extrait de Ploueran de Isabel del Réal |
Je file vers l'Est.
Je découvre l'est de la Turquie, le plateau anatolien, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Causasse, les bords du mont Ararat... Je lis avec google maps à portée de main pour me figurer les lieux que je parcours dans mes lectures.
La première est un roman graphique Plouhéran qui raconte le périple d'une jeune femme qui part de Plouer en Bretagne et qui pédale jusqu'à Téhéran, pendant la période Covid. Ça semble une drôle d'idée à une drôle de période, pour quelqu'un qui fait à peine du vélo et qui n'a jamais dessiné. Isabel del Real le raconte très bien dans le podcast le temps d'un bivouac; Isabel Del Real est la pédaleuse dessinatrice en question. Le dessin en noir et blanc n'est pas nécessairement attirant aux premiers abords, mais ils sont immersifs. Aussi bien pour les grands espaces, de nuit comme de jour que pour les détails d'architecture, de bouffe (plus que de gastronomie) et par moment c'est même drôle. C'est là que j'ai appris que les playlists avec Cigarettes after sex, étaient le symptôme des bobo télétravailleurs nomades, variété croisée en Georgie. J'ai la playlist ad hoc, je télétravaille facilement, il me reste à devenir nomade (et pour ça il ne faudra pas beaucoup me pousser) et filer jusqu'en Georgie (mais aujourd'hui c'est plein de Russes, peut-être me trouver un autre endroit où essayer mon nomadisme !).
Evidemment ma liste des envies de voyages n'a fait que s'allonger. Je n'aurai pas assez d'une vie pour l'épuiser, d'autant qu'elle s'allonge au fur et à mesure de mes lectures (ou films, ou séries...).
Je suis beaucoup trop influençable, en regardant la série Yellowstone récemment j'ai même regretté de ne pas faire du cheval (comme ma soeur par exemple) pour parcourir le Montana. Je suis une terrienne, j'irai donc y marcher; ce sera bien plus lent qu'à dos de cheval, mais plus sûr.
Elle n'y est pas allée en ligne droite à Téhéran, parfois son itinéraire est contre-intuitif, le but était
clairement le voyage, pas la destination, ni la durée. L'intention était de voir défiler le paysage, plus vite qu'à pied - elle le dit - mais pas de faire un chrono. Elle est équipée de sa tente, autonome pour son bivouac, et elle dort souvent chez les gens qui l'invitent. Elle est seule par étape, et croise d'autres cyclistes (c'est fou le nombre de gens qui pédalent dans des lieux dont j'ignorais l'existence - au delà de la carte géographique, je veux dire ), ils se donnent des rendez-vous dans des villes aux noms improbables. Elle est accompagnée d'un gars tout une partie de son voyage, ils se disent que ce sont des drôles d'amitié que celle-là, sur les routes de n'importe où à l'Est, et que leurs copains là-bas en France ne comprennent pas forcement pourquoi ils partent. : les sédentaires ne comprennent pas les nomades, les dérailleurs comme on dit aujourd'hui pour ceux qui ne suivent pas la voie tracée (bac, belles études, bons diplômes, good jobs).
clairement le voyage, pas la destination, ni la durée. L'intention était de voir défiler le paysage, plus vite qu'à pied - elle le dit - mais pas de faire un chrono. Elle est équipée de sa tente, autonome pour son bivouac, et elle dort souvent chez les gens qui l'invitent. Elle est seule par étape, et croise d'autres cyclistes (c'est fou le nombre de gens qui pédalent dans des lieux dont j'ignorais l'existence - au delà de la carte géographique, je veux dire ), ils se donnent des rendez-vous dans des villes aux noms improbables. Elle est accompagnée d'un gars tout une partie de son voyage, ils se disent que ce sont des drôles d'amitié que celle-là, sur les routes de n'importe où à l'Est, et que leurs copains là-bas en France ne comprennent pas forcement pourquoi ils partent. : les sédentaires ne comprennent pas les nomades, les dérailleurs comme on dit aujourd'hui pour ceux qui ne suivent pas la voie tracée (bac, belles études, bons diplômes, good jobs).
C'est une histoire sur la permission, celle de se lancer, d'oser les choses et de vivre un peu comme on veut. On va se le dire aussi, Isabel del Real est une diplômée de Sciences Po, elle n'a pas passé le barreau mais à une solide formation en droit, parle plusieurs langues et peut loger chez ses parents quand elle est en France. C'est une permission avec filet de sécurité.
Annemarie Swartzenberg (gauche) et Ella Maillart |
A une autre période, tout aussi farfelue question timing: "mais ce n'est pas le bon moment pour entreprendre ce voyage !" Ella Maillart se lance en voiture de Suisse en Afghanistan avec son amie Annemarie Schwartzenberg en juin 1939. C'est la voie cruelle.
Elle cumule les handicaps : la voiture (pas facile à réparer, ni à entretenir dans cette région), la veille de la 2ème guerre mondiale dans une région très instable truffée d'Allemands à cette époque, et son amie droguée (opium surtout, d'où son goût pour l'Afghanistan). La voie cruelle est celle d'Annemarie, plus que la voie qu'elles suivent en voiture. Le récit entremêle les deux voies.
Ella Maillart est fascinante. Elle a été championne de ski l'hiver, de voile l'été, à un niveau olympique les deux, et première femme à chaque fois (participante aux Jeux Olympiques dans sa discipline, médaillée...). Elle a beaucoup voyagé, fait de sa vie une "oisiveté itinérante", comme lui a dit son père "tu ne vas tout de même pas faire de ta vie un loisir ininterrompu?". Et bien si elle l'a fait.
Je sais d'expérience que courir le monde ne sert qu'à tuer le temps. on revient aussi insatisfait qu'on est parti. il faut faire quelque chose de plusElla Maillart
Pas totalement oisive, elle a écrit, beaucoup, alors qu'elle disait ne pas aimer ça, des récits de voyages publiés dès 1932 (elle a 29 ans) puis des articles sur ces voyages, quand ce n'était pas carrément les journaux qui l'envoyaient à l'autre bout du monde, notamment Le Petit Parisien.
Qui est encore payé aujourd'hui au jour le jour pour ses récits de voyage ?
Je découvre qu'elle est décédée en 1997, nous avons été contemporaines! Moi, sans savoir qu'elle existait. Elle a fréquenté plein de gens mythiques (dans mon monde à moi) : Nicolas Bouvier, ils sont tous les deux suisses, à qui elle a répondu en guise de conseils "partez et si ça ne va pas, revenez".
Conseil qu'elle s'est appliqué à elle même pour sa première grande aventure : elle part pour un périple transatlantique et après avoir traversé la Manche avec son amie (Miette) celle-ci s'est découverte enceinte. Elles sont revenues, fin de la traversée jusqu'à New York. Evidemment elle est repartie, en Russie cette fois grâce à la veuve de Jack London qui lui donne 50 livres - une somme j'imagine.
- Pourquoi voyagez vous ?- Pour trouver ceux qui savent encore vivre en paixElla Maillard - la voie cruelle
Elle a voyagé avec Peter Fleming (agent MI6), frère de Ian Fleming, qui fut le modèle et la source d'inspiration des James Bond.
Dans la voie cruelle, elle retrouve le couple Hackin - Ria et Joseph - dans la vallée de Bamiyan. J'en suis toute émue - je sais c'est un peu ridicule - mais j'ai bloqué sur cette photo des Hackin au Musée Guimet dans la petite section consacrée aux Bouddhas de Bamiyan. Il y a une gravure et des photos du couple archéologue. Je suis resté scotchée devant la photo de leur camp de fouille. Des tentes, des tables, des espaces de travail (archéologique, pas de nomadisme avec des playlists Cigarette after sex). J'avais été envieuse de ce camp, de ce couple, dans ce lieu, avec les Bouddhas géants. J'avais ressenti la vallée, sa couleur, sa chaleur telle la vallée de Turfan dans le Xinjiang (route de la soie, à la frontière avec le Kirhkistan et plein d'autres pays en "an"). C'est là où, de ma vie, j'ai été le plus proche de Kaboul et des Bouddhas géants encore débout en 2010.
En lisant le récit d'Ella Maillart, je me dis que peut-être, elle est aussi sur cette photo du Musée Guimet. J'irai vérifié. Je ne connaissais pas Ria et Joseph Kackin avant de le voir au Musée Guimet, un couple tout aussi intéressant qu'Ella Maillart, mais plus classique: il a (évidemment) 20 ans de plus qu'elle. Est ce qu'un jour on sortira de ces clichés ?
Je révisite presque la même route qu'avec Isabel del Real à vélo, mais 80 ans plus tôt. En clin d'oeil, Ella Mailart raconte sa rencontre avec un couple à vélo ; la femme a laissé tombé le barreau (comme Isabel) pour rejoindre Pékin à vélo avec son homme. C'est à Téhéran qu'ils se croisent et passent du temps ensemble.
Trois maisons très différentes, trois manières de vivre et trois piscines (coeur translucides et frémissants de jardins bien soignés) - ainsi pourrait se résumer notre séjour forcé à Téhéran.Ella Maillard - la voie cruelle
Ella Maillart est férue d'histoire (c'est le quelque chose de plus?) avec des noms jamais entendus (pour moi) de princes en tout genre, turcs, perses, mongoles, dont Oldjaytu (perse) dont le Mausolée à lui seul vaut le voyage en Iran (un peu avant Téhéran quand on arrive de Turquie (c'est à dire par le Nord, pour éviter la Syrie et l'Irak). Oldjaytu vaut son pesant d'or : il a été baptisé, puis s'est converti au bouddhisme (comme Jayavarman VII le chouchou) puis à l'islam, parce qu'il était impressionnés par les savants chiites et sous l'influence de sa femme. Mais surtout il entretenait une correspondance avec Philippe Le Bel, Edouard II et le pape Clement V. Le gars a vecu entre 1280 et 1304! A peu d'années près il aurait aussi pu correspondre avec Jayavarman VII et Alienor d'Aquitaine.
Je m'égare, toutes ces connexions, possibles, réelles ou imaginaire me fascinent. Ce sont les liens des fils de mes écouteurs (je suis définitivement perdue!)
J'adore ces croisements, ces liens entre des gens qui se croisent dans la vraie vie : les Hackin, Ella Maillart, ceux qui pédalent à 80 ans d'intervalles et moi qui les lit à une semaine d'intervalle.
Une fois de plus j'avais la preuve que je peux m'observer avec détachement et que c'est la curiosité qui prime sur tout en moi. Lors de mes plus grands moments dans le danger comme dans l'amour, je reste la spectatrice de moi même.Ella Maillard - la voie cruelle
Ella Maillart dit voyager pour se comprendre, moi je crois c'est pour faire des liens et m'assurer des similitudes d'une période à une autre, d'un lieu à un autre, constater que nous ne sommes pas si différents, quelque soit l'endroit où on vit.
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