Je n’ai jamais été très en avance, surtout en matière de séries. Et j’ai commencé à l’automne Grey’s anatomy, quelques semaines avant de rentrer à l’hôpital pour une intervention qui n’a toujours pas eu lieu, mais ça, c’est une autre histoire. On peut discuter du choix de cette série à ce moment-là de ma vie et de ce que ça dit de ma santé mentale. Là n’est pas mon propos.
Mon propos est l’hommage à rendre à sa créatrice Shonda Rhimes. Cette femme a mon âge quasiment, a lancé cette série en 2005, et c’est d’une modernité épatante, pour l’époque, et aujourd’hui encore. Beaucoup de séries américaines (du moins celles que je regarde) ont une vocation d’éducation des masses, et celle-là en particulier sur la place des femmes. Et c’est fait subtilement, sans gros sabots, et de plus en plus pertinent au fil des saisons. Les saisons avancent, les clichés tombent.
On n’a pas échappé dans les premières saisons, aux jeunEs internEs qui tombent amoureuses des médecins chefs de département de plusieurs années leurs ainés. Toutes n’ont pas besoin d’eux pour réussir, mais elles ne le savent pas encore. Certains personnages sont dans la caricature, et c’est soit la carrière soit un homme ; et celles qui choisissent un homme se battent pour leur carrière contre leurs hommes. Il y a une scène stéréotypée où les trois médecins chefs se retrouvent le soir à lancer des balles de base ball et à parler de leur compagne plus jeune. Il faudrait attendre la saison 12 pour que les rôles s’inversent, et qu’une femme cheffe de département se mette avec un interne.
C’est une ode aux femmes, qui sont toutes géniales, chacune dans leur style. C’est une ode à la sororité, à la solidarité féminine, à ces petites phrases qu’on peut se dire entre filles parfois difficiles à entendre mais vraies et qui nous font avancer, pour être soi. Que seule une amiE peut te dire. Cristina dit à Meredith :
He is McDreamy, but you are the sun
Tu n’as pas envie d’entendre que suivre ton mec dans son nouveau job n’est pas la meilleure chose faire, mais si personne ne te le dit, comment y réfléchir ?
Je ne suis pas non plus une historienne des séries, j’ai tout de même trouvé audacieux l’introduction d’un couple lesbien dont l’une est bisexuelle. Nous sommes en 2008, et une série de grande audience raconte un couple lesbien (avec un enfant). Combien de séries grand public aujourd’hui nous montre des femmes en couple ? A part 10% (2015) et les séries cultes de la culture LGBTQ+ ?
Et dans la saison 12, deux pépites. Une sur la négociation salariale de femme et l’autre sur le privilège blanc.
Meredith a une promotion et un nouveau contrat. Elle le fait relire à ses copines, qui font la moue sans lui dire pourquoi. Il y a bien une qui finit par lui dire la fâcheuse nouvelle (encore !) que son salaire est particulièrement bas, et qu’elle, elle gagne beaucoup plus que ça. Et de lui conseiller d’aller voir la cheffe pour demander plus.
C’est une cheffe qui lui a fait cette offre si basse.
C’est un homme qui va râler auprès de la cheffe pour lui dire que ce qu’elle a fait est « dégueulasse », et la cheffe de dire « je l’ai formée toutes ces années, et bien formée. Elle sait ce qu’elle a à faire, et si elle ne le fait pas c’est qu’elle ne vaut pas ce que je pense. » Rien n’est donné, tout est acquis pour les femmes et c’est un apprentissage de vie. Voilà ce que se transmettre les femmes entre elles, même si c’est un peu raide comme apprentissage.
Saison 12, épisode 7. Je crois que c’est la première fois que je comprends à ce point le concept de privilège blanc. J’ai déjà lu des choses là-dessus, je le conçois, je le comprends en théorie. Là, je l’ai éprouvé.
Une cheffe de service (Amelia) croit une interne (Jo Wilson) plutôt qu’une autre (Stephanie Edwards). Le cheffe de service est blanche, elle croit l’interne blanche qui dit (en toute bonne foi) que l’autre interne – la black - ment. Au final, l’interne black ne mentait pas, c’est l’interne blanche qui s’est trompée. Pour la beauté de l’expérience, personne ne mentait sciemment. Ayant eu le fin mot de l’histoire, la cheffe de service s’excuse auprès de son interne et lui dit « j’espère que tu n’as pas pensé que j’ai agi comme ça parce que …. » et elle ne finit pas sa phrase. La Blackette lui dit que si ça lui a traversé l’esprit qu’elle puisse croire l’autre parce qu’elle est « comme elle ». S’ensuit une discussion où la cheffe dit ne pas être raciste, et l’interne dit « je sais, mais le monde est comme ça ». Dans ce dialogue que je retranscris très mal, car aucune des deux ne dit blanc ou noir, on ne parle que de préjugés sans les nommer.
La cheffe de service se fait décrypter la conversation par sa colocataire, une amie proche et noire qui lui explique le privilège blanc « ca arrive tout le temps, c’est imperceptible, mais on écoute d’abord le blanc dans la pièce. C’est le privilège blanc ». Elle lui demande aussi de ne pas être sa référente sur ce qu’il faut ou pas faire en tant que personne blanche qui ne veut pas être raciste : « je ne peux pas parler pour toutes les personnes noires ». Elle termine en lui donnant un conseil (à sa demande) de ne pas lui laisser l’effort de la faire se sentir bien d’essayer de s’affranchir de son privilège blanc.
Ce passage est remarquable, et se termine par les femmes qui prennent moins souvent la parole dans un groupe d’hommes. Une leçon sur les privilèges.
Bonus la retranscription des dialogues
Amelia: I'm afraid I might've been racist. God, I hate this day.
Maggie: Okay. Okay, back it up.
Amelia: Oh, good! I can talk to you about this. I am worried I offended Edwards. I need you to tell me.
Maggie: Why me? 'Cause I'm your sister?
Amelia: Yes.
Maggie: Or because I'm your "Sistah"?
Amelia: No. This is exactly what I was worried about.
Maggie: Okay. What do you think you did?
Amelia: I don't think I did anything, but I think she thinks I did.
Maggie: Amelia, use your words. Did what?
Amelia: Sided with Wilson over her because she's black. Which I didn't do. I think. I -- God, I-I hate that this is even an issue all of a sudden.
Maggie: Well, it's not an issue for you. And it's not all of a sudden. I mean, okay, it's not "Mississippi Burning" or anything, but it is all over. It's when people assume I'm a nurse. Or when I go to get on an airplane with my first-class ticket, and they tell me that they're not boarding coach yet. It's like a low buzz in the background. And sometimes you don't even notice it, and sometimes it's loud and annoying. And sometimes it can get dangerous. And sometimes it is ridiculous, like right now.
Amelia: But it's not funny. I mean, if I'm doing it and I don't even notice it –
Maggie: Then notice it. Look, did Edwards tell you that she's okay?
Amelia: Yes.
Maggie: Okay. Then don't give her the extra work of having to make you feel good about it.
Amelia: Right. Okay, but how do I know that she's really –
Maggie: Because she knows you, okay? So listen to the words that are coming out of her mouth and believe them. This is not a small thing. And I'm glad that you feel like you can talk to me about it, but... I-I don't speak for all black people. I am not the spokeswoman. No one is. And it is kind of annoying to be asked questions like I am. But, um, one piece of advice that I can give you that I think we would all agree with is that if you feel uncomfortable having done it, check your white privilege, and don't do it again. But I don't think you're racist.
Amelia: You don't think?
Maggie: Girl, get in the car.
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