Mon mari visiblement excédé, hurle aussi tout en attisant le feu, tournant le moulin à café et massant mes pieds. Bientôt, il hurle même plus fort que moi, exhalant sa colère contre ces maudites femelles qui veulent vivre dans l’Arctique, contre leur insouciance, leur entêtement, tous leurs défauts insupportables, surtout dans le Grand Nord.
Une femme dans la nuit Arctique – Christiane Ritter
C’est le journal que tient Christiane Ritter, en1933 alors qu’elle passe l’hiver avec son mari et un troisième larron norvégien, dans une cabane sur une île au delà du cercle polaire arctique.
Une aventurière certainement, qui ne se vit pas du tout comme ça. Elle est partie retrouver son mari pour le deuxième hiver que veut passer celui-ci dans le grand nord, au Spitzberg. Le Spitzberg, c’est très au Nord, dans la mer des Barents, bien plus au nord que la Finlande, presque aussi au nord que le Nord du Groenland. Rien que d’écrire ça j’ai froid, rien qu’en regardant la carte je me gèle.
Elle est curieuse, elle s’ennuie peut-être un peu en Autriche, elle fait le périple pour retrouver son mari dans une cabane, pas au fond des bois (comme Sylvain Tesson) mais au bord de la mer des Barents, sous la neige bientôt, et dans les tempêtes de neige souvent.
Elle raconte la vie là-bas, une vie de femme au service d’hommes qui vivent en autarcie. Elle raconte le froid, la nuit, les conditions extrêmes, la quête de nourriture, le souci des vitamines, la vie à trois.
Elle ne parle ni d’héroïsme, ni de féminisme, ni de lutte (de classe, de patriarcat) juste de lutte pour la (sur)vie. C’est à la fois extraordinaire : qu’est ce qui peut bien pousser quelqu’un à aller passer les mois d’hiver dans la nuit arctique ? En particulier une femme au foyer dans l'entre deux guerres ; et ordinaire : sa vie de femme au foyer se déplace dans cette cabane sommaire, elle s’adapte et son mari aussi, sans qu’il n’y ait aucune réflexion sur la place de chacun. Juste des constats, sans remise en cause de l’ordre établi.
C’est là où l’extraordinaire devient l’ordinaire finalement. C’est normal pour les femmes aussi d’aller vivre dans ces conditions extrêmes, on n’en fait pas tout un plat. Et se translatent en même temps avec ce couple, dans le grand froid et dans le noir, les stéréotypes sur les « femelles » insouciantes et entêtées, qualités ( si, si !) qui peuvent coûter cher dans le Grand Nord (selon le mari).
Ce livre est une curiosité, qui banalise presque l’expérience de la vie extrême et reculée, là où Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie) ou Pete Fromm (Indian Creek) en font une expérience quasi initiatique et en tirent une perspective et des leçons de vie.
Faut-il être un homme pour faire d’une expérience individuelle un enseignement universel ?
Ou c’est simplement une histoire de temps : en 1930 on écrit son journal intime plutôt que qu’un essai autobiographique (quelle drôle de formulation !).
Il semble tout de même que les femmes écrivent plus souvent leur journal, pour leur seul plaisir à l’écrire, sans chercher à se faire publier ; là ou les hommes n’ont aucun doute sur l’intérêt et la portée que peut avoir la moindre chose qu’ils ont à raconter.
Si on a un doute sur ce trait éminemment genré, relire « ces hommes qui m’expliquent la vie » de Rebecca Solnit.
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