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Et on tuera tous les affreux : la tentation, vue à Lyon |
Ces dernières semaines, une mission m'emmène certains matins (beaucoup trop tôt à mon goût, mais c'est une autre histoire) en métro aux heures de pointe à La Défense. C'est une drôle de vie que celles de ces gens que je croise dans les transports en me félicitant de ne pas être obligée de gagner ma vie avec de telles contraintes (les transports en communs, aux heures de pointe, tous les jours).
C'était un jour de semaine vers 9h et quelques, une affluence relative, ce qui signifie que tout le monde a son espace vital (le mien étant plus large que la moyenne, on le sait), surtout, personne n'était obligé de se toucher. Je ne suis pas différente ds autres voyageurs, j'ai mes écouteurs (
filaires!) dans les oreilles avec un podcast (ça c'est le matin quand je suis encore fraîche et dispo, le soir, c'est plus souvent musique). Je n'ai pas suivi ce qui s'est passé dès le début, au bout d'un moment (quelques minutes un peu longues) j'ai réalisé qu'un type d'un certain âge (à la retraite, pas le genre où tu peux dire vieux qui dodeline), blanc middle classe, gueulait sur la femme debout à côté de moi.
Gueuler, de la définition : crier, hurler pour faire des reproches.
Le type se tenait à la barre du milieu du wagon, la femme (blanche) était appuyée debout contre les dossiers de sièges repliés. Elle n'écoutait plus ses vociférations, et lisait sur son téléphone.
- retourne dans ton pays, là-bas dans l'Est, vous savez pas ce qu'est le respect
Précision c'était quelque jours avant la rencontre Zelensky-Trump, avant que la question du respect devienne un sujet pour le bac de philo : de la tenue vestimentaire à dire merci, en passant par l'humiliation.
De façon très impulsive, comme je trouvais les vociférations longues et bruyantes, j'ai enlevé un écouteur et lui ai dit :
- ça suffit, arrêtez de lui crier dessus.
Il a été surpris il s'est retourné vers moi. J'ai eu un petit moment de doute, comme je n'avais aucune idée de ce qui avait déclenché sa fureur, tout en pensant que rien ne justifiait le propos raciste.
- elle m'a manqué de respect, ces gens-là ne connaissent pas la politesse.
C'est sur moi maintenant qu'il criait. Personne autour ne bronchait, j'ai même l'impression que personne n'a levé le nez de son écran.
- c'est bon, vous pouvez arrêter de crier maintenant
Dans ma grande solitude, j'ai trouvé que j'avais beaucoup de repartie, à répéter en boucle la même phrase.
- Elle à l'âge de ma fille !
- et ça vous donne le droit de lui crier dessus ?
C'est ce qui l'a arrêté net. Il s'est même déplacé, il a trouvé une place assise, pas content du tout, probablement autant de ne pas voir eu une joute verbale, qu'un soutien.
J'étais un peu ébranlée a posteriori, presque avec une peur rétroactive.
Comme la fois où j'ai été suivie et menacée par le gars que j'avais empêché de se masturber contre une jeune touriste en glissant sa valise entre elle et lui.
Comme la fois où je suis intervenue auprès d'un pick-pocket qui ouvrait le sac d'un dos d'un type qui n'a rien vu. Mon iMari m'a dit : et le mec se retourne contre toi tu fais quoi ?, tu as mesuré le rapport de force?
Non. Evidemment non, je n'ai pas mesuré le rapport de force. Mes enfants ont raison, lors de la deuxième guerre mondiale, je n'aurai pas tenu longtemps, incapable de tenir ma langue. Il n'empêche que j'accuse le coup, après coup.
Je me suis enquise auprès de la femme si elle étalait bien. Elle m'a souri et répondu en anglais qu'elle ne comprenait pas un mot de ce qu'il disait. Elle lui avait simplement demandé de se pousser pour ne pas s'appuyer contre elle. Ce qui au demeurant était largement possible, le contraire étant qu'il faisait exprès de la coller.
L'histoire courte est un vieux pervers se colle à une femme dans l'espace publique et quand elle signifie sa frontière elle se prend une gueulante teintée de racisme. Ce type a tout de même un talent - il faut le reconnaitre ? - celui de repérer de bon matin l'étrangère dans le métro et de trouver la formule raciste précise.
Le hasard de mes podcasts a voulu que dans la suite de mon trajet j'écoute l'émission de
Totemic avec Swan Arlaud (je confirme : j'ai une passion Swan Arlaud) où dans la séquence Carte Blanche il ait choisi de lire un passage du livre
Résister de Salomé Saqué (le passage est à la minute 31 de l'émission) :
le poison de l'indifférence, et elle cite Stephane Hessel :"la pire des attitudes est l'indifférence, dire je n'y peux rien, je me débouille. En vous comportant ainsi, vous perdez l'une des composantes essentielles qui fait l'humain. Une des composantes indispensables : la faculté d'indignation et l'engagement qui en est la conséquence."
Quand Stéphane Hessel exhortaient ses lecteurs en 2010 à l'indignation, il ne prêchait pas une colère stérile, mais une action transformatrice. Aujourd'hui, face à la montée de l'extrême droite, notre indignation est un rempart si elle se mue en résistance active, ne laissons pas l'indifférence gagner. L'indignation a mauvaise presse ces temps-ci, on l'associe facilement à des mauvais esprits promus par des moralisateurs de salons.
Salomé Saqué - Résister
Je n'avais pas vu l'épisode du type-qui-gueule sous cet angle, je ne l'avais pas vu arriver du tout, je ne me suis pas posé la questions d'intervenir ou pas, je suis intervenue, pour mon confort, pour une idée que je me fais de la vie en société et aussi certainement ce qui est juste.
En partageant l'épisode du type-qui-gueule, il m'a été dit "c'est toujours difficile de savoir quand ou pas intervenir, c'est délicat". Il était sous-entendu que la situation devait être évaluée, que peut-être j'avais eu tort, ou agis de façon inconsidérée.. .
J'aurai du parler de l'indignation, de sa spontanéité, du coût de l'inaction. J'aurai du parler de la colère positive
Ce n’est pas la colère qui compte, c’est de se mettre en colère pour les bonnes raisons. Je lui ai dit : Vois les choses sous l’angle de Darwin. La colère sert à rendre efficace. C’est sa fonction de survie. C’est pour ça qu’elle t’est donnée. Si elle te rend inefficace, laisse la tomber comme une pomme de terre brulante.
Philip Roth – J’ai épousé un épousé un communiste
Je n'étais pas en colère, j'étais dérangée, et ce fut efficace.
Puissions-nous être tout aussi efficaces avec notre indignation sur nos hommes (tous des hommes !) politiques, le
bouffon sous kétamine (
Claude Malhuret),
ou encore
les idiots utiles (Dominique de Villepin).
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