Hannah Gadsby |
Et dernièrement j’en ai trouvé deux avec qui je me marre.
La première est Hannah Gadsby. Une Australienne, de Tasmanie. Il faut préciser « Tasmanie », car c’est le coin paumé des Australiens. C’est leurs Belges à eux, ou leurs « crétins des alpes ». Hannah est lesbienne, elle le dit haut et fort maintenant dans un pays qui a dépénalisé l’homosexualité quand elle avait presque 20 ans :
homosexualité, this is a guy thing. Anal sex is where the devil comes in.
Women? What’s wrong with a cuddle?
For a long time I know more facts on unicorns than on lesbians.
Je l’ai découvert un peu par hasard, un article dans La Déferlante et ses spectacles sont sur Netflix, ils sont sous-titrés. Je me suis régalée, je me suis marrée et j’ai été profondément touchée. Quand on apprécie la langue anglaise, on se régale des tournures adoptées et de son accent (merci la traduction par moment : à la première énonciation « my people » je n’avais pas attrapé le mot !)
Elle déconstruit ce qui fait classiquement rire, et en particulier les blagues sur les lesbiennes :
lesbianism was not about sexuality, lesbian was any woman who was not laughing at a man’s joke.
Et elle va plus loin, sur l’autodérision :
I build my career on self-deprecating humor.
And I don’t want to do that any more.
Because do you understand what self-deprecating means for somebody who already exists in the margin?
It is not humility.
It is humiliation.
I put myself down, in order to speak, in order to seek permission to speak.
C’est drôle et sérieux à la fois. Elle fait son spectacle au Sydney Opera House, la grande salle. C’est LE lieu de l’establishment de Sydney. La bonne société y va au spectacle, bien habillée (pas de sortie « casual » dans ce pays, en tout cas pas à l’Opéra), pour y entendre LA culture, les bons ballets, les bons concerts les trucs classiques.
Et là Hannah Gadsby. Une tasmanienne, lesbienne carrément politiquement incorrecte.
C’est sûr que ceux qui ont pris leur place ce jour-là savaient ce qu’ils allaient voir, et je doute que les oncles de mon iMari y soient allés par exemple.
Son spectacle avance et devient de plus en plus militant, de plus en plus touchant, notamment quand elle blague sur les « white straight men », tout en disant « juste jokes mates », à la façon qu’ont les hommes de dire aux femmes « c’est juste une blague, détends-toi, tu as besoin de baiser ». Elle inverse carrément la situation, c’est drôle et violent. En tant que femme, on ressent l’attaque sur les hommes et on est mal pour eux. Je me suis sentie plus mal à l’aise de l’audace, de la violence, que quand c’est l’inverse. Une lourde culpabilité, d’autant plus lourdr que je trouvais ça bon, juste et mérité. Bizarre non ? Ça en dit long sur ce qu’on est habitué à entendre sans réagir.
Les blagues qui font rires au debut, font réfléchir à la fin. Il est impossible de rester indifférent à ses histoires, aux liens qu’elle fait.
Je l’adore. Je l’ai écouté plusieurs fois, et je trouve fantastique la façon dont elle dit des choses profondes avec légèreté :
it is dangerous to be different.
I am not a man hater. But I am afraid of men. If I am the only woman in a room, I am afraid. If you think that is unusual, you don’t speak to the women in your life.
Sur Netflix, il y a deux de ses spectacles : Nanette et Douglas. Elle passe à Paris en janvier, son spectacle est déjà complet. Too bad.
Je suis arrivée à avoir des places (prises longtemps à l’avance) pour le spectacle de Paul Mirabel. Une initiation des iAdos avant qu’il ne soit chroniqueur sur France Inter. Et donc l’autre soir, nous étions à la Cigale.
Et là, je me suis rendue compte que faire rire des gens sans se moquer d’autres ce n’est pas donné à tout le monde.
Il avait invité deux comparses pour sa première partie. Des petits gars, des jeunes hommes.
Le premier Franjo, typique du BG cis genre n’y a pas échappé. Tout son sketche est basé sur des blagues de femmes en burqa, des échanges qui ridiculisent des femmes ou un handicapé. La première m’a fait grincer des dents, la deuxième j’ai failli siffler (mais mes iAdos n’auraient pas apprécié), la suivante j’ai soufflé pour ne pas huer (« détends toi, c’est juste une blague »), et enfin j’ai arrêté d’écouter. Je n’ai surtout pas applaudi et je vais oublier ce gars.
Le deuxième, un petit black tout maigre, n’a pas évité l’autodérision humiliante dont parle Hannah Gadsby et les stéréotypes sur les voleurs et les noirs. Ça ne me fait plus rire.
Paul Mirabel s’en sort mieux. Il joue clairement sur l’autodérision, mais lui contrairement à Hannah G. ne vit pas en marge. C’est un homme, probablement cis genre, bien de sa personne. Il peut se moquer de lui, il peut nous parler de sa peur, de son corps tout maigre, de sa non-solidarité avec la gente masculine. Il peut nous parler de sa logique absurde, de son monde imaginaire, sans en souffrir dans la vie, sans laisser aucune plume dans l’affaire, surtout quand il nous dit « comment on explique ça aux oiseaux ? » .
Au contraire, il en sort grandi, il en sort comme l’icône des antihéros.
Je salue tous les jeunes (hommes et femmes) qui sont venus l’écouter, qui voit en lui un autre modèle possible de ce qu’est être un homme et surtout qu’on peut faire rire sans que personne soit égratigné.
Pierre Desporges disait « on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ». Il se trompe. Tant qu’on rit des autres du haut de sa position dominante d’homme blanc hétérosexuel, ce n’est pas de l’humour, c’est de la facilité et de l'humiliation.
Être intelligent c’est chercher la vérité qui nous fera rire, c’est chercher la perspective avec l’humour qui nous ouvre à un autre point de vue. C’est chercher l’humanité dans les relations.
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