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Il neige dans Atsuko de Cosey |
En lisant Han Kang, je me suis demandée ce qui constituait un prix Nobel de littérature.
Nous nous engageons dans une forêt dont je ne peux identifier les essences à cause de la neige et de l'obscurité. Le chemin s'infléchit, les pas d'Inseon dessinent un arc doux. La bougie vacille, la flamme monte et descend, traçant des lignes rouges dans l'air. Des signes indéchiffrables. Comme une flèche qui volerait lentement, vers l'infini.
Han Kang - Impossibles adieux
La lenteur. L'immersion. L'empathie. L'étrangeté. La beauté. La poésie. La sensation. Le malaise. La douceur. L'intimité. La douleur.
Tout tricoté ensemble ; rien de cela.
Il m'a été offert deux des livres de Han Kang, que j'ai lu quasiment à la suite.
La végétarienne avec son lot d'étrangeté, de malaisance et de violence impose son lot d'effort à la lecture. J'ai du relire souvent, plusieurs fois certains passages, pas certaine de bien comprendre ce que j'étais en train de lire - l'aborder en anglais ne m'a certainement pas aidé. Le lire en français aurait eu le même effet, tellement ce que je lisais, était décalé, tellement loin de mes repères, tellement dérangeant que j'avais du mal à assimiler à la première lecture.
Je pensais régulièrement avoir loupé un truc, je ne suis pas assez attentive. Retour en arrière. Même constat.
J'en étais venue à chercher sur internet des résumés des chapitres, pour avoir une (re)lecture de ce que je lisais. Un drôle de processus, digne d'une folle (que je suis peut-être).
Mon erreur a été de chercher à comprendre.
Il n'y a rien à comprendre dans La végétarienne, il suffit de le lire, de le prendre comme tel, de le vivre et de ressentir. Ce n'est pas toujours agréable. En fait, il n'y a rien d'agréable dans la végétarienne.
Je suis très curieuse du processus de création de Han Kang, de la façon dont elle cultive son imagination. Elle a des imaginaires inhabituels, pour moi, pour d'autres certainement et pour la littérature occidentale. Est-ce un écart de culture? Est-ce la littérature asiatique ?
Je suis loin d'être une spécialiste, je suis juste boulimique, y compris de littérature d'aussi loin. J'ai eu ma période chinoise évidemment (elle s'est tarie en rentrant en France), une longue période indienne qui elle se poursuit de façon plus opportuniste, il y a toute une flopée de japonais que j'adore, tellement c'est lent, posé et prenant les choses de façon déportée (pour moi), coréenne c'est la première fois.
Impossibles adieux est très différent. Cependant les mêmes adjectifs s'y appliquent : la lenteur, l'immersion etc.
Elle nous emmène dans une histoire qui n'est pas rocambolesque, mais qui reste improbable, le pitch ne laisse pas imaginer le roman qui vient. Il y a des ramifications, des allers et retours, des détours, des histoires dans l'histoire et à la fin je me suis demandée qui dit adieu à qui.
Peu de vivants dans ce livre, et même celles qui sont censées l'être ne le sont tellement pas (censées) que la possibilité qu'elles ne soient pas de ce monde reste pour moi une éventualité. Je n'en saurai rien, le livre ne le dit pas (ni les résumés des chapitres su internet !) et encore une fois, comprendre n'est pas ce qu'il faut chercher.
Quand je lis, je veux toujours comprendre, jamais avoir compris
A propos de son éditrice Alix Pensent
Alice Zeniter – Toute une moitié du monde
La seule chose vivante, réelle, c'est la neige. Certainement le personnage principal.
Je me vois très bien dans le paysage, j'en ressens l'atmosphère, l'absence de bruit, sauf celui des flocons, la densité de la nuit et du blanc à la fois, le cocon ainsi créé, le confort et la confiance dans cette atmosphère alors qu'il n'y a rien de plus dangereux que de s'endormir sous la neige...
Je peux confondre le paysage avec celui dessiné par Cosey dans Atsuko (le tome 15 de la série Jonathan), les deux ne font qu'un dans mon film mental, l'impression générée par cette lecture s'associe inextricablement à celle de Cosey.
Le neige est le fil de tout le livre, elle efface, rassure, calme, endort, réchauffe, elle est là, elle. Permanente, immortelle, en lien.
Y a-til vraiment quelqu'un avec moi ici? me demandais-je. Quelqu'un semblable à la lumière qui existe à deux endroits en même temps, mais qui se fige en un point quand on essaye de l'observer.
Han Kang - Impossibles adieux
J'ai appris en écoutant des podcasts sur Han Kang et ses livres (elle ne donne que très peu d'interview) qu'elle a écrit un autre livre qui s'appelle Blanc qui ne parle que la couleur blanc et de la neige.
Tiens donc. C'est une serial writer sur la neige. Un livre sur la neige déjà, mais deux ! C'est très tentant. Il y a bien Maggie Neslon qui a écrit the red parts puis bleuets. Nous avons notre drapeau tricolore en littérature. Je ne sais pas s'il faut s'en réjouir.
Mais je m'égare.
Serai-ce toi? pensé-je, l'instant d'après. es-tu à l'autre extrémité de ce fil qui vibre? Comme si tu regardais l'intérieur d'un aquarium sombre, dans ton lit d'hôpital, essayant de revenir à la vie.
Han Kang - Impossibles adieux
Je ne sais toujours pas ce qui fait un prix Nobel de littérature, et d'avoir lu la sibylline phrase sur le site officiel m'a encore plus troublée :
The person who shall have in the filed of literature the most outstanding work in an ideal direction
Et le process de nomination encore plus. L'Académie Nobel envoie des invitations à des personnes qualifiées pour qu'elles soumettent des noms de candidat·es, qui sont étudiées avant d'en retenir 5 dont ils lisent les œuvres avant de faire un conclave (oui, oui eux aussi, et ce n'est pas un vote, mais une discussion). Anecdote : on ne révèle pas le noms des 4 autres dont les oeuvres sont lues et qui ne sont pas retenues. Ces quatre noms-la ne seront dévoilés que cinquante ans après.
Au final, j'aime l'idée que tout cela est éminemment subjectif et pas tout modélisable dans un Excel et encore moins à confier à une IA qui nous sortirait ce qu'on connait déjà : c'est à dire un écrivain homme occidental. Sur 121 lauréats, seulement 18 lauréatEs (dont une l'a partagé avec un homme en 1966), même pas 15%, et Han Kang est la première personne de Corée du Sud.
Nous avons besoin de cultiver nos imaginaires, d'aller regarder par d'autres angles, de changer de perspectives pour changer de perception. En 2024, l'Académie a permis cela en littérature. Elle a travaillé pour la bibliothèque mondiale de William Marx du Collège de France
Or modifier nos représentations du monde est devenu un impératif. Ne serait-ce que parce que nous avons-nous même modifié ce monde et que les activités humaines sont en train d’en détruire les fondements géophysiques, il n’est plus possible de se le figurer comme par le passé.
Corine Morel Darleux – Alors nous irons chercher la beauté ailleurs
La neige comme un personnage, à l'heure où fondent les glaciers. La neige que j'ai cru éternelle comme l'expression enfantine que j'ai longtemps utilisé pour designer les névés et les glaciers.
Voilà où m'emmène Han Kang.
Ce doit être cela qui fait un prix Nobel : la direction idéale est celle où tu fais des liens que tu ne ferais pas si tu n'étais pas arrivée jusque là.
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