Portrait éphémère du Japon - Pierre-Eli de Pibrac |
Un pays que je quitte sans regret et qui reste une énigme que je n’ai même pas envie de résoudre.
Voila de ce que j'avais écrit en rentrant du Japon en 2010. Je n'avais plus pensé au Japon depuis plus de dix ans et ces dernières semaines il est revenu sur le devant de ma scène. Inopinément, avec un regain de curiosité.
Le récit du récit pour être capable de tenir une conversation sur un voyage imaginaire... En me relisant je me demande si je ne deviens pas loufoque, saugrenue, ou perchée?
J'ai adoré rechercher dans mes carnets, et regarder le Japon avec plus de distance.
Il y a trois impératifs à respecter quand on aborde un pays étranger : tout d’abord (…) chercher les qualités (…) et s’y accrocher (…) quant aux défauts, pas besoin de les chercher, on les trouve.
Ensuite, tout ce qui ne contribue pas à mon édification : zéro.
Écrire, décrire l'expérience fige un ancrage qui permet ensuite le vagabondage ou autrement dit « fondation qui permet l'édification ».
En troisième lieu, rechercher la variété, l’invention et la créativité dans les choses positives que l’on découvre.
Nicolas Bouvier - Le vide et le plein : carnets du Japon 1964-1970
Il y a dix ans, avec trois enfants en bas âge, je ne suis pas arrivée à suivre ces conseils à la lettre. J'y reviens aujourd'hui avec plus de disponibilité, moins prises par les contingences maternelles.
Puis, hier nous sommes allées au Musée Guimet, pour une exposition magnifique de Pierre-Eli de Pibrac. Je n'y suis pas allée parce que c'était le Japon, j'y suis d'ailleurs allée malgré le Japon. Cette rancoeur de première impression est tenace!
Evidemment je suis tombée sur Nicolas à l'entrée :
On ne peut comprendre la facilité avec laquelle les Japonais renoncent à la vie si l'on ne sait pas à quel point cette vie peut être épineuse, contrainte sans issue ni espoir de changement.
Nicolas Bouvier - Le vide et le plein : carnets du Japon 1964-1970
Et le livre, en version poche est dans une vitrine. ce pourrait être le mien, un peu écorné et usé d'avoir voyagé et trainé dans des sacs. Nicolas me faisait un clin d'oeil dix ans après.
L'exposition est courte, les photos d'une beauté poétique et réelle à la fois. Il faut écouter l'histoire de chacune d'elle contée par Pierre-Eli de Pribrac, alors elles prennent une troisième dimension, une profondeur qui leur donne une vie bien au delà de l'image : elles parlent des gens, de leurs histoires, des liens, de leur intimité et du sens de leur vie.
Tout ce dont je n'ai pas eu accès et qui m'a profondément manqué lors de ce voyage en 2010.
J'écrivais à l'époque :
C'est à la fois reposant et angoissant cette discipline, ce conformisme.
J'ai toujours pensé que les gens propres sur eux avaient des choses terribles à cacher. Plus on montre du blanc, plus notre profondeur est noire. Alors ces Japonais, ils cachent quoi?
Nicolas (Bouvier, nous sommes devenus intimes depuis que je le lis tous les soirs) dit qu'ils cachent surtout du vide, d'où le titre « le vide et le plein ». Il les compare aux bambous : lisses, jolis, irréprochables pour cacher du vide.
Autant de politesse et d'obséquiosité m'inquiètent, je trouve cela louche
Le projet de Pierre-Eli de Pibrac n'est pas un photoreportage, c'est une immersion dans le pays, comme Nicolas Bouvier. Ses photos sont pensées autour de la relation qu'il crée avec les personnes qu'il photographie, elles peuvent prendre longtemps : de 1h30 pour que sa chambre photographique dégèle dans les bains publics à plusieurs mois pour trouver le pont idoine qui symbolise le lien qu'il cherche à représenter entre le père et la fille.
Ce photographe m'a donné accès au "plein" de ce pays, à l'inaccessible quand j'étais de passage.
En tant que personne vivant l'instant présent, je veux nourrir immédiatement mes pensées et mes sentiments afin de les relier à l'avenir. Si mon souhait se réalise, quand viendra la fin, lorsque j'exhalerai mon dernier souffle, je pourrai dire spontanément que j'ai vécu une vie pure et belle.
Quand Pierre-Eli m'a proposé de témoigner, des troubles de mémoire se sont déclenchés et je n'ai plus eu de mot pour m'exprimer, mon coeur ne me parlait plus.
Takuya, survivant de Fukushima @Portait éphémère du Japon
C'est une exposition toute en intensité et en douceur, qui parce qu'il écoute le coeur des gens, parle au mien, celui d'aujourd'hui, celui qui ne fait pas que battre.
Enfin parce qu'une journée ne s'achève pas uniquement comme ça, mon iFille et moi avons regardé un film japonais Love Life de Koji Fukada. Des coeurs qui battent, on les sent, on les entend, encore une fois l'émotion est retenue, la conversation réduite, l'image aseptisée.
L'histoire est un drame et se termine par "allons faire un tour pour nous donner faim avant de passer à table".
Aurions-nous apprécié ce film sans l'exposition de l'après midi?
Ce pays ne se laisse pas approcher sans effort, je le mesure en écrivant aujourd'hui, et en laissant le dernier mot à Nicolas (encore)
Le voyageur écrit pour mesurer une distance qu'il ne connait pas ou qu'il n'a pas encore franchie.
Nicolas Bouvier - Le vide et le plein : carnets du Japon 1964-1970
Il me faudra encore des années et bien des écrits avant de franchir une quelconque distance avec ce pays. Après ces quelques lignes, l'indifférence d'il y a dix ans a fait place à de la curiosité, grâce à un voyageur qui, un jour, a imaginé aller au Japon. C'est déja ça.
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