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Conversations avec mes garçons

Georgia O'Keefe (encore!)


Je ne sais pas si j’élève des garçons féministes - d’ailleurs l’expression est bizarre, presque un oxymore. 

Je reviendrais plus tard sur le fait que le mot n’est pas le bon. Féminisme, ce n’est définitivement pas le bon mot. Le féminisme ne parle que des femmes. Or ce n’est pas un sujet (ou une lutte, un combat, une bataille bref ce que vous voulez) qui ne concerne que les femmes. 

C’est un sujet de notre société.

C’est ce que je rabâche (le mot est faible) à mes garçons, et à ma fille aussi. Elle est plus facilement convaincue, elle voit bien de quoi je parle. Et surtout elle ne se sent ni coupable, ni accusée.
Eux oui.

Ils connaissent bien les chiffres, sur les violences faites aux femmes, sur les violences faites aux enfants, sur le coût de la virilité. Ils savent que ce sont des hommes.
Ils m’entendent râler, pester, m’insurger. Ils voient bien que j’oscille entre la colère et le désespoir. Ils comprennent que malgré moi je suis touchée, que je ne sais pas m’arrêter. 

Un jour, mon iAdo m’a dit que c’était difficile tout ça « j 'ai l’impression que c’est de ma faute, je me sens coupable ». Il m’a demandé si je faisais autre chose que d’en parler à table avec eux, si j’en parlais sur mon blog notamment. Parce que à eux deux ils se sentaient un peu démunis.

Et je ne sais pas. Je ne sais pas comment on fait quand on est un homme et qu’on ne veut pas participer du mouvement virile, qu’on ne veut pas exercer à son privilège de mâle. 
Je ne suis pas certaine de quoi dire à mes garçons. La même chose qu’à ma fille déjà. Mais est-ce que c’est ça ? 
Est-ce qu’il faut pousser les unes et retenir les autres? 
Je ne crois pas. Je crois qu’il faut pousser tout le monde, qu’il faut éveiller tout le monde, qu’il faut prendre sa juste place, et ça commence dans la famille.Ça commence à table dans les prises de parole. Ça se poursuit dans la cuisine où ils savent tout manier  : ustensiles et recettes, ce sera pâtisserie ou pâtes fraiches selon leurs goûts. 

Il n’empêche, je ne suis pas certaine de ne pas avoir introduit des biais et je suis sûre d’avoir mes préjugés, sur qui est plus manuel ou subtile ou dégourdi·e. Ce n’est pas aussi évident que pour Gisèle Halimi à qui sa mère lui demandait de faire le lit de son frère. Chez nous, personne ne fait son lit! 
C’est bien plus sournois. Ça se niche dans le fait que je ne laisse pas mon iAdoe rentrer seule de la piscine à 22h, que je lui demande d’être attentive en soirée (à son verre, à la quantité d’alcool qu’elle boit…). Les iAdo rentrent plus tôt du sport, le quartier est plus fréquentable, ils sortent moins…
N’empêche. Quelles recommandations dois-je leur faire? De ne pas surenchérir dans les paris débiles des garçons, de ne pas se mêler d’un groupe qui se moquent (d’un fille, d’un garçon, d’un·e autre ?) De ne pas se mêler ou de se mettre contre, au risque de passer pour le Chevalier Blanc ?

Ils sont très sensibles aux injustices quelles qu’elles soient, mais je ne sais pas comment ils se comportent dès lors qu’il s’agirait de ne pas bénéficier d’un privilège de garçon. Le voient-ils ? Le verrais-je ? Qui en a conscience ? Est-ce que ça les gênent vraiment ?

Quand je m’insurgeais d’avoir écouté quatre heures de suite (lors d'un trajet en voiture) France Culture et de n’avoir entendu une voix de femme que pendant 20 minutes (l’invité de la deuxième partie d’émission), mon dernier iAdo m’a demandé « tu penses qu’ils le font exprès de ne pas mettre de femmes ? ». 

Bien sûr que non, ils ne font pas exprès. C’est bien le problème. Nous vivons dans un monde où il y a une moitié de femmes et d’hommes, mais dans ce qui nous entoure, ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qui nous est montré, ce qui est visibles est essentiellement masculin. Une partie d'entre nous semble ne pas exister. 

Sa question m’a donné à réfléchir dans les jours qui ont suivi. Pourquoi cette question ? Pourquoi posée dans ce sens là ? Mon iAdo n’est pas idiot, il n’avait pas besoin de ma (longue) diatribe sur le sujet. 
Je me suis demandé si lui aussi trouvait ça anormal au point qu’il pensait que cétait fait exprès. 
Ce serait chouette et démonterait d’un peu d’optimisme sur le sujet.

En attendant, on a parlé du test du trottoir.
Sur un trottoir trop étroit, il y en toujours un qui descend du trottoir, qui se décale pour qu’on puisse se croiser. Ce n’est jamais discuté, personne ne s’arrête pour négocier qui va se décaler. 
Du moins dans mon expérience de femme. Il se joue un truc inconscient et en général ça se passe bien. 

C’est la femme qui descend du trottoir quand elle croise un homme. 

Entre les femmes se jouent autre chose, l’âge, la charge de ce que l’autre porte, le rapport de classe (les femmes noires se décalent en face de moi).

C’est celui qui se sent dominé qui se décale. 

Depuis que mon iMari en a pris conscience, il descend systématiquement du trottoir et du coup surprend les femmes, parfois avec de la méfiance, voire de la peur.

Je me force à ne pas me décaler quand je croise un homme, et régulièrement on me cogne à l’épaule. Et c’est toujours moi qui m’excuse. 
Dans une exposition cette semaine, j’étais immobile devant une photo et un homme m’est rentrée dedans. Je l’ai regardé en me retenant de m’excuser. C’est lui qui a fini par me dire « faites attention ! ». 
C’est à moi de faire attention, à lui qui bouge. 

Peut-être qu’élever des garçons féministes c’est leur apprendre à s’excuser quand ils se cognent dans une femme, ou justement à se mouvoir en prenant en compte ce qui se passe autour d’eux, qui que ce soit.

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