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Quand je partage l'autre moitié du monde

Hilma af Klint (1862-1944)
 musée d'art Moderne de Stockholm

J'ai écouté hier un podcast qui m'a mise en joie, je me suis sentie comprise, moins seule et surtout incluse dans un mouvement d'ensemble qui contrubie à changer des choses J'ai moins l'air d'une zombie, d'une rombière, d'une vieille chienne de garde, ou d'une radicale (et encore ce mot a une acceptation que j'adore  d'après Rejane Senac, mais on en reparlera).
J'ai écouté l'épisode du 28 septembre de la série Mansplaining. Son titre : "vous ne lisez pas assez de livres écrits par des femmes et ça se voit".

J'apprends que d'autres que moi ne lisent que des écrivaines, des personnes transgenres ou non binaires... en bref tout sauf des hommes (surtout blancs). Nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux apparemment. Certaines ont comme moi une révélation tardive et s'abstiennent désormais de lire ces messieurs. 
Ce qui sert à la réflexion de ce podcast est le nouveau livre d'Alice Zeniter "Toute une moitié du monde". Elle fait le constat de la dominance de l'auteur masculin blanc en literature, dans les librairies, dans les prix, dans les médias... Elle a - comme moi l'année dernière  -  compter et décompter la part des autrices dans les prix littéraires et dans sa bibliothèque, et la vérité l'a mise suffisamment en rage (dixit Gloria Steinem) pour en faire un livre. 

Elle y dresse le portrait de l'écrivain mythique, si possible hors du temps, nomade, pas nécessairement travailleur, et souvent alcoolique (ou drogué), bref le bad boy, pas nécessairement sexy,  hors de toute contingence matérielle et familiale (surtout). Ce sont des légendes ces Hemingway, Faulkner, Kérouac... Comme pour le métier d'acteurs, les hommes viellissent bien (quand ils ne meurent pas jeunes de leurs excès ou folie), alors que les écrivaines disparaissent rapidement des médias avec l'âge. 
Sylvain Tesson, caricature du bad boy, est égratigné. J'en prends un coup, elle a raison. C'est un alcoolique qui a passé plusieurs mois dans une forêt en Sibérie à boire de la vodka, on en fait un héros, là où Christiane Ritter a réellement vécu une expérience qu'elle transmet ;  lui se met en scène. C'est un idiot qui grimpe sur le toit de son ami Jean-Francois Ruffin alors qu'il est saoul (mais qui sont ses amis qui ne l'empêchent pas faire n'importe quoi?), qui manque de se tuer, en a des séquelles et écrit de nouveau un livre. Et pense que c'est une expérience digne d'être partagée. 

C'est bien moi qui dit ça, alors que je lis systématiquement ce qu'il écrit. J'aime son écriture, mais pas l'homme, même si à un moment j'ai eu doute!  Je revisite ma vision du génie (mot masculin) écrivain. On ne sépare pas l'homme de l'artiste, son regard sur le monde est bien celui d'un homme qui a le privilège de s'en extraire, de jouir de ses excès et d'en survivre (et ironie du sort d'en vivre à travers ses livres).

On m'a dit récemment "la littérature n'a pas de sexe". 
Je crois qu'elle a un genre. Et surtout elle a un visage et elle porte un regard sur le monde qui est très homogène - celui de l'homme blanc -  et ne renvoie pas les nuances. A le penser, à se dire que la littérature est neutre, on prendre le risque de "voire le monde que par un oeil de boeuf à ne lire que des écrits d'hommes" ai-je entendu dans un podcast. Je ne peux qu'être d'accord.

Laure Murat (historienne et écrivaine qui enseigne à UCLA) a fait un sondage auprès de personnes qui lisent beaucoup, la question était "quels sont les livres qu'il vous arrive de relire?":
Parmi les 125 auteurs cités, 93% sont des hommes. 
Les neufs autrices citées sont toutes décédées.

Quelle tristesse. Quel dommage. 
On passe à côté de la moitié du monde.

Notre paysage littéraire, autant les auteurs que les personnages sont essentiellement masculins (et blancs, et hétéros). On le sait, on le constate. Si on vous disait "au menu il n'y a que des pâtes, plusieurs sauces mais que de pâtes", est-ce que à un moment vous'n'auriez pas envie de gouter des légumes? des fruits? des pâtisseries? C'est à dire de varier?  C'est pareil en littérature. Au cinéma, dans les séries. Dans l'Histoire, dans les Arts et la Culture, en politique... je crois que la liste est longue. Aussi longue que mon ras-le-bol est immense de cette occupation du terrain, de cette  -allez disons-le - domination.

En 2021, je n'ai pas lu de livres écrits par des hommes ; j'ai lu des femmes, des écrivains non binaires (dont Kae Tempest), des personnes transgenres (Paul Preciado). Et en 2022, les auteurs ne me manquent toujours pas. Je continue l'évitement de la littérature masculine,  moins comme une règle que comme une exploration d'un territoire qui se renouvelle, inattendu à bien des égards (les Argonautes de Maggie Nelson!) et nous sort de la norme et de notre confort. 

Dans Mansplaining, le présentateur (Thomas Messias) dit
plus on lit de femmes, plus on a envie d'en lire, et plus nos Panthéons personnels en sont peuplés
Et c'est bien la preuve qu'on change les représentations individuelles en diversifians nos lectures (et tout ce qui cultive nos imaginaires).
J'aimerais que dans quelques années, ce soit des autrices que j'ai envie de relire. 
J'aimerais que dans mon Panthéon personnel, spontanément je cite des autrices.
Que dans mon imaginaire, il y ait plus de femmes, et qu'elles fassent rêver les jeunes générations. 
J'aimerais que mes enfants citent des autrices femmes, des artistes femmes.

Je n'achète désormais que des œuvres d'art (photos, peintures...) de femmes, ce qui a permis à mon dernier iAdo de faire son exposé "un photographe connu que j'aime" sur Elena Chernichova. 
Ma petite victoire intime.


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