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Marcher son âge

Au dessus d'Engins, Vercors

J'ai pris un an. 
Cet été, j'ai pris un an. 
Comme ça en passant. 
Comme tout le monde.
Comme tous les ans.
J'arrive à un âge où j'oublie l'âge que j'ai, je dois me remémorer l'année et hop une petite soustraction. 
Ni vue, ni connue.
Je n'ai jamais eu un grand goût pour les fêtes d'anniversaire, la mienne encore moins. Je ne suis pas certaine d'avoir compris le concept de fêter avec d'autres cette année de plus, celle qui te rapproche un chouia plus de la fin. 
Même à vingt ans quand je me croyais éternelle. Plus qu'éternelle, je me croyais invincible, invulnérable.
Je sais désormais  - avec l'âge - que je ne suis pas insubmersible, mon rapport à la mer l'a largement démontré dernièrement. Plus jamais sur un bateau!
Je suis devenue vulnérable le jour où j'ai été mère. Je l'ai sentie quelques minutes après avoir mis au monde celle qui deviendrait l'iAdoe.
Je ne suis pas (plus!) invincible non plus, j'ai lâché ma carapace, il y a quelques années. J'ai posé l'amure, non sans difficulté. Et parfois je la revêts, aussi pour le plaisir.

Je ne fête pas. 
J'organise un truc qui me plait. Souvent juste mon iMari et moi. Parfois d'autres au hasard des allers et venues. Je ne dis rien, ça passe inaperçu souvent. 
Ni vu, ni connu. 
Cette année, nous sommes allés randonner. Marcher en montagne. Avec sac à dos, pique-niques, nuits en refuge. 
J'ai déja écrit sur la marche. Je n'en sais pas plus qu'il y a deux ans sur mon plaisir dans cet effort.
Manifestement , les gens venaient chercher dans les montagnes quelque chose qu’ils croyaient avoir perdu ils ne savaient quand, longtemps auparavant. Il ne comprit jamais de quoi exactement il s’agissait, mais les années passant, il acquit ma certitude qu’au fond ce n’était pas lui que les touristes suivaient de leur pas mal assuré, mais quelque insatiable nostalgie inconnue.

Robert Seethaler -  Une vie entière 

J'ai même acheté sur le sujet (la marche, pas les anniversaires)  un livre de Rebecca Solnit l'art de la marche.  Un peu comme l'usage du monde de Bouvier, je m'attendais à un mode d'emploi, un guide de compréhension plutôt : j'aurai voulu qu'elle m'explique ce plaisir inexplicable. Rien. Ce n'est pas là dedans que je trouverai mes réponses.

J'ai parlé de marche avec un ami - je ne sais pas si c'est un ami, nous nous voyons pas souvent mais régulièrement  et nous nous connaissons depuis 20 ans.  Il me rappelle régulièrement de m'arrêter chez lui quand je passe dans sa Normandie, il m'a envoyé sa fille (professional talk), il répond toujours à mes messages et à mes invitations, ça doit donc être un ami. 
Lui a fait tout le tour du littoral français à pied. De Dunkerque à Hendaye, par bouts de week-ends, de congés. Il enregistrait l'image de son parcours et a fini par dessiner le littoral de la Manche et de l'Atlantique. "Je n'ai pas le cardio pour traverser les Pyrénées et je n'aime pas les gens du sud de tout façon. Je m'en fous de la Méditerranée." Son périple s'est terminé à Hendaye.
Il a laissé passer quelques temps, qui se compte en mois, voire années, puis il a poursuivi avec les 1200 kilomètres de la Loire. Même méthode systématique, par bouts, les week-ends, jours fériés et non ouvrés. Ce n'est pas clair ce qu'il m'a dit sur ses raisons. Ce n'est pas quelqu'un qui répond de façon directe à une question directe, ses réponses sont toujours un peu à côté. Je vois bien que mes questions précises l'agace et l'amuse à la fois. Après toutes ces années, je n'ai toujours pas compris s'il esquive ou s'il ne sait pas répondre. 
Je l'ai toujours connu divorcé, je l'ai toujours connu avec son alliance. J'ai posé la question "pourquoi tu gardes ton alliance ?" Je n'ai pas de réponse. 
Alors "pourquoi tu marches ?", son laïus a été encore plus brumeux, tellement brumeux que je ne m'en souviens plus. Mais j'adore discuter avec lui, je ne suis pas dans le même monde, nous vivons dans des espaces parallèles, qui se sont croisés parfois, quand dans sa Mercedes décapotable nous avons descendu lentement les Champs Elysées un soir d'été,il ya vingt ans. A cette époque, il aurait été capable de se lancer dans une diatribe contre la marche à pied. Aujourd'hui, il a une voiture hybride et il marche. C'est surement un façon de passer le temps, denrée qu'il a en quantité.
Je déjeunais avec lui avant de prendre mon train pour le Vercors. Je lui ai presque proposer de se joindre, ce qui semblait une aberration pour lui, "je m'essouffle avec trois marches d'escalier, je ne suis pas capable de dénivelés". L'affaire est entendue, nous en marcherons pas ensemble. Nos mondes parallèles.

Je marche pour avoir le monde sous mes pieds, au bout de mes pas. Etre en mouvement juste moi, voir défiler les paysages à un rythme de voyage que je maitrise. L'autonomie de la marche. Etre dans la paysage qui défile. Faire partie des éléments qui m'entourent.

Ça tombe bien : le premier jour nous avons avancé sous la pluie. Sous ciel gris de plus en plus foncé, puis le grondement du tonnerre, le long des crêtes, sur les pierres glissantes. Rien de dangereux, mais ne pas trainer le long des crêtes.
Le premier jour aussi, nous avons croisé les patous du troupeau. A l'arrêt le temps que les moutons passent, sous les aboiements des grosses bêtes. Rester calmes, l'air de rien. Ne pas se prendre pour un loup ou pour un quelconque prédateur à ce moment là. Rester humbles. Sous la pluie.
On a réussi à manger notre pique-nique sous une éclaircie, au bord d'une crête sans vue parce que les nuages comblaient la vallée. La météo avait décidé d'être clémente pour mon anniversaire. Le temps des agapes.
J'adore les après-midi de randonnée  : coincée au refuge, il n'y a rien à faire, pas de contrainte, pas de distraction. Et souvent pas de réseau (ce qui était le cas là). A part la douche, je n'ai aucune obligation (et encore celle-là se discute...). J'ai passé l'après midi dans le hamac du chalet en rondins qui nous était dévolu, à lire et à écouter des podcasts sans culpabilité. Non pas que je culpabilise beaucoup d'habitude, parfois j'ai le besoin de "faire quelque chose de mon après-midi", là même pas. Un après midi d'anniversaire entre pluie, éclaircie, lecture et podcast.
Avec volupté. 
Avec plaisir accentué par l'altitude, par l'air frais, par les muscles endoloris.

Le deuxième jour nous a accueilli sans pluie, mais toujours sans vue. Ciel bas et gris, vallée nuageuse, nous étions dans un espace étroit entre deux couches, qui ne nous laissait apercevoir que des bout du paysage dans lequel nous crapahutions.  Nous n'avions pas doit à tout le panorama mais à des lucarnes sur un toit de sapin, une roche plongeante, un coin de champ, un bout du chemin. le ciel s'est dégagé quand en fin d'après nous sommes arrivés sur Lans en Vercors. La petite animation du village de montagne en plein été. Le va et vient de la fin d'après midi, des courses de dernière minute et du verre à la terrasse d'un des deux café sur la place, qui ferme avec la dernière bière.

C'est au troisième jour que nous avons marché au soleil, montée dans la foret, traversé du grand plateau d'herbes qui s'évaporent entre la chaleur du jour et la pluie de la veille, redescente dans la forêt.  
Retour au point de départ, limonade, bus, train puis maison.

Endolorie, contente de notre tour, Je ne sais toujours pas pourquoi je marche. Mais je reparts dès que possible.
J'adore ce genre d'anniversaire. J'ai l'impression qu'il dure trois jours au lieu d'un instant.
Je le sens dans mon corps, je ruisselle sous la pluie, je savoure les ravioles de Roman et le vin de pays qui les dissout, je dors comme une buche dans un lit qui n'est pas le mien.
A refaire, jusque ce que l'âge me retienne. Et alors je glisserai le long de la crête, sur la roche glissante, le long d'un paysage sans vue.


 

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