait-on penser), le commissaire de l'exposition est un homme. Mais là n'est pas LA question.
37 panneaux photo présentent les figures sculptées des Hauts de Seine.
Précisons aussi que parmi les sculpteurs : deux seules sculptrices Nacera Kainou (née en 1963) originaire du Jura et une certaine Lyle Barcey, qui n'a que peu d'entrées directes sur internet, son nom éternellement liée à sa sculpture de Marcel Cerdan. Deux sculptrices qui ont choisi de mettre en valeur des figures masculines. Si on était autorisé à faire des pourcentages : 5% de sculptrices. Département des Hauts de Seine, vous savez que faire pour votre budget "commande publique de la culture" maintenant non?
Et encore LA question n'est pas non plus tout à fait là. Les photos ne font que représenter l'imagerie des sculptures : la glorification des hommes, des Grands Hommes, et sans surprise les Grands Hommes contrairement ce qu'on nous explique (H pour l'Homme universel qui ne serait pas genré ; alors on aurait pu dire Humain non ?) ce sont des hommes et pas des femmes.
La question commence dès lors qu'on s'intéresse à l'imagerie des oeuvres glorifiant l'Autre Moitié de l'Humanité :
- le classique couple : une femme forcement avec son mari (de retour des vendanges ici)
- la mère : pas n'importe laquelle celle qui a du "courage". Pourrait-on juste une mère parfois?
Que du classique jusque là : une femme est soit la femme de quelqu'un soit la mère de quelqu'un d'autre.
La question qui me pose problème est les trois représentations suivantes
- une femme puissante : qui représente une enfant de 12 ans ! Il y a un petit texte dessous qu'il faut lire, il est là pour se dédouaner "qu'on ne se méprenne pas, nous voilà en présence d'une jeune fille appelée devenir une femme puissante". Depuis quand une enfant de 12 ans est une jeune fille? La sculpture ne laisse aucun doute : c'est bien une enfant que nous avons sous les yeux. Pas une jeune fille, encore moins une femme. Et pour la petite histoire, il s'agit de Sainte Geneviève, qui a consacré sa vie à Dieu et a sauvé Paris grâce aux prières ... des femmes. Son pouvoir lui est donné par Dieu. Elle n'a aucune puissance propre.
- l'une d'entre elles : représente encore une enfant. "dans notre galerie de puissants et de célèbres, il reste de la place pour cette figure anonyme de bergère comme il y en eu des milliers pendant des siècles". La célébrité vient de la répétition de l'imagerie. En quoi l'enfant bergère est-elle puissante ? ou célèbre?
- biscuit rose : représente une jeune fille - on va faire l'hypothèse qu'elle est majeure, si ce terme avait un sens pour les femmes au 19è. Cette oeuvre, s'appelle Le printemps ou Flore accroupie, Jean-Baptiste Carpeaux l'a sculptée quand il avait plus de 55 ans (à la fin de sa vie, il est mort à 57 ans) ; encore une fois le commentaire "JB Carpeaux portait un amour que certains jugeaient immoral au corps humain au réalisme de la chair, à la sensualité de la peau". Est-ce une autre façon de dire qu'il aimait les corps des jeunes filles ? Aujourd'hui, on le comparerait peut être à Leonardo Di Caprio qui ne choisit que des compagnes de moins de 26 ans.
Petit résumé de la réprésentaion de l'imagerie féminine dans les sculptures des Hauts de Seine : l'épouse, la mère courage, l'enfant qu'on nomme jeune fille ou jeune bergère (à 12 ans!), le corps porcelaine.
L'épouse, parce que seule ...? |
La mère "courage", peut-il en être autrement ? |
La femme puissante, à 12 ans ! |
L'enfant bergère, par milliers... |
Le biscuit rose ou la fascination de la chaire (jeune) |
Cette exposition m'a mise en colère. Je n'ai pas réussi à la regarder en entier la première fois. Elle véhicule les stéréotypes de représentations des femmes, et si avec quelques commentaires de bas de page on essaie d'y apporter des nuances, ça ne passe pas, c'est loin d'être suffisant. Il n'y a pas de femme la dans, il n 'y a que des représentations que les hommes ont envie de chérir et de perpétuer. Et de nous en faire la glorification au nom de la mise en avant du patrimoine culturel.
Une fois de plus on écrit l'histoire avec des hommes, et comme le Président de la région (George Siffredi, 66 ans, tiens lui aussi à droit à sa retraite à taux plein) se plait à l'écrire "Leur grandeur comme leur humanité nous deviennent plus palpables. Quand il s'agit de héros ordinaires, pris dans les filets d'événements dramatiques, leur détresse semble jaillir de l'image... Au fond, ce que nous montrent les photographies grand format de Face à faces, c'est la confirmation visuelle de la trace laissée, dans la mémoire collective des Français".
C'est la confirmation Monsieur Siffredi, que vous perpétuez la trace imposée par les hommes pour poursuivre leur domination et leur suprématie, aussi bien dans la représentation des sculptures que dans la mise en scène que vous en faites. Peut-être il serait temps que vous vous rendiez compte que la mémoire collective des Français est aussi celle des Françaises. Si vous avez un doute que le masculin ne porte pas du tout le neutre en langue française je vous invite ardemment à écouter le podcast "Masculin neutre : écriture exclusive".
Commentaires
Enregistrer un commentaire