Accéder au contenu principal

Quand on me demande comment ça va

Francesca Woodman @Tate Modern


Vendredi, quelqu'un me demande si ça va. 
Oui d'abord. 
Puis non en fait. 
En fait non, j'ai eu une drôle de semaine qui laisse un drôle de goût, une sensation désagréable, qui colle à la peau, qui préoccupe. Mon ciel n'est pas sans nuage, pop, pop des bulles remontent à la surface de ce qui n'est pas réglé. des unfinished business.

La semaine avait mal commencé avec cette visioconférence en lieu et place de 27 choses plus agréables. Mais une fois terminée, c'était derrière moi, nous reste avec mon collègue à clore la mission, le shutdown process est en court, tout est sous contrôle, je peux me dire.

Mardi j'ai enfin un signe de vie de ma cliente qui a annulé sa séance en mars et dont je n'ai plus de nouvelles depuis. Elle a disparu des radars : un message d'absence par mail, pas de retour de SMS, ni au appels directs. Pas de son, pas d'image. Mon inquiétude augmente avec le temps qui passe. Puis j'ai vu un frémissement sur Linkedin. Je lui ai alors adressé un message via l'application. C'était presque du harcèlement 4 messages en moins de deux mois. 
Et elle a répondu. Elle a un lymphome très agressif et est en chimiothérapie toutes les deux semaines depuis mars. Ca a été soudain et très rapide entre le diagnostic et la chimiothérapie.

Mercredi soir, en rentrant d'un événement plutôt joyeux et sympathique, j'ai assisté à l'intervention d'une brigade de policiers sur une bande de gars qui semblaient attaqués (agités, agressifs, sous substances, jeunes, clochardisants), ça hurlait, des coups donnés des deux côtés, certains déjà alignés face au mur jambes et bras écartés, un autre torse nu maintenu à terre par un policier et d'autres encore de se débattre et hurler. Je ne savais pas pourquoi l'évènement était encore dans mes souvenirs, et pourquoi je le relatais dans les événements de la semaine. C'est de la violence, me dit mon interlocutrice. 

Jeudi, je suis con. Je me suis comportée comme une idiote, j'ai manqué d'attention. Je travaillais sur un sujet, à demi concentrée et j'ai commencé en même temps à répondre par messages sur WhatsApp à une autre personne sur un autre sujet. Sans y prêter attention. Du tac au tac. 
De la même façon que dès 9h j'avais réagi par mail sur un truc auprès de cette même personne. Si j'avais pris deux minutes de recul je me serais abstenue. J'aurais laissé faire, j'aurais fait confiance au processus, je n'aurais pas remis de l'énergie dans le système. Après tout, je n'étais pas en charge, j'avais donné ma contribution, le sujet ne m'appartenait plus. 
Oui mais ... contrainte de perfection, besoin de contrôle, jusqu'au boutisme...Tout cela. Dès 9h. Après toute une théière et des pages entières de John Irving.
En back ground il y a mon mail réactif de 9h. Au premier plan, il y a un échange de messages via WhatsApp que je nourris tout en travaillant sur un autre sujet à côté. 
Le crépitement de messages, le ton qui prend un drôle de tour, avant que je n'y mettre plus d'attention et que je tente de désamorcer, en vain. 
J'ai essayé d'appeler au téléphone. En vain aussi. 
Et vlan, je me suis entendue dire (écrire) que j'étais dans le rapport de force
Dans le manque d'attention sûrement. Trop d'attention au résultat, pas assez aux personnes.
Dans le rapport de force ? 
Têtue voire entêtée. Obstinée aussi. Mono-maniaque. Pinailleuse. Directe. Abrupte. Oui.
Dans le rapport de force ? 
Si elle le dit. 
Moi qui n'aime pas me battre. Qui ne sait pas me battre. Qui n'est pas fichue de tenir la pression d'un match de ping pong, de tennis ou de squash. Le simple fait de commencer à compter les points me transforme en perdante.
Moi qui ai failli me noyer à la première (et unique) compétition de natation où j'ai été inscrite 
Moi qui suis arrivée à chaque fois dernière de toutes les compétitions de ski où je ne suis pas tombée au milieu du slalom (elles se comptent sur le doigt d'une seule main).

Je ne peux pas à la fois prétendre que dans chaque feed back il y a au moins 1% de juste et rejeter ce qui m'est dit. Je sais exactement pourquoi j'ai fait et dit tout ce qui a mené à ce rapport de force. C'en est un si elle le vit comme ça. Je la mets en à terre, sans intention de le faire. 
C'est ce qui me touche le plus et me désarçonne à la fois. Tout dans mon angle mort.

Vendredi, il n'est pas 7h, je n'ai encore bu aucun thé et je texte à mon iMari qui est à la maison (et moi en déplacement) que j'ai oublié d'étendre le linge, qu'il a passé la nuit dans la machine. 
Et ben ! C'est ta première pensée du jour au saut du lit ? fut son retour.

Ça en dit long sur mon état mental. 

Heureusement que nous sommes vendredi et que je participe à un moment gai, plein de légèreté et de profondeur pour clore une carrière et passer à un autre moment de vie. L'exact contraire d' Impossibles adieux. Une clôture qui ouvre d'autres horizons pour tout le monde : celle qui part, celles qui sont déjà parties et celles et ceux qui restent. Une parenthèse pendant laquelle j'ai oublié ce qui n'en finit pas de finir, la chimiothérapie, les cris, le rapport de force et le linge mouillé.

Avant de monter dans le train, je me suis achetée un poke bowl. Une fois assise, le train parti, je me rends compte que la fille de la caisse ne m'a pas donné les couverts annoncés. Je vais manger avec les yeux. Au wagon bar, le gars avachi dans son fauteuil m'annonce sans lever les yeux "c'est 50 centimes les couverts" et demande à la jeune femme â côté d'aller les chercher. 
Le mauvais film.
A la moitié de ma salade, le personnel de bord passe dans le couloir, je suis en Business Première et le déjeuner est offert sur le train de 13h. Les couverts sont inclus.  
Si ce n'était pas drôle, j'en pleurerai d'absurdité.
Je vais arrêter de lutter. Pour toutes ces choses. 
Je vais arrêter tout court. 
Cette semaine est interminable. J'ai toujours une pensée pour cette amie qui me disait quand elle avait des séries difficiles "quand je termine mon paquet de lessive, ça s'arrête"

Puis mon iMari me répond "au fait, il n'y a pas de linge dans le lave-linge".
Je ne sais pas où en est le paquet de lessive, mais la machine était bien terminée.
Et la semaine, ce soir. 

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Je te souhaite

Borne, une lumière pour nous guider Je te souhaite un ciel étoilé à contempler, une remise en ordre dans les constellations,     -  Aldeberan, Betelgeuse et Antarès sont mieux rangées      que dans ta bibliothèque, des contes qui organisent le bordel laissé  par des héros destructeurs qui se prennent pour des mythes. Je te souhaite  des promenades dans les pas d'autres que toi  de croiser les trajectoires de ceux qui habitent là,  de les deviner sans les voir -  eux ne te louperont pas -  apercevoir leurs empreintes, imaginer leurs chemins sont déjà un luxe Je te souhaite  d'entendre  la couche craquelée qui scintille de t'enfoncer dans le velours de la neige tout juste tombée de te couler dans le crissement de sa rondeur  quand tu avances. Je te souhaite une montée entre chien et loup une arrivée à la nuit un dernier regard aux couleurs qui se couchent la chaleur du refuge après l'effort. Je te souhaite  de...

Désintoxication

Ce qui déborde Plus d'un mois. presque deux. Un mois et vingt jours exactement. Pour l'instant, je tiens.  Un jour après l'autre. Je ne crois pas avoir passé aussi longtemps sans. Cinquante et un jours que je n'ai pas mis les pieds dans une librairie. Je me rappelle bien la date, parce que j'ai un mail de la libraire, ils se sont trompés dans le décompte, j'ai payé un livre en double et ils me font un avoir.  C'était des cadeaux. Il y a fait juste un seul livre pour moi, deux tout au plus.  Je suis presque tentée d'essayer un an sans librairie. Un an sans acheter de livre. Je lirais tous ceux que j'ai en stock. Je relirais tous ceux que j'ai aimés de mes étagères. J'ouvrirai enfin tous ceux qu'on m'a offert et que je n'ai pas touchés.  Et s'il le faut, je reprendrai un abonnement à la bibliothèque. Ou alors j'y retourne après épuisement des stocks. J'hésite encore. Je ne sais pas bien à quoi rime cette nouvelle idée. O...

Petites aberrations et grands agacements

C'est l'automne à Cachan  Il y en a en ce moment une conférence à Pusan en Corée, celle du comité intergouvernemental de négociation sur le traité plastique. Intergouvernemental. C'est bien nommé comme ça. Ce qui signfiie que la négociation concerne les gouvernements.  Ils négocient entre eux tout ce qui concerne le plastique (de sa fabrication à son recyclage), cette année on y parle de sa production notamment pour la réduire. En tout cas c'était le but de la négociation : réduire la production plastique. L'Europe a envoyé 191 personnes par la représenter ainsi que ses pays membres.  Les chercheurs et scientifiques sont environ 70, donc des ecotoxicologistes qui démontrent tous les jours les dangers du plastique sur la santé. Les lobbyistes de l'industrie pétrochimique sont eux 220, de toutes les entreprises concernées : du pétrolier TotalEnergies, au chimiste Arkema pour ceux qu'on connait bien en France. Ils représentent sans nul doute le septième contine...