dessin de Bernard Moninot |
Il y a longtemps j’ai lu Mona Cholet – Sorcières - La puissance invaincue des femmes.
Les critiques étaient tellement dithyrambiques que comme souvent dans ces cas-là je m’en suis approchée avec une grande méfiance, avec un désintérêt affiché, une vague et dédaigneuse curiosité, mais curiosité tout de même. Je refusais de l’acheter (je suis très attentive sur qui j’investis, qui je sponsorise) et quand une jeune collègue m’a proposé de me le prêter je l’ai pris, je l’ai lu.
Il a fallu que je passe outre l’énervement que ce livre a généré chez moi pour en tirer tout de même un intérêt. Mais quel effort !
C’est un livre à charge contre la maternité. Et ça c’est envisageable, c’est un point de vue que je comprends. Elle évoque de nombreuses féministes, explorent leur choix de ne pas avoir d’enfants, de ne pas avoir de famille. Sa référence est Simone de Beauvoir, s’exprimant sur son évitement de la maternité
mon bonheur était trop compact pour qu’aucune nouveauté ne put m’allécher.
Je ne rêvais pas de me retrouver dans une chair issue de moi. Je n’ai pas eu l’impression de refuser la maternité ; elle n’était pas mon lot ; en demeurant sans enfant, j’accomplissais ma condition naturelle
Mona Cholet écrit très mal (issu du Monde Diplomatique me dit un collègue, « ils ne savent pas écrire »), son livre est fouillis, elle ne démontre pas, elle s’étale, ressasse ses arguments, les délaient comme sur une tartine qui aurait trop peu de confiture. C’est au lecteur de faire le cheminement et surtout la synthèse. On ne peut pas dire qu’elle nous facilite la tâche, ni qu’elle essaie de rendre son propos limpide, elle écrit comme les idées lui viennent et parfois on est perdu.
Ce qui me dérange dans son livre, ce n’est pas sa charge contre la maternité, c’est sa charge contre les femmes qui l’ont choisie. Elle a une bien piètre opinion de celles qui se sont engagées là-dedans, de celles qui ont des enfants, qui les assume, qui ont une famille et qui en sont heureuses. Au mieux ces femmes ont des « povrettes » qui ne se rendent pas compte de ce qu’il leur arrive ou est arrivé au pire ce sont des « connasses à la solde du patriarcat ».
Ce n’est évidemment pas écrit comme ça, et c’est probablement ce qu’elle écrit dans son nouveau (Réinventer l’amour – comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles »). Elle n’offre aucune tolérance aux mères, aucune compassion, pas la moindre empathie, au sens de se mettre à leur place, d’analyser leurs choix. On s’y sent jugée, idiote, discriminée, comme si on avait fait l’ERREUR de notre vie, et que plus grave cette erreur avait des conséquences pour la condition féminine et pour l’humanité entière.
Le seul intérêt de ce livre - outre les nombreuses références et autrices citées - est d’ouvrir une porte sur le regard que des mères peuvent porter après coup sur la maternité.
Sur leur regret, leur rejet, leur dégout, leur incapacité à faire face à assumer, à apprécier la situation.
Et surtout sur l’impossibilité de faire machine arrière. Pas de « erase » ni de « raz » avec la maternité.
D’abord parce qu’ils ont là.
Ensuite c’est socialement totalement inacceptable et enfin parce que moralement c’est un vrai tabou. Quelle mère ose dire qu’elle s’est trompée ?
Évidemment encore une fois, elle ne l’écrit pas comme ça, c’est la conclusion qu’il faut en tirer à la lecture.
Sur ce sujet, Déborah Levy est bien meilleure dans « le coût de la vie », (et elle écrit tellement mieux ! un régal de mots). Ce n’est pas tant le fait d’être mère, que de « porter un foyer, une famille » qui est couteux. Elle décrit admirablement l’ambiguïté de la situation, l’ambivalence du ressenti, sans qu’à aucun moment elle ne parle de culpabilité, la sienne ou celle qu’on devrait/pourrait ressentir.
Enfin Rachel Cusk a publié en 2001, traduit en 2021 « l’œuvre d’une vie – devenir mère ». Elle a mis presque une quinzaine d’années à faire publier ce livre, personne n’en voulait. Il n’était pas dans l’air du temps du 20ème siècle que de nuancer le « bonheur » d’être mère, d’en évoquer l’ambivalence, de repenser le modèle de la parentalité et d’en faire un sujet politique.
Avec le temps la maternité m’apparait non pas comme un état, mais comme un emploi, un travail qui monopolise certaines périodes, avec un début et une fin. En dehors de ces horaires je suis libre.
Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’elle raconte, il s’agit bien de son vécu à elle. Et j’ai du oublier des choses, sur la pénibilité, sur l’aliénation, sur comment on est plus tout à fait soi… sur comment on peut se perdre. Et surtout ça ne dure pas. Rien de dure, être mère c’est loin d’être un état, c’est le changement permanent, l’ajustement en continu.
Je peux juste mesurer ce que je n’ai pas fait, pas produit, pas vécu, ce à quoi j’ai renoncé de façon ponctuelle et de façon structurelle.
Je constate aujourd’hui ce dont je suis capable en comparaison (quand ils étaient petits) : du temps que j’ai, de la liberté d’aller et venir, de l’énergie que j’ai pour penser et produire (autre chose que des tâches domestiques).
Etre mère est un coût. Il diminue quand les enfants grandissent, mais je crains qu’il ne s’efface jamais totalement.
Je ne sais pas si c’est un choix : sait-on ce qui nous attend ? sait-on à quoi on renonce ?
Et si c’était à refaire je ne sais pas ce que je ferai. Je sais qu’à un moment il y a eu de la place pour des enfants, je ne suis pas comme Simone de Beauvoir, j’aurai plus été comme Chantal Thomas :
rien dans cette histoire de ne m’a jamais attirée, ni la grossesse, ni l’accouchement, ni le quotidien de nourrir un enfant, de s’en occuper, de l’éduquer
Mais contrairement à elle, chez moi, chez nous il y avait de la place.
C’est la décision de l’aventure, on ne sait pas ce qui nous attend, et on y va tout de même c’est la définition même de l’aventure justement.
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