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Les passions de Paul B. Préciado

Collage  - carte et territoire

J’ai connu dans ma vie quatre types de passion amoureuse. Celle que suscite un humain, celle que provoque un animal, celle qui est générée par une fabrication historique de l’esprit (livre, œuvre d’art, musique et même institution) et celle que déclenche une ville. Je suis tombé amoureux d’une poignée d’humains, de cinq animaux, d’une centaine de livres et d’oeuvres, d’un musée et de trois villes.
Un appartement sur Uranus  - Paul B. Préciado

Et moi de lui.
Et je le classerai à la fois en tant qu'humain, d'oeuvre et de ville car il est à lui seul un nouveau territoire.
Je dis "il", sans savoir comment lui se nommerait autrement que Paul B. 
B pour Beatriz. 
C'est un homme transgenre, ses écrits ne sont ni homme, ni femme, ni neutre. Ils sont sur un territoire en transit. Un no man's land que nous ne connaissons pas, un nom man's land engagé, révolutionnaire dans son approche de voir le monde. Il a tout déconstruit, et reinterroge toutes nos normes : garçon ou fille à la naissance pourquoi est-ce nécessaire? Et surtout ces tests (origine USA) qui disent si le taux d'hormone correspond à la "bonne taille" des organes géniaux visuels. Un besoin de taxinomie, et la (violence de la) réassignation à la naissance. Ce besoin d'identité sexuelle, qui nous est attribuée et qu'on revendique haut et fort, et qui en passant, crée des dominants et des dominés.
On a fait beaucoup de guerres, de massacre et de vilaines choses au nom de l'identité. Je ne crois pas à la notion d'identité.
Je fais le parallèle entre la ville (le territoire urbain) et le territoire totalement inconnu où il nous emmène. Ça me demande un effort considérable de penser selon son point de vue, de comprendre ce qu'il veut dire, de toutes les implications de ce qu'il dit. Mais quelle joie quand j'y arrive. Quelle liberté de penser et d'exister!
Le premier stade de l’amour urbain est celui de la carte : il se produit quand tu sens que la cartographie de la ville aimée se superpose à n’importe quelle autre. Tomber amoureux d'une ville c’est sentir quand on la parcourt s’estomper les limites matérielles entre ton corps et ses rues, lorsque la carte devient anatomie/ Le deuxième stade est celui de l’écriture. La ville prolifère sous toutes formes possibles du signe, elle se fait d’abord prose, puis poesie et devient finalement évangile. 

 

Quand je comprends ce que dit ce philosophe (oui, il est philosophe, psychanalyste, commissaire d'exposition, journaliste, pleins de choses à la foi,  les cases ce n'est pas son truc), ma pensée peut désormais se déployer sur une nouvelle cartographie, en plusieurs dimensions, que des liens se font et que tout est lié et fait sens. Les limites s'estompent, les frontières n'existent plus, elles sont des transitions comme autant de nuances entre le noir et le blanc. La compréhension du monde est alors évidente, belle et se suffit à elle-même.

Parmi les choses que j'ai comprise en le lisant, c'est que rien n'est binaire ou tranché, tout est "trans", en transformation, en transition, en transhumance. Ça m'a fait le lien entre les transgenres, les transclasses et les migrants. En mouvement en fait.

Nous sommes tous des êtres en mouvement, même les cisgenres.

Pour la petite histoire : Beatriz Préciado fut la première compagne femme de Virginie Despentes. C'est en rencontrant Beatriz que Virginie Despentes a aimé une femme pour la première fois. Puis elles se sont séparées Il semble que ce soit au moment où Beatriz a commencé ses expériences avec la testostérone. Je ne sais pas s'il y a un lien de cause à effet, et ce n'est certainement pas important. Aujourd'hui Virgine Despentes est toujours en couple avec une femme et Beatriz est devenu Paul. Un appartement sur Uranus est l'histoire de cette transition (qui ne semble pas une fin en soi, mais un chemin de vie), la préface est magnifique, écrite par Virginie Despentes. 

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