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Des couleurs et des femmes (#de Stael)

Les mains de l'homme qui peint - Nicolas de Stael

20 ans après, je suis allée voir l'exposition Nicolas de Stael. J'ai réservé, y suis allée une fin d'après midi de semaine, avec un peu d'espoir qu'il y aurait moins de monde. Je me suis trompée. 
Je me suis aussi trompée sur l'impression d'avoir eu ma dose (de lui) il y a vingt ans et que le plaisir de revoir certaines œuvres étaient au moins égal à celui d'en découvrir de nouvelles; notamment les dessins nommés "compositions", base d'étude des tableaux.
J'ai apprécié refaire le fil de sa vie, de l'évolution  de sa peinture, de ses déménagements et voyages et de ses passions pour les femmes. 
J'aime l'idée  qu'il traduise son expérience sensitive en couleurs et à plat, comment il passe de l'expérience vécue au tableau : le match de foot au Parc des Princes, premier match de nuit, éclairé par de grands projecteurs, un match raconté comme vif et disputé qui me donnerait presque envie d'aller au stade pour y voir des gars en short courir après un ballon. Mais moi je ne suis pas comme Nicolas (de Stael), je ne ferai de cette expérience quelque chose de beau pour les autres, j'en ferai une expérience ennuyeuse et de commentaires acerbes.
Toute l'exposition nous retrace sa vie, son oeuvre. Rien ne sépare l'homme de l'artiste, au contraire. l'artiste ne crée que parce que l'homme vit et transpose ses sensations dans ses tableaux. Ses grands hauts et ses grands bas -  on le voit peu les grands bas -  on voit surtout la couleur, la subjectivité, la réinvention sur elle et sa transposition en couches, taches, formes.
Il est dit alcoolique et dépressif, c'est peut être à sa dépression qu'on doit son suicide plus qu'à Jeanne "qui lui résiste".

Il a - évidemment - un rapport aux femmes dignes des "grands artistes", à savoir égocentrique, que seul comptait le temps qu'il pourrait se consacrer à lui-même, que les autres, les femmes en particulier étaient là pour lui permettre de créer et faciliter tout le reste de la vie autour. J'ai lu récemment que Nabakov ne repliait même pas son propre parapluie et que sa femme léchait ses timbres pour lui. Les grands artistes ont besoin de femmes à leur service, qui leur enlèvent tout le souci du quotidien, tout le terre terre de la routine pour qu'ils puissent se consacrer leur art. Expression elle-même consacrée, tout comme la conception de l'artiste que je viens d'exposer. Plus encore que la chambre à soi (pour les femmes, juste pour écrire) le besoin d'un espace-temps à soi détaché des contingences matérielles de l'artiste (dont on n' a même plus besoin de dire l'homme artiste).

Alors comment peut on s'étonner de son rapport aux femmes, si bien mis en scène dans les explications de l'exposition?
Il rencontre sa  première compagne Jeannine lors d'un voyage au Maroc. Il est dument précisé qu'elle est plus âgée de lui de 4 ans. 4 ans, il semble indispensable de le préciser. C'est elle la plus âgée. Elle est mariée, elle a un garçon. En moins d'un mois, elle quitte son mari et vit avec Nicolas. Ce qui nous est raconté c'est "il la persuade de venir vivre avec lui".  On ne sait rien ni de la fascination, ni de la relation, mais l'histoire racontée comme telle est ultra romantique, de l'ordre du coup de foudre, de la puissance de l'artiste pour qu'une femme plus âgée, installée dans une vie familiale décide de tout plaquer et de le suivre.  Ils vivent ensemble, se marient, ont une fille et traversent plus ou moins facilement les années de guerre. Plus facilement parce qu'aidés par d'autres femmes : la galeriste Jeanne Bucher leur prête carrément une maison. Pas de chance, sa femme meurt lors d'un avortement qu'on nous dit thérapeutique, dans les années 50 l'avortement ne pouvait qu'être que thérapeutique puisqu'illégal.

A la mort de Jeannine, il épouse Françoise. Dans les mois qui suivent. 
Françoise est déjà dans les murs : c'est la cousine de Jeannine, elle est arrivée à 19 ans chez eux pour s'occuper des enfants. Sa femme meurt, quelque mois après il épouse la nounou, c'est pratique elle est là, elle connait la maison et surtout elle est jeune. Cette fois dans l'exposition, on nous passe la différence d'âge sous silence : elle a 21 ans quand il l'épouse il en a 12 de plus. Il est décrit comme "fou de douleur" à la mort de Jeanine, J'en déduis que Françoise s'occupe de lui et que c'est ce qui les rapproche. Mais il y a une autre hypothèse, c'est qu'il était déja avec elle tout en étant marié. Vu la suite de l'histoire, tout ceci ressemble à du polyamour, ou tout du moins du polyservice féminin autour de l'artiste.

Puis il est aussi question de Jeanne Polge dans l'exposition, née en 1922, il la rencontre par son ami René Char, elle devient son amante, il emmène tout le monde en vacance en Sicile : Françoise son épouse, leurs enfants, Jeanne son amante et la copine de cette dernière. On ne nous dit rien de la copine, mais tout nous pense à penser que c'est "le petit harem de Nicolas en Sicile". 

L'exposition ne raconte pas toutes les femmes le Nicolas de Stael (il n'y a pas assez d'encarts pour cela peut être) mais dès que je lis une peu sur sa vie, elles sont partout, elles sont nombreuses, autour de lui à lui faciliter la vie : à lui prêter des maison, des ateliers, à s'occuper de son quotidien , à lui ouvrir des portes de galeries, de grand monde pour qu'il vende ses tableaux. 
Et les hommes de son entourage, les René Char, Modigliani et autres illustres sont surtout là pour converser et réfléchir avec lui d'égal à égal sur son art, l'évolution de son style et sa technique, l'inspirer... Bref l'intellectualisation de l'art ce sont ses compères, la facilité du quotidien ses compagnes.
La pire est tout de même Jeanne qui décidément ne lui "facilite" rien , elle résiste, elle ne veut pas quitter son mari, ses enfants pour vivre avec lui dans la villa qu'il a acheté pour se rapprocher d'elle.
Ingrate femme, qui nous est présentée dans l'exposition comme à l'origine probable de son suicide à lui quand il a 40 ans, en 1954. 
Jeanne est, elle, décédée soixante ans plus tard, en 2014, à l'âge de 93 ans. Vit-on si vieux si on se sent coupable du suicide d'un être aimé ? 

C'est l'histoire de l'homme qui a peint ces oeuvres qui m'enchantent, me transportent, me noient dans la couleur et la sensation de tout un monde que je ne vois pas dans le réel. 
Il est capable des deux, de peindre cette beauté et d'être un homme pas très sympathique ou très respectueux des femmes qui l'entourent. 


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