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Dans l'air du temps littéraire

Bord de Loire 

J'ai un peu pris peur quand j'ai vu les quatre finalistes du Goncourt.
Je venais de lire un article dans Le Monde, sur le dernier livre de Jean-Baptiste Andrea, Veiller sur elle. Roman que j'étais en train de lire. J'avais adoré Des diables et des saints. J'ai résisté un peu avec Veiller sur elle. Une veille de week-end, en anticipation du temps gris et de mon canapé, je l'ai acheté. J'avais besoin d'une lecture revigorante après Triste tigre, et un essai que j'avais péniblement terminé mais qui était totalement sur-côté (Etre à sa place de Claire Marin).

Ce que je lisais avait droit à un article dans Le Monde!  Journal qui n'a pas des goûts très décalés, plutôt des choix sans risques.
Et je connaissais les quatre finalistes du Goncourt. 
Pire, j'avais même lu deux des livres en lice Triste tigre, et Veiller sur elle. Les deux autres sont Gaspard Koening dont j'ai lu les articles hebdomadaire dans TTSO pendant des années, et Eric Rheinart pour un roman qui est dit féministe (ce qui m'énerve !) et présentée comme une autre version de L'amour et les forêts (qui m'avait achevé à l'époque). 
C'est bien la première fois que je suis aussi tendance, autant dans l'actualité littéraire. Je dois vieillir, je me retrouve mainstream alors que je me vis étrange et décalée dans mes goûts littéraires. Rattrapée par la mode. Moi, qui prend soin d'éviter tous ces prix littéraires institutionnels.

Serai-ce un passage? Une période ? Un égarement? Un relâchement ? Une déviation? Une déviance?

C'est une facilité de lire Veiller sur elle, une valeur sûre pour un coin de canapé le week-end. 

J'ai mis du temps à le finir, il met du temps à démarrer. L'histoire ressemble étrangement à ses précédents Ma Reine, ou encore Les diables et les saints. C'est l'histoire d'une amitié infinie et immortelle depuis l'enfance, des personnes bizarres qui se reconnaissent, qui s'aiment, se trahissent, se perdent et se retrouvent parce que jamais ne s'oublient. J'ai failli le lâcher en cours de route, tellement l'histoire est semblable aux autres. Puis je ne sais par quel miracle,  à un moment ça se densifie, on sort de l'intrigue de l'amitié des deux, une nouvelle dimension se développe, tout de suite de l'épaisseur. 
Il est malin Andrea, il est aussi dans l'air du temps. Si on suit le narrateur qui nous parle à la première personne dans la plupart des chapitre, il raconte en creux l'histoire de Viola et la place de femmes dans la société du 20ème siècle. Les femmes sont à la disposition des hommes, leurs pères, leurs frères pour faire rayonner la famille, leur mari pour faire prospérer les affaires. Elles ne peuvent rien faire pour elles-mêmes, ni être trop cultivées, c'est une tare, voire un handicap.
La pire violence, c’est l’habitude. L’habitude qui fait qu’une fille comme moi, intelligente, car je pense l’être, ne peut pas disposer d’elle-même. A force de me l’entendre dire, j’ai cru qu’ils savaient quelque chose que j’ignorais, qu’ils savaient un secret. Le seul secret, c’est qu’ils ne savent rien. Voilà, ce que mes frères (..) et tous les autres essaient de proteger.
Jean-Baptise Andrea – Veiller sur elle

C'est ça et la toute fin qui donne une nuance à ce roman. Sinon Andrea creuse le même sillon, en s'améliorant. Il écrit bien, c'est en presque poétique et quand la grande Histoire de l'Art et du fascisme s'invite dans la petite, on sort du tunnel pour s'échapper de la lisère (cf Les diables et les saints pour la référence au tunnel). 

Lui parler, c’était rouler à tombeau ouvert sur une route de montagne. J’en revins toujours épuisé, terrifié, exalté, ou un mélange des trois.
Jean-Baptise Andrea – Veiller sur elle

Et ses dialogues sont des répliques que l'on aimerait avoir dans notre bouche, dans nos vies :

Quand tu dis au revoir à quelqu’un que tu aimes, tu fais quelques pas, puis tu te retournes pour la voir une dernière fois, peut-être même faire un petit signe de la main. Moi je me suis retournée. Toi, tu as continué à marcher comme si tu m’avais déjà oubliée. J’ai donc décidé que nous nous reverrions jamais. Puis j’ai reflechi, et je me suis dit que c’était sans doute parce que tu étais un rustre ou un ignare.
Jean-Baptise Andrea – Veiller sur elle
La prochaine fois que je quitte quelqu'un que j'aime, je penserai à me retourner. 

Ce roman ne passe pas le test de Bechdel. Il y a certes plusieurs personnages féminins (mais pas tant que ça), elles ont un prénom et sont bien identifiées, mais elles n'ont pas de dialogue entre elles. Aucune interaction entre les quelques personnages féminins de ce roman.
A l'image du roman, les personnages féminins ne sont là que pour mettre en scène les personnages masculins, leur donner de la consistance. Ils sont à disposition :
Mais il m’était arrivé quelque chose, et son nom tournait dans ma tête comme ces mélodies que nos vieux chantaient quand ils avaient trop bu, ces airs de pays qui leur rendaient leurs yeux de vingt ans 
Viola. Viola.Viola
Jean-Baptise Andrea – Veiller sur elle
Il pourrait obtenir le Goncourt. 
Triste Tigre est trop violent, imaginez tous les gens qui vont l'offrir à Noêl sans l'avoir lu, c'est un bien grand risque. 
Koenig est très marqué politiquement, même si son roman est pile dans l'air du temps avec son histoire d'étudiants d'Agrotech qui décident de sauver les vers de terre.
Rheinardt est un bon candidat, il a le bon âge (approche les 60 ans tranquillement), il est du milieu (édition, arts et compagnie) et surtout il a déjà été nommé deux fois. Il serait même le candidat idéal, avec son alibi de roman féministe.
D'où Andréa en outsider, dans une maison d'édition indépendante. Pas impossible.

Quand je me vois faire des prévisions sur le prix Goncourt, je me dis que je ne vais pas bien du tout d'un point de vue littéraire!

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