Collage Légende Urbaine 2021 |
Lors de mes pérégrinations, j’ai passé du temps à discuter avec quelqu’un, qui n’est pas un ami (après cette soirée ça se discute?), que je connais peu au final (si on met bout à bout le temps passé ensemble ou au téléphone) et avec qui j’ai des discussions profondes et intimes.
Je ne sais que peu de choses de lui, de son quotidien. Je connais le poste qu’il occupe et son bureau mais ni où il habite, ni à quoi ressemble son intérieur. J’oublie son âge qu’il me rappelle régulièrement. Je sais qu’il repasse ses chemises le dimanche après-midi et qu’il m’appelle parfois pour papoter. Ce n’est pas exactement la définition d’un copain qu’on connait bien.
Il m’appelle parfois le matin sur son trajet à pied pour aller au boulot juste pour parler, ou le soir quand il rentre, ou quand il pédale sur des routes éloignées pendant ses congés pour me montrer un paysage qui lui plait. Au final, je crois que c’est exactement ce qu’on fait avec un ami, on partage des moments et on l’appelle quand on a envie de lui parler.
On ne parle jamais de la pluie et du beau temps, ou de l’actualité. On parle de nos vies, lui plus que moi. De l’existence, de sensations, de sentiments, des relations qu’on a avec d’autres, de la nôtre. C’est beaucoup lui qui parle, moi qui réagis, et partage de temps en temps mon vécu, mes 15 ans de plus. Il me dit « tu partages ce que tu veux », et j’entends qu’il prend ce que je veux bien donner, et que dans la relation ce que je donne est un cadeau.
On rit, il pleure parfois, est ému souvent.
Et il me disait l’autre jour qu’il a été seul jusqu’à ses trente ans, voire un peu plus.
Seul.
Totalement seul.
Pas de relations amoureuses ni avec des filles ni aves des garçons.
Et peu de relations amicales, surtout pas avec des garçons.
Il raconte que jamais il ne s’est senti en connivence. Les garçons trop lourds, pas du tout les mêmes références, ni les mêmes valeurs. Jouer les gros bras ne l’intéressait pas, ni se moquer des filles, ni faire semblant.
Il est pourtant beau gars, bien dans son corps, très sportif.
Et sensible. Mais sensible.
Quelqu’un qui aime analyser les relations, en parler et être en lien avec les autres.
Il n’a pas trouvé quelqu’un comme lui dans les petites classes, je l’imagine timide à l’époque, puis au collège encombré par sa grande taille, un peu solitaire. Les études n’ont pas été mieux, « les mecs étaient des bourrins », et aucune fille ne s’est approchée ou laissée approchée.
Et pourtant il a un bon radar, en ce qui concerne les gens. Il utilise son intuition, ce qu’il sent pour faire confiance, pour savoir « s’il y a une ouverture, un possible » dit-il.
Notre première rencontre était étonnante, c’est moi la coach et c’est lui qui a installé la relation en moins de quelques minutes. Je me suis assise à sa table de réunion, j’ai introduit notre entretien. Il m’a regardé : « je peux m’approcher ? », et attendu ma réponse avant d’approcher sa chaise. Nous avons mené ce premier entretien chacun à un angle de la table, à moins d’un mètre - c’était une époque où le Covid n’existait pas.
Il était à moins d’un mètre et tout proche aussi, très confiant dans ses propos et dans son attitude, comme le Petit Prince avec le Renard à la première rencontre.
Je sais que les gens se confient facilement à moi. Depuis toujours, ça n’a pas toujours été confortable, tout n’est pas bon à savoir. J’ai perdu des amis à trop en savoir sur les histoires de couples, de tromperies, de ceux qui veulent partir et qui restent finalement. C’est l’oreille amicale qui fait les frais de la relation.
J’ai mis des années à apprivoiser ce truc chez moi, à détecter le moment de la confidence et à le contourner si je le souhaite, à repérer ce qui doit être écouté de ce qui dit être évité. Mais il arrive encore que je sois prise par surprise et que d’un coup on s’approche de moi très vite, très près. Parfois trop, et j’en suis troublée. Un ancien reflexe de peur, un vieux réflexe de Renard qui a besoin d’être apprivoisé.
Je suis une lente dans les relations, et certains n’ont pas ce temps. Ils ont trop attendus, ils ont trop envie ou tout simplement ils ont confiance, ils sont sûrs de leur fait. Ils s’approchent vite et près. Je dis ils, ce sont des hommes qui font ça.
Lui est comme ça. Il a été proche, très vite. Pas trop vite, il ne m’a pas fait peur, il s’est fait une place dans mon cercle, dans ma vie, dans mon cœur. C’est quelqu’un qui compte pour moi.
Savoir qu’il avait été seul jusqu’à plus de trente ans m’a terriblement touchée.
Ce soir-là nous avons bu un verre et parler pendant des heures. Jusqu’à l’heure de mon départ. C’est là qu’il m’a raconté tout ça. L’expérience de la solitude, si douloureuse. La remise en cause qui va avec, les efforts, l’attention aux autres, la croyance de ne pas être suffisamment bien. De ne pas être digne d’être aimé.
Je lui ai dit qu’il était aimable, au sens digne d’être aimé. Que moi je l’aimais, et que je pense qu’il est une belle personne.
Il en a pleuré d’émotion. Respire je lui ai dit.
Il riait et pleurait en même temps.
Il m’a raconté sa nouvelle relation, avec tout ce qu’elle a de beau et de compliqué. Avec toutes ces promesses d’avenir et tout ce qu’elle ferme aussi comme possibilités.
Il me parle de son frère dont il s’est occupé pendant ces études, il a habité avec lui, l’a nourri et l’a soutenu quand il révisait tard. Lui adulte avait déjà son diplôme et travaillait et il s’est assuré que son frère avait toutes les conditions pour réussir ses études. « C’est la personne qui a été mon Monde pendant longtemps» . Il est bien embêté que son frère ne sache pas dire à sa famille qu’il les aime. Il est emu aux larmes quand il évoque l’incapacité de son frère a en parlé.
Ce type est juste incroyable, il me raconte ça sur le même ton que d’autres me parle de leur business plan.
Cet homme est tellement lucide, tellement franc avec ce qu’il ressent que ça en est déroutant. Il a la réflexivité de quelqu’un qui aurait fait des années de thérapie. Un endroit où il n’a jamais mis les pieds.
Des années après, nous avons reparlé de notre première rencontre. Il ne se rappelait pas sa demande pour s’approcher « j’ai senti qu’il y avait quelque chose de possible, j’y suis allé ». Quand je lui dis que nous avons une relation intime, il n’est pas sûr de comprendre ce à quoi je me réfère. Je suis obligée d’expliquer ce qu’est l’intimité en relation :
je ne sais pas parler d’autre chose avec les gens que j’apprécie
Moi : Tu es un ovni. Peu de gens sont comme toi, ça explique aussi la solitude toutes ces années.
Lui : Toi, tu es comme ça.
Moi : Oui, je suis aussi une ovni, et moi j’en ai fait mon métier.
Son référentiel de relation c’est une relation de proximité, d’authenticité et attentionnée.
J’aimerai rencontrer ses parents. Je vénère ses parents d’avoir élevé un homme comme lui. J’aimerai avoir des fils comme lui. J’aimerai qu’il soit la norme et non plus l’exception. J’aimerai qu’il soit heureux.
Le monde a besoin de plus d’hommes comme lui.
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