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Re-visite

Grenoble, 15 mars 2025


Dans la vie, je peux me définir comme plein de choses, femme, mère, épouse, lectrice, joggueuse (plutôt que coureuse qui prêterait à confusion!), par mon métier aussi... et aussi par mon statut de tante. J'ai découvert récemment ce nouveau rôle, non pas que je me suis découverte neveu et nièce, plutôt le rôle que pouvait jouer une tante, plus âgée, déjà installée dans la vie, qui a élevée ses enfants (enfin presque). 
Je n'en ai que deux. Un neveu et une nièce, qui ne sont pas frère et soeur, simplement cousins, séparés de 16 ans, exactement l'écart entre ma soeur et moi. 

C'est à ce titre que je suis allée passer un week-end à Grenoble, soutenir ma nièce qui en bave en prépa. Soutien assez simple : la sortir aux heures des repas, la nourrir de bonnes choses au restaurant, lui payer une bière dans un bar de gaucho, l'aérer dans les montagnes autour, encourager le steak et deux desserts, lui rappeler qu'elle est courageuse et qu'elle s'accroche, lui donner des argumentes pour son papier sur l'IVG, la faire parler de qui elle est pour son questionnaire d'entrée à HEC... En écrivant cela, je réalise que ce soutien ne date pas de ce week-end, il est plus ancien, de sa lettre de motivation au voyage au Quebec, en passant par les vacances de Toussaint à Paris pour les stages de pâtisserie et les musées, les cartes postales chargées de tablettes de chocolat en appui des concours blancs. 
Le week-end à Grenoble s'inscrit en fait dans une lignée, celle de mon rôle de tante, impensé jusqu'alors.

Il s'inscrit aussi dans une autre lignée, celles d'étapes de ma vie, marquées par Grenoble, alors que c'est une ville que je ne connais pas, où je n'ai jamais vécu. Je n'y suis de passage, de façon régulière, et pourtant elle y a une place, loin d'être négligeable. 

C'est la ville de mes amis d'enfance, d'adolescence plutôt. C'était la destination et la provenance du flot de ma correspondance entre 13 et 20 ans. Le plus gros budget de timbres si je devais faire des statistiques par ville (qui fait ça?).
Grenoble c'est le jardin où un soir d'été, après plusieurs semaines à encadrer des camps d'enfants, entre deux corvées de repas, de table et de vaisselle, j'ai pris un fou rire quand a été posée devant moi une grande casserole de pommes de terre en me disant "on épluche si on veut diner !". Je revois la table, la cocotte et les deux mains qui la portent, l'ami en face qui se tort de rire, l'herbe folle derrière lui. Et la pile de pommes de terre à éplucher
Grenoble est la ville des concerts pour une fille comme moi élevée dans les Hautes-Alpes (loin de tout), c'est le signe de la Culture (avec la Majuscule). C'est là où j'ai vu Pink Floyd avec les fameux copains du courrier postal, on se sentait alors les rois du monde : nous étions au concert de Pink Floyd en plein air, il faisait beau, nous étions entourés de montagnes et de potes : comment ne pas se sentir éternels? (d'autant que je venais d'avoir 17 ans). C'est Renaud où ma mère m'emmenait, Supertramp où je suppliais d'aller, c'est Johnny Clegg où j'ai passé le concert sur les épaules d'un autre copain, gapençais celui-là.
J'ai beaucoup fait la fête dans cette ville, lycéenne et étudiante, je n'ai que des flash de lieux que je ne saurai relier entre eux. Des maisons de pôtes de potes, des résidences étudiantes, une boite de nuit au bord de l'Isère avec des escaliers en descente, le campus universitaire, une virée à Autrans dont je ne retiens que le nom je serai incapable d'y remettre des images. Je revois un parking où nous avions croisé un autre copain du lycée, de passage aussi. La tête du gars qui me croise à quelques mois d'intervalle sur deux parkings différents avec deux mecs différents, tous du même lycée, ses yeux interrogateurs, mon sourire et mon absence d'expication. Grenoble la ville des rencontres mystérieuses.
C'est là où je me suis arrêtée de retour d'Angleterre avant d'arriver dans les Hautes-Alpes. J'ai passé une nuit et quelques heures dans un noman's land connu de moi seule, personne ne savait où j'étais, tous me croyait ailleurs. C'est là où j'ai compris qu'à vingt ans il est facile de mélanger être amoureuse et curiosité, que je n'étais pas obligée d'aimer ceux que j'attirais. 
Munie de mon diplôme, c'est encore à Grenoble que j'ai passé des entretiens chez Hewlett Packard. Je trouvais ça très chic, une boite internationale, à Grenoble. Mon iMari -  ni i (ce n'était pas même pas dans nos imaginaires) ni mari (à cette époque j'étais contre tout : le mariage, les enfants, Venise et les sushis) avait visité la ville, s'assurer qu'il y ait une Fnac et qu'on pourrait y vivre. Il avait conclu : il y a même une boutique Cacharael, traduire : c'est vivable. Ce sont les années 90, les chemises vichy de Cacharel font un tabac, c'est un must pour les Working Women en tailleur. Il me semble que je n'ai pas été retenu chez HP, mais la vérité est que je me rappelle ne pas avoir compris en quoi consister le poste qui était proposé. Nous ne nous sommes pas installés à Grenoble.
Jean-Claude Gallota est originaire de Grenoble; dans ces mêmes années, il est à la tête du Centre Chorégraphique de Grenoble, je vois son spectacle Ulysse et une fois de plus Grenoble me confirme son statut culturel.
J'y passe une nuit, chez ma soeur à nous partager son lit en 140 cm (à peine?) dans sont tout petit studio, avant d'aller toutes les deux à l'enterrement de la mère de ma tante (par alliance). J'en connais bien la gare, routière et SNCF, on m'y pose et on vient m'y chercher, je ne relis cependant aucun des quartiers entre eux.
En 2006, record de séjour, j'y passe la semaine, à l'hôpital Nord, dans la tour du pavillon des enfants, pour mon iAdo, quand il était un bébé de quelques semaines avec une sténose du pylore à opérer en urgence. Je revois la chambre, dans les étages élevés de la tour avec vue sur les montagnes, je revois le magasin Carrefour à côté où j'étais allé m'acheter une serviette de toilette (orange que j'ai encore dans mon sac de piscine, et où je pense à mon fils à chaque fois que je vais nager) pour mon séjour.
L'appartement de ma soeur qui y a vecu quelques années, avec un pêcheur rêveur et mou, dans la banlieue. Nous y sommes venus, jamais plus de 2 jours.
Grenoble c'est le Vercors à droite, que j'adore, où je rêve d'un pied à terre, où j'ai envie d'arpenter tous les sentiers. C'est un nombre de week-ends en bande et de nouvels ans en hauteur.
Grenoble,  c'est le massif de Belledonne à gauche, où un copain a été emporté par une avalanche quand nous avions 20 ans, il n'est jamais venu à ce nouvel an où nous l'attendions. 
Grenoble c'est le lycée Champolion, très connu et visé par les bons élèves des Hautes-Alpes pour ses prépa. C'est là où me voyait mon prof de math de Terminale. Manque de bol, je n'ai pas postulé, j'ai loupé les dates de dépôt des candidatures. Champollion restera un rêve jusqu'à ce week-end où je suis allée voir ma nièce en prépa dans ce fameux lycée. Il est magnifique ce lycée, mais je ne sais pas sûre que ça aurait suffit à mon bonheur.
J'ai donc arpenté Grenoble, pour la première fois de jour, calmement, en tout conscience. J'étais là pour la ville et non de passage, ou avec un autre motif. Il y a plein d'endroits où j'ai eu envie de boire un coup, de trainer dans la vitrine, je pourrais jogger le long de l'Isère, pas encore assez Grenobloise pour le faire jusqu'à la Bastille (5km de montée). Je pourrai habiter un peu plus loin vers la Chartreuse, avec la neige si proche, l'ambiance montagne dans le jardin, le fromage au coin de la rue. 

Quand on arrive dans un lieu inconnu, on ne voit que le visible. Dans un lieu qu’on connait, on voit les deux, le visible et l’invisible. Ce qu’il n’y a plus, ce qu’on nous a raconté des lieux, les légendes, les expériences attachées à chaque recoin. 

Triste tigre -  Neige Sinno


Il m' a fallu toutes ces années pour que cette ville existe pour elle-même, à mes yeux. Que l'invisible se révèle. Ce week-end s'est transformé en re-visite de la ville et de ma vie. C'est à ça que nous poussent aussi nos jeunes générations, la revisite.



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