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J'peux pas, j'ai manif

Marseille 

Depuis 2 semaines, je préférerais qu'on me parle de météo. Avec les élections européennes, je pleure définitivement. Et les prochaines m'angoissent, me contractent le thorax, raccourcissent ma respiration.
Ce sont les symptômes de la peur, nul besoin d'être médecin pour savoir ça. Ce n'est pas mon stent qui fait des siennes, ni une éventuelle crise cardiaque. C'est juste la peur.

Si vous n’avez pas peur, c’est que ce n’est pas un vrai changement

Nathan Hill - Les fantômes du vieux pays 

Et ce que si on a peur c'est qu'on pressent un vrai changement ? 

Je n'ai jamais autant lu les pages politiques du Monde et des Echos, c'est dire.

Je n'ai jamais été aussi prête à agir, alors que je suis toute même celle qui reste au fond de son canapé et regarde le monde avec un sourire en coin et une critique au bord des lèvres.

Je n'avais pas été à une manif depuis le lycée.


J'étais en première, je suis partie avec ma classe manifester contre les lois Devaquet. C'était dans les Hautes-Alpes en hiver. Il fait très froid au mois de décembre à Gap, je n'étais pas politisée pour un sou, j'ai suivi les 2 ou 3 copains que je trouvais franc penseurs.  

C'est le froid qui a eu raison de moi, et un peu aussi une petite voix qui me disait "qu'est ce que tu fous là? Est ce que tu sais au moins contre quoi tu râles ?". 

Je suis allée au café du coin, j'ai lu le journal, je suis retournée en cours. Cette loi, je ne le trouvais pas si nulle, et d'ailleurs elle ne me concernait pas, je n'imaginas pas aller en fac. Je ne m'imaginais pas aller quelque part d'ailleurs. Je ne m'imaginais pas beaucoup je crois. J'écoutais d'autres parler politique, des plus vieux que moi d'un an ou deux qui lisaient la presse, regardaient la politique à la télévision... 

Moi j'étais adhérente de toutes les bibliothèques de la ville (3) et de mon village (1) et je lisais des romans. Tout ce qui me tombait sous la main. 

De politique je n'avais aucune idée, si ce n'est qu'en 1981 quand le visage de Mitterrand était apparu sur l'écran pixelisé après son élection, mon père pleurait et pensait que la France était fichue alors que me mère était en extase. 

L'histoire a montré que mon père a viré à gauche, que je suis partie loin des Hautes-Alpes, que les franc penseurs du lycée habitent toujours dans la ville où ils ont manifesté en 1986 contre Devaquet. 

Et que presque 30 ans plus tard, je suis allée à la manif contre l'extrême droite. Cette fois en sachant pourquoi j'y allais.

Ça ne s'est pas fait tout seul, encore une fois, il me faut un coup de pouce pour sortir de mon canapé. 


Y aller? Ne pas y aller ? Je doutais.

L'iMari voix caverneuse et tranchée : "moi je ne vais pas aux manifs". 

C'est une règle de vie, comme de ne pas manger de fruit, de préférer la bière au vin, de ne pas dormir avec des chaussettes... Il ne va pas aux manifs, c'est quoi cette question?

Et au déjeuner, mon plus jeune iAdo parle de la manif et je comprends qu'il veut y aller. "Je peux ?" 

Oui bien sûr, avec les recommandations d'usage de la "maman relou". 

Je raconte que moi même je me suis posée la question, et du retour de leur père, qui ne les a pas surpris, ils sont bien au fait des principes de vie de leur père.

Je n'ai pas eu le même retour des iAdos. 

- si tu doutes c'est qu'il n'y a pas de doute. 

C'est la version de l'iAdo qui passe la philo au bac dans deux jours pour dire "Vas y".

Il a raison.  J'ai deux ou trois trucs à faire avant, hyper importants parce qu'on a du monde à dîner le soir et que bon, le monde peut basculer à l'extrême droite mais je ne peux pas manquer de Tonic à mettre dans mon gin (par exemple).

Et alors là, l'iMari qui ne va pas aux manifs a repéré l'itinéraire de la marche, s'est tenu prêt et est venu avec moi, sans râler, presque avec conviction.

On a marché de Bastille à Nation. Le hasard a voulu qu'on se retrouve au milieu de la CGT. C'est comme ça que j'ai découvert qu'il existe une CGT Archéologie, à côté de CGT Spectacle, CGT Centre social de Paris. 

Archéologie.

Nous serons tous des vestiges si l'extreme droite est élue.

Notre monde sera un vestige.

Notre société ne sera plus.

Mais quand je croise dans le métro des personnes âgées qui font la manche, je me demande quelle société sommes-nous qui permette ça? 

Mais, quand je vois des gens qui dorment dehors, je me demande quelle société sommes-nous qui permette ça? 

Notre société est-elle encore ?

Il avait un toit sur la tête, il dormait dans son lit et, quand il s’asseyait sur son petit tabouret devant sa porte , il pouvait promener son regard sur un paysage si vaste que ses yeux finissait par se fermer, et son menton par s’affaisser sur sa poitrine. Comme tous les êtres humains, il avait lui aussi nourri en son for interieur, pendant sa vie, des idées et des rêves . Il en avait assouvi certains, d’autres lui avaient été offerts. Beaucoup de choses étaient restées inaccessibles ou lui avaient été arrachées à peines obtenues. Mails il était toujours là.

Robert Seethaler - Une vie entière 

Quand les rêves de certains sont d'avoir un toit sur la tête, dormir dans un lit et juste avoir un peu d'espace pour son regard, il faut se demander si c'est encore une société.

Ce n'est pas ce que l'extreme-droite réglera. A se demander d'ailleurs ce qu'ils pourraient régler, ou même s'ils cherchent à régler quoi que que ce soit.


La folie brune - comme me disait quelqu'un ce matin - s'empare une nouvelle fois de nous. 

L'histoire se répète, et nous n'en avons rien appris.

Mais je suis allée à la manif. L'iMari aussi.

La dissolution a au moins réveillé ma conscience, je garde espoir qu'elle ne réveille pas que la mienne, mais aussi de celles et ceux qui ne vont pas voter habituellement et qui prochainement diront "je peux pas, je vais voter ".








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