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Les hommes mentent-ils plus que les femmes ?

Yashuiro Ishimoto @ Le Bal

J'ai été frappée par l'attitude des accusés du procès de Mazan, ils nient, étape par étape, et ne reconnaissent les faits que l'un après l'autre parce qu'on les met en face des preuves : je ne suis pas entré dans la chambre, je ne l'ai pas touché, je ne l'ai pas pénétré, je n'ai pas ...

Et à chaque étape, au sein de la cour d'assise, sont montrées les images où on voit l'accusé entrer dans la chambre, puis la suite. Ce qui est étonnant c'est qu'ils mentent par étape et ne laissent pas tomber leurs dénégations à la première confrontation, alors qu'ils savent ce qui se passe ensuite. 
Le problème avec le mensonge, c'est que dès le premier c'est fini ; plus aucune chance d'être cru ensuite.
Je ne parle même pas des histoires rocambolesques qu'ils (se) racontent pour s'expliquer : "je n'ai jamais voulu le faire" (le viol involontaire),  "j'étais sous emprise" (la ligne de défense majoritaire des accusés aujourd'hui), "j'avais très peur alors j'ai obéi". La moindre des choses qu'on puisse leur reconnaître est qu'ils sont créatifs en matière de c***eries, où alors ce sont leurs avocats, peu importe ils les portent bien

J'aurai pu m'arrêter là, à me dire face à la justice, ces hommes (pas très courageux) mentent pour sauver leur peau. Mais dans le même temps, j'ai regardé la série britannique The Split sur Arte. Je suis tombée dessus en suivant sa scénariste, Abi Morgan, qui a aussi à son palmarès : la série The Hours, La dame de fer, les Suffragettes ... bref des films qui mettent en scène des femmes et leurs destins.
The Split suit 4 femmes ; une mère et ses 3 filles adultes, avocates en droit de la famille (les divorces principalement), dans leur vie à elles (mouvementées, comme la vie peut l'être) et celles des clients qu'elles accompagnent avec justesse et justice. C'est une remarquable recherche d'équilibre que la façon dont elles traitent les divorces, surtout Hannah, la personnage principale.

Parmi les événements de la série, il y a une grosse fuite (leak) d'un site de rencontres extraconjugales (l'équivalent de Gleeden en France, on a tous·tes vu les publicités dans le métro). Une première liste de 50 noms est diffusée dans la presse, ciblée sur des personnalités connues, plutôt show business. Le lendemain, une deuxième liste de personnalités publiques, cette fois plutôt hauts fonctionnaires et politiques. Le mari d'une de nos personnages principaux (je ne dis pas tout pour ne pas spoiler, car vraiment la série vaut le coup) est évidemment concerné. 
Il ne se dit pas qu'il va être révélé, il ne dit rien à son épouse. Jusqu'à ce que un ami-qui-lui-veut-du-bien, le pousse à prendre les devants. 
Premier réflexe : pas vu, pas pris.
Confronté à la liste publiée, il le dit à son épouse, en précisant  : "je n'ai fait que créer un compte, un soir où je m'ennuyais en déplacement".
Même moi, j'ai été tenté de le croire, tout en me disant qu'il était un peu bête il aurait du utiliser un pseudo (drôle de réflexe que j'ai eu la tout de même!)
Etape 2 : il est confronté à une photo où il est attablé avec une femme : "je n'ai fait que diner avec elle, une fois". 
Sa femme, avocate spécialiste des divorces a dans son répertoire les coordonnées d'un détective privé.
Etape 3 : elle lui met sous le nez d'autres photos : "oui, j'ai couché avec elle, une fois, ça n'a pas d'importance".
Etape 4 : des dates et des notes de frais. Enfin, il reconnait toute l'histoire.

Ma question c'est : pris la main dans le sac pourquoi il n'en dévoile la vérité que par étapes?  Pourquoi il continue de mentir alors que objectivement toute l'histoire va être mise en lumière? Et que pris au premier mensonge, on va nécessairement vérifier tout ce qui est dit ensuite?

Dans la même série, quand la situation est inversée : elle ne ment pas, elle dit tout, elle répond à toutes les questions dès la première, sans rien édulcorer (alors que peut-être lui dire que le sexe est mieux avec son amant était pas une vérité indispensable à dévoiler).

Faut il en conclure que les hommes sont des menteurs? Et pas les femmes?
Ce serait tellement tentant. Se dire qu'intrinsèquement les hommes mentent. 
Les procès pour viol seraient bien plus faciles à conclure. Aujourd'hui une plainte pour viol sur 10 aboutit à une condamnation. (sachant que seul un viol sur 10 seulement fait l'objet d'une plainte, je vous laisse faire le calcul de combien de viols commis sont effectivement condamnés).

C'est bien plus simple et bien plus triste.
Les hommes sont crus quand ils parlent. Quoi qu'ils racontent.
Ils ont l'habitude d'être écoutés, entendus, que leur parole compte.
Collectivement nous entendons mieux les hommes, nous ne remettons pas en cause leurs propos. 
Quand un homme parle, personne n'imagine qu'il ment. Quand une femme parle il y a trop de bruit (littéralement et métaphoriquement) pour que sa parole ait la même portée que celle d'un homme, elle est soit minimisée ou pire mise en doute. 
Ce n'est pas moi qui le dit, les études le montrent, dès le plus jeune âge, le temps de parole des garçons à l'école est plus long, et plus valorisé, ils sont peu contredits et moins rappelés à l'ordre quand ce qu'ils disent est inexact ou imprécis. Ça commence tôt, dès la maternelle.

C'est ainsi que nous sommes éduquées et sociabilisées. C'est ainsi que nous en prenons l'habitude, nous pensons que nous nous trompons, ou que ce qu'on dit n'est pas assez solide. Que les hommes disent juste et donc vrai, parce qu'ILS savent.

J'ai été la seule femme associée dans un cabinet de conseil, et ça n'a jamais été simple ni de prendre la parole, ni de se faire entendre. J'ai quitté une réunion d'associés un jour où tout simplement je n'ai pas réussi à finir la phrase commencée à plusieurs reprises. Aucun de mes associés ne s'est jamais entendu dire qu'il était hystérique et qu'il fallait qu'il se calme; ou encore s'il "avait ses règles parce que franchement ce que tu dis là..." , ni ne s'est fait crier dessus par un collègue pour des idées divergentes. Ce sont juste des scènes de la vie ordinaire de la paroles femmes en milieu professionnel ordinaire, voire même qui se disait "progressiste".

Et même quand on pense savoir, qu'on est sûre de savoir, on doute et il reste rare qu'on tienne tête.
Mon iAdoe séjournait dans la famille de son copain, qui est le dernier d'une fratrie de cinq frères. Du Morbier est servi sur le plateau de fromage, discussion s'engage sur la rainure médiane, sombre. Mon iAdoe qui fait ses études à Belfort, pays du Comté et du Morbier,  parle de la cendre au milieu. Les frères n'ont aucun doute : ce n'est pas de la cendre, c'est du moisi. Parmi eux, un est cuisinier dans un grand restaurant, sa parole compte, pas de doute c'est du moisi, même mon iAdoe est repartie avec cette certitude. Personne n'a vérifié, c'est en rentrant chez nous que la vérité du Morbier a éclaté (c'est de la cendre).
J'ai la même histoire avec mon mari qui soutient devant des amis que la baie de Marlbourough est sur l'ile du Nord en Nouvelle-Zélande. Je le contredis, une fois, c'est tout de même moi qui achète le vin, il insiste, sûr de son fait. Pour ne pas avoir l'air d'idiots se chahutant je me tais, et j'attends d'être à la maison pour lui mettre la carte sous le nez. Je savais, son insistance m'a mise le doute et j'ai choisi de ne pas le confronter devant d'autres. Même moi. Notons que lui n'a pas été gêné de me contredire, ni ne c'est dit que ce n'était pas le bon endroit pour se contredire sur le sujet. Il a l'habitude d'avoir raison, il n'y voit rien de grave. C'est juste symptomatique de la façon dont les hommes ont été sociabilités.
Plus drôle, il a toujours raconté que les chèvres du Rove, celles qui font la fameuse brousse du Rove ont les yeux bleus. Il le croyait, depuis très longtemps, depuis aussi longtemps que je le connais. Jusqu'à ce qu'il repète ça devant une amie qui est originaire du Rove. Elle éclate de rire, s'ensuit une discussion où il lui tient tête, jusqu'à ce qu'internet (qui est notre ami ne l'oublions pas) le mette devant la vérité : les chèvres du Rove n'ont pas les yeux bleus. 
Des exemples bénins, sans conséquence.
Les hommes sont sûrs d'eux parce que c'est ce que la société leur a toujours renvoyés, moi y comprise quand je ne contredis pas mon iMari devant 'autres. Alors pourquoi ne pas mentir, il y a plus de chances qu'on les croit plutôt qu'on les contredise. 

C'est comme ça que les histoires de viol et d'inceste restent invisibles, peu jugées, qu'elles finissent en grande majorité par être classé sans suite (stade de l'enquête) ou en non-lieu (stade de l'instruction). 
Un homme se dit non coupable, il est cru. La parole d'une femme est bien moins audible, surtout si elle contredit un homme. Il me faut fournir un effort pour contredire mon iMari sur une histoire de vin, et Internet à mon amie pour lui prouver le contraire, alors imaginez si c'était plus grave.
Imaginez si c'est un enfant qui doit dire et contredire son père. 

C'est ce que raconte la série de podcast Mère en cavale de Passages (chez Louie Média). Les mères ont tout : le témoignage de leur vécu (la violence du père), la parole de leur enfant, parfois des enregtrsments des mouchards mis dans les doudous des petits, des attestations de psychologue ... et pourtant la justice continue de croire les pères incestueux qui se déclarent innocents. 

Imaginez l'aplomb que peut avoir un homme (qu'il soit Depardieu, Poivre d'Arvor ou un quelconque Jean Jacques de Mazan) quand il s'agit de sauver sa peau : il ment jusqu'au bout, il y aura bien un moment où il sera cru.
Les hommes savent qu'ils seront entendus et q'on les croira,  alors ils mentent parce que c'est facile. C'est la chose la plus facile à faire dans leur situation.
Moralité : le Morbier c'est de la cendre au milieu, et on peut le boire avec du Chardonnay de Malbourough Bay (south NZ).










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