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Ce qui est en jeu

Portraits de grévistes de la faim irlandais morts en 1981

Je me suis beaucoup déplacée en scooter dans Paris ces dernières semaines, et mes tours de deux roues m'ont amené boulevard Saint Germain, à passer devant le ministère de la transition écologique.
Il y a des arbres en face du ministère et la semaine dernière j'ai remarqué que des tentes étaient accrochées dans un arbre en face du ministère. Trois pour être exacte. J'ai pensé que des activistes s'étaient installés là pour protester. Et j'ai vu la banderole. Pas des activistes, mais un activiste, qui faisait la grève de la faim.

La grève de la faim. Depuis le 1er septembre, nous étions une quinzaine de jours après, et je n'en avais pas entendu parlé. Je lis Le Monde tous les jours - la une, les pages société, et culture -  pas un mot sur la grève de la faim et les tentes dans l'arbre en face du ministère de la transition. 

J'ai du chercher pour trouver, pas en tapant militant dans un arbre, mais A69. Depuis, ça y est on en parle.  On parle de Thomas Brail qui en est à 22 jours de grève de la faim pour protester contre la construction de l'autoroute entre Toulouse et Castres. Mais le 14 septembre, personne n'en parlait, ni le Monde ni les réseaux sociaux. 

Il a fallu qu'il rencontre le ministre pour que les médias se penchent dessus. Et pourtant ce gars fait la grève de la faim, c'est à dire qu'il se laisse mourir sous nos yeux, en plein Paris, il choisit d'arrêter de vivre pour se faire entendre. Ce n'est pas n'importe quel moyen de lutte.

Cette modalité de protestation me touche énormément. Je suis directement ramener aux Irlandais en 1981, j'avais 10 ans et je ne comprenais pas, ou plutôt je comprenais très bien,  il m'échappait juste pourquoi Margaret Tatcher ne lâchait pas. Hors de mon entendement : pourquoi elle ne discutait pas (comment c'était seulement possible?), comment elle pouvait dormir la nuit alors que des gars refusaient de s'alimenter dans cette prison, et en sont morts. Je me rappelle quand ils sont morts, je ne me rappelle pas leurs noms, mais je rappelle avoir eu une boule dans le ventre, une grande angoisse et une immense envie de pleurer. à caque soir. Je suivais le journal de 20h pour savoir ce qui se passait, je lisais le Nouvel Observateur de mes parents. J'avais 10 ans, je ne sais pas ce que j'arrivais à attraper, j'en étais très perturbée, presque malade. Aujoudhui encore, je me demande encore comment cette cheffe d'état a vecu avec ça : comment voit-elle sa responsabilité? Est ce que ce qui était en jeu valait la mort de 10 personnes ? Est ce quelle aurait aimé faire autrement ?

Noël dernier, nous étions à Dublin, en visitant musées et histoire, j'ai découvert que les Irlandais étaient coutumiers du fait ; au moment la première Guerre Mondiale, il y a eu des tentatives d"indépendance en Irlande et un des moyen de protestation était déjà la grève de la faim. Une douzaine de personnes en sont décédées entre 1917 et le début des années 20. Entre les famines et les grèves de la faim, les Irlandais ont un drôle de rapport avec la nourriture. 
La lecture de ces histoires me donnent la chair de poule, mon ventre se tord. Les visages de ces hommes sur la façade du pub où nous retrouvions des copains pour boire un coup m'a émue aux larmes encore en décembre 2022. Quarante ans plus tard la même émotion.

Et en septembre 2023, un homme dans un arbre est dans la même protestation face à un ministre relativement jeune, né en 1981. Clément Beaune (le ministre en question, en charge des Transports) ne se rappellera donc pas de la mort des Irlandais, ce monsieur a fait des grandes études, il doit  - je l'espère -  connaitre l'histoire de ces 10 hommes morts pour leurs idées. Je ne souhaite pas que Thomas Brail meurt dans son arbre, mais je souhaite de tout coeur que le ministre reconsidère sa position, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

A-t-on besoin d'une autoroute supplémentaire ? La démarche 0 artificialisation nette vise à ne plus convertir de zones arables ou agricoles en zone constructible, ce qui par exemple gènent les communes qui veulent construire des habitations, et génère une pénurie de logements (sociaux notamment). Certains ne peuvent pas se loger mais d'autres qui veulent rouler plus vite peuvent préempter des terres au nom du gain temps.

Quand est-ce qu'on limitera la voiture? Ou tout du moins arrêtera-t-on d'investir pour toujours plus de place pour l'automobile? La place que prend la voiture dans l'espace publique (les places de stationnement, les rues pour les véhicules, les autoroutes) reste l'appropriation de ce qui est à tous par un petit nombre (de privilégiés souvent). Encore une domination.

Je me suis demandée qui était à Castres pour que cette autoroute deviennent un tel enjeu que notre jeune ministre de la transition écologie ne fasse pas un exemple. J'ai rapidement trouvé : Les Laboratoires Pierre Fabre, fleuron de la pharmacie et cosmétologie française, groupe international qui réclame cette autoroute. Sans être journaliste, je me dis qu'il y a certainement quelque chose là, des interêts croisés, des intérêts à plusieurs bandes comme au billard. 
Devons-nous rappeler au DG des Laboratories Pierre Fabre les mots qu'il a prononcé pour L'Usine Nouvelle en mars dernier : "il faut accepter de payer le prix de la transition écologique (...) faire mieux avec moins. L'homme n'est pas contre la nature, il faut partie de la nature". 
Et l'autoroute? Monsieur Ducourneau, c'est peut-être le moment de payer le prix de la transition écologique et de vous passer de cette autoroute.

Il y certainement moyen de renforcer la sécutié de la nationale et faire les contournements nécessaires des villes, sans faire cette autoroute, sans préempter toutes ses terres arables, agricoles, vivantes ... Oui mais sans revenu alors pour la société d'autoroute qui en a eu la concession. Ce qui est en jeu est peut-etre là.

Alors Monsieur Beaune c'est le moment de mobiliser le mot "transition" pour votre ministère et de passer à l'action. Mettez les investissements prévus pour l'A69 au service de la transition de mission que devra opérer Ascota (la société d'autoroute en question) et les entreprises de BTP autour. 

C'est une question de choix, de décision. Ce n'est que ça.

Monsieur Beaune, si vous ne le faites pas, je vous conseille alors de vous renseigner sur comment Margaret Tatcher a réussi à dormir la nuit après la mort des 10 Irlandais, parce que Thomas Brail sera peut être le premier , mais pas le dernier.


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