Le même effet un peu répétitif, pas sur le même thème évidemment.
N'oublions jamais de détester ceux qui jouissent, simplement parce qu'ils jouissent, de mépriser les gens gais parce que nous ne savons pas, nous, partager leur gaité... Ce dédain factice cette haine du médiocre ne sont que le piédestal grossier, souillé de la terre où il s'élève, sur lequel se dresse, unique et altière, la statue de notre Ennui, figure sombre dont la face se nimbe, en secret d'un sourire impénétrable.Bienheureux ce qui ne confient leur vie à personne.Fernando Pessoa - Le livre de l'intranquilité
La tonalité de Correspondance (1944-1959) de Albert Camus et Maria Casarès est tout simplement à l'opposé. Ils se confient leur vie, ils sont gais à la pensée de se retrouver, ils jouissent de la simple idée de se retrouver. Ils attendent de se retrouver.
Ecris mon amour. Parle moi comme si nous étions lèvres à lèvres. Je t'attends et je t'aime.De Albert Camus à Maria Casarès
Par ce mot je voulais simplement que tu saches comme je t'attends, comme je t'attends intensément, comme je t'aime, comme je ne vis que pour toi. Ne me quitte pas jusqu'à ton arrive. Garde-moi bien en toi et viens vite. Je t'aime.De Maria Casarès à Albert Camus
Forcement s'ils s'écrivent c'est qu'ils sont séparés, ce qui génère à la fois du manque et du plaisir en anticipation, et...de l'attente. Et ils se le disent à longueur de lettre. C'était une alternative pour le titre : le livre de l'attente (de se retrouver).
Parfois je me dis qu'ils exagèrent, ils pourraient s'organiser mieux que ça pour éviter d'être séparés. Par exemple : passer Noël ensemble ou louer leurs maisons l'été dans la même région au lieu qu'une soit à Giverny et l'autre dans le Luberon.
J'oublie qu'on est dans les années 50 (et juste avant quand ils commencent à s'écrire) et qu'à cette époque on n'habite pas avec son amant, surtout s'il est marié.
J'oublie aussi que quand ils passent Noël ensemble, ils ne s'écrivent pas et que s'ils avaient tous les deux loués au même endroit (Normandie ou Provence?) le livre ferait 10 mm de moins.
J'en suis au tout début et déjà je m'agace des clichés. Elle a 22 ans quand elle le rencontre, il en a 10 de plus. Elle, la jeune artiste, réfugiée espagnole qui rêve de faire du théâtre, lui le trentenaire (2 fois marié déjà) écrivain installé et reconnu : je ne peux que voir l'asymétrie de la relation.
La première série de lettres lors de leur première saison en 1944 c'est lui qui écrit, il n'y a pas (ou très peu) de lettres d'elle. Il la supplie à longueur de pages d'écrire, de téléphoner, de raconter qui elle voit, où elle va, ce qu'elle dîne... Je ne sais pas si c'est ça l'amour. D'autres que moi ont du faire leur thèse sur le sujet, il y a bien une féministe qui décortiquera ces échanges et en tirera des hypothèses sur la nature de cette relation, parmi d'autres. En effet, le gars a - d'après Wikipedoa - toute une série de maitresses, toujours jeune quelque soit son âge à lui (un peu comme Leonardo Di Caprio, à la différence qu'Albert reste marié à son deuxième femme et a des enfants avec elle).
Ces 42 mm ont goût un peu amer, mais finalement j'aime le Spritz pour l'amertume du Campari, je continue ma lecture en alternant avec d'autres (comme pour l'intranquilité en son temps).
Et surtout j'aime l'idée de s'écrire, j'aime l'idée de la correspondance, j'aime le concept de la relation épistolaire. Je ne suis pas de mon temps, avec les vocalls, les SMS, les fils WhatsApp,... je ne raconte pas la même chose que quand j'écrivais des lettres que je mettais au courrier.
J'ai été une fidèle au bout de La Poste, si ça avait existé j'aurai eu des points fidélité avec mes timbres postaux, et une carte de membership Gold.
Et je crois que ça me manque.
J'ai toujours écrit, donné des nouvelles à mes amies, mes copains, j'avais des carnets d'adresses pleins et actifs, annotés au fils des déménagements des unes et des autres.
Pendant les années lycées, j'ai tenu une correspondance hebdomadaire avec un ami (qui se reconnaitra) Sans jamais y manquer, on s'écrivait toutes les semaines. J'envoyais toutes les semaines une lettre et j'en recevais une toutes les semaines. Il y avait alors deux fils d'actualités : celui des semaines paires et celui des semaines impaires, on n'attendait pas la réponse de l'autre pour écrire. Il doit avoir toute un partie de ma vie consignée dans un placard chez lui ou chez ses parents. Comme moi j'ai des boites à chaussures chez mon père où sont stockées des lettres en tout genre : les amies et amis sur plusieurs années, les copines et copains plus épisodiques et éphémères, la famille, les amoureux ... J'ai tout gardé.
Ce ne fera pas 42 mm en livre de poche et ni lui ni moi n'avons la vie de Casarès ou de Camus, ça n'intéressera donc personne.
Quand il s'est marié, j'ai exhumé son courrier pour y retrouver les passages où il parlait de la rencontre avec sa (future) compagne et je leur ai bricolé un objet indéfinissable entre photos, extraits de lettres scannées... qui sans ressembler à un ex voto rappelait tout de même un temps révolu : celui de notre jeunesse et celui de notre correspondance.
Toutes ces années, je n'aimais pas le dimanche car le facteur ne passait pas. Etudiante, les jours fastes étaient ceux où il y avait une ou plusieurs enveloppes dans mon casier en bois à l'INSA. Les jours où mon casier était vide et celui d'à côté était plein étaient d'une noirceur ... j'aurai bien piqué le courrier du voisin si ça avait eu un intérêt.
Notre correspondance en dit plus long que ce que les mots racontent dans les lettres qu'on échange.
Un copain fou de rage m'a un jour renvoyé toutes mes lettres. Je n'avais pas pu aller à sa soirée d'anniversaire et pour lui j'avais brisé notre lien. Il n'a pas compris qu'à 13 ans je n'étais pas libre de mes mouvements et que le trajet Hautes-Alpes - Lyon je ne savais le faire avec mes propres moyens et sans l'autorisation de mes parents. Mais l'attente et la déception de ma défection avait eu raison de notre relation qui ne tenait plus que par La Poste.
Je l'ai perdu de lettre (comment dit-on quand il n'y a plus personne au bout du courrier?) et il est sorti de ma vie. De déception j'ai mis tout le paquet renvoyé au feu. C'est sympa les amitiés à cet âge-là.
J'ai reçu une cassette enregistrée pour moi, une notice de médicaments où il était écrit "je t'aime" en message codé, des dessins dédicacés, des photos annotées... toute une trace de vie, toute une façon indélébile de notifier le lien. De s'assurer qu'il reste.
Je suis encore de celles qui écrivent : par mail je suis capable de donner des nouvelles et de raconter, mais comme le texto, quelle que soit sa longueur tout ça n'a pas le même gout, et je passe mes humeurs ici quasiment toutes les semaines. J'écris mais je correspond pas.
Il y manque de la matérialité.
Il y manque le temps consacré à prendre le papier et à manier son stylo
Il y manque le goût du timbre à coller et la marche jusqu'à la boite postale bien jaune.
Il y manque le temps consacré à l'autre pour prendre soin de ce lien.
Et il manque le retour, celui qui marque le lien, qui le reconnait.
La correspondance c'est un lien entretenu. C'est un lien attentioné. C'est un temps qu'on dédie à l'autre au bout de la lettre. C'est aussi une trace matérielle de ce qu'on y laisse chez lui.
Ça doit etre ça qui me plait dans ces 42 mm, malgré les "je t'attends. je t'aime". Pas désagréables, mais pas très stimulant.
C'est surtout 15 ans de liens, rassemblés en 42 mm de papier.
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