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Drôles de dames

Los Dias Afuera @Theâtre de la ville 

Ma sélection de lectures et de spectacles est (forcément) très orientée, genrée s'il faut préciser. Je pousse toujours un peu plus loin, par curiosité principalement, une lecture en amenant une autre, ou un spectacle. J'en suis à me dire que les femmes sont extraordinaires et que c'est peu montré. On s'habitue aux héros, ceux qu'on a trop vus, et je m'en lasse.
Alors que je reste toujours ébahie, fascinée, envieuse même de ces drôles de dames qui savent faire de leur vie un truc à partager.

La semaine dernière, nous sommes allés au Théatre de la Ville (abonnement annuel) voir un spectacle de Lola Arias, une argentine qui anime des ateliers en prison. Après un film, elle embarque six personnes  dans un spectacle Los Dias Afuera qui raconte la détention, la vie dedans, le retour dehors, les allers-retours, et comment on s'en sort. (si on s'en sort). Le spectacle mêle danses, chants, textes écrits en ateliers par les détenues, théâtre, et témoignages. 
Tout est en espagnol, traduit en français et en anglais, sur des panneaux numériques. Je ne parle pas espagnol (au delà de d'accord, une bière et un poulet frites s'il vous plait, merci), je n'en ai pas perdu une miette.
L'expérience est immersive, pas technologiquement immersive, mais emphatiquement immersive. 
On ne peut rester indifférent. 
On ne peut rester spectateur alors qu'on est littéralement au spectacle.
Les histoires de ces six personnes m'ont touchée, j'ai été émue, j'ai versé des larmes autant de joie que du reste, j'étais engagée dans leurs histoires et pourtant je ne peux me projeter dans aucune. Ce sont toutes d'autres vies que la mienne. Bien loin de la mienne.
Six personnes, quatre femmes cis genre, une femme trans et un homme trans. Toutes détenues dans une prison de femmes, toutes avec des histoires de vie de travers, avec des élastiques de rappels imbattables, des passés qui n'en finissent pas de les enfoncer. 
Et pourtant elles sont là, à raconter leurs histoires, sans amertume, sans rancoeur, sans violence. 
Juste leurs histoires de vie, qui n'ont rien à voir avec la mienne, un vendredi soir au fond de mon fauteuil parisien. 
Et pourtant je suis avec elles.
Et je ne suis pas la seule. 
D'un seul mouvement la salle s'est levée pour applaudir. Nous étions tous sous le coup de cette émotion qui nous a mis en lien avec les histoires de vie de ces six drôles de dames qui n'ont rien à voir avec les nôtres.

Je finis dans l'entre-temps la voie cruelle de Ella Maillart qui parle autant du voyage que de sa relation avec Annemarie Schwarzenbarg. Ou plus exactement qui tourne autour de sa relation avec Annemarie. Rien sur sa sexualité, tout sur l'amitié. Que du politiquement correct.
Pas une mot sur le sentiment amoureux qu'elle pourrait éprouver pour Annemarie.
A regarder la vie de Ella Maillart, rien sur sa vie amoureuse, sexuelle encore moins. On lui connait une infinité d'amitiés féminines, une longue amitié avec Peter Fleming avec qui elle partagera sept mois de voyage en Asie, mais rien d'officiel. Pas de section vie privée dans Wikipedia. 
Dans la voie cruelle, elle écrit tout de même un drôle de paragraphe, tout en circonvolutions pour expliquer ce qui semble inexcusable.  
Nous sommes en 1939,ne l'oublions pas. L'homosexualité en Suisse  - dont  elle est originaire -  a été dépénalisée en 1942 (et c'est tôt!), sur les questions transgenre c'est moins clair. Pourtant Annemarie Schwarsenbach est "ouvertement homosexuelle" d'après Internet (mon ami) mais ce mot n'est jamais écrit par Ella Maillart. 
Pour ceux qui s’identifient complètement à leur corps, il serait déplorable qu’ils soient attirés par leur propre sexe. Certaines lois physiologiques étant ignorées, la première conséquence serait une profonde frustration, bientôt suivie, sur le plan mental par un déséquilibre et une certaine morbidité. Mais pour ces êtres d’une qualité exceptionnelle, et qu'on rencontre rarement qui s’identifient à leur faculté de penser, qui savent que la pensée seule existe, car sans pensée il n’y aurait ni corps, ni monde objectif,, la question a moins d’importance, l’être mental n’a pas de sexe, ou plutôt il comprend les deux sexes alternativement, ou simultanément. …
Pour ces personnes extraodinaires, il n’est pas grave qu’elles ne suivent pas les lois de la nature car on peurt dire qu’elles les ont dépassées
Ella Maillart  - la voie cruelle

J'aime beaucoup les contorsions, le besoin d'excuser, tout ce discours qu'elle essaie de rendre rationnel autour de son amie, qui est prise pour un garçon tout le long du voyage. Un seul coup d'oeil aux photos d'Annemarie ne laisse aucun doute sur la façon dont elle se vivait. Peut être même que son addiction à la morphine et son mal-être sont liés au fait qu'elle ne s'identifiait pas totalement à son corps assigné, et pas à "sa faculté de penser"
Aujourd'hui,, elle serait probablement étiquetée avec une dysphorie de genre ;je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Ni en quoi cette étéiuqette est un progrès ou pas. 
Cette drôle de dame qui traverse en Ford l'Iran et l'Afghanistan a beaucoup de mal à raconter la réalité de ses sentiments vis à vis de sa compagne de voyage.
Annemarie aurait eu des choses à dire dans le spectacle de vendredi, Ella en aurait écrit un article vasouilleux et contorsionné, qu'elle aurait voulu philosophiquement scientifique !

La dernière des drôles de dames est Lee Miller. Son biopic est sorti cette semaine, malgré les critiques désastreuses (je les confirme toutes), je suis allée voir le film. 
Lee et moi on se fréquente depuis longtemps. Elle, nue comme modèle de Man Ray, moi dans mes jeunes années parisiennes où j'allais voir toutes les expositions possibles et inimaginables (y compris les rétrospectives de Poussin et Titien  - j'étais insatiable !). 
Puis à l'Orangerie dans l'expo Qui a peur des femmes photographes ?  Puis Femmes reporter de Guerre au musée de la libération et enfin toute une exposition lui était consacré à Arles en 2022.
Il en faut des expositions et des années pour que son nom entre dans l'histoire, de la photographie. Elle est  bien dans Une histoire mondiale des femmes photographes, mais elle n'a toujours pas d'opus dans la collection Photo Poche de Actes Sud alors qu'elle a été la première journaliste à photographier  les camps de concentration, alors qu'elle a eu une expo aux rencontres photographes d'Arles, alors qu'elle a été pionnière dans bien des sujets sur la photographies...
Not enough. Toujours pas. 
Grande dame. Mauvaise mère nous dit le film. 
Le film est évitable. Dommage.
Lee ne l'est pas. 

Aucune de ces drôles de dames n'a un Charlie pour lui dire que faire ou pour la sauver  "... on les avait cantonnées dans des travaux bien peu passionnants. Alors moi, Charlie, je les ai engagées, et je ne le regrette pas, car ce sont vraiment de Drôles de Dames". 
Elles sont extraordinaires sans homme. 
Ce que ne serait pas le cas pour le prix Nobel de Médecine sans sa femme, Rosalind Lee.
Mais c'est une autre histoire.



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