Un vendredi soir bien fatiguée je me suis retrouvée au milieu d'une drôle de population, toute de noire vêtue, aux allures improbables, autant extravagantes que du plus pur informel.
Ce n'était pas une soirée Halloween.
Ce n'était pas le noir smoking, noeud pap' et robe de soirée. Noir est la couleur du désespoir, noir est la couleur de la rébellion, noir est la couleur du diable (d'après ce que j'ai compris).
Noir les Teeshirts sans manche (nombreux), manches courtes ou débardeur, pas de T-shirt manches longues (à croire qu'il ne s'en fabrique pas).
Noir le tulle qui recouvre les longues jambes tatouées tel un tableau qui raconte toute une histoire de vie ; j'aurai adoré qu'elle me soit racontée.
Noirs, les shorts très courts et les collants savamment troués tels une toile d'araignée. Noires, les robes décolletées, les froufrous des jupons superposés, les chemises déboutonnées, les jeans flambants neufs ou délavés, parfois les survêtements - de marque toujours. Noires, les salopettes pour homme ou femme avec un bretelle qui tombe de l'épaule.
Pas noirs les accessoires en anneaux aux chevilles, genoux, poignets, bras, taille, poitrine et cou qui brillaient colorés, d'une personne à serre-tête oreilles de chat clignotant bleu et rouge.
Pas noires certaines pointes de cheveux décolorés bleu le plus souvent, parfois vert.
Noir ce qui attache les cheveux pour les femmes, mais pas les hommes.
Les hommes sont chevelus, longs, voir très longs, rarement attachés. Aucun chignon de bobo parisien.
Les hommes sont poilus, barbes fournies, moustaches prolifiques, rouflaquettes (favoris) abondantes.
Les torses sont de sortie, encolures de T-shirt (noir on se rappelle) très amples, déformés ou déchirés, chemises ouvertes qui arborent les poils noirs (eh eh ici aussi) parfois virant au gris. Le dress code a comme règle d'exposer les poils.
Réflexions pertinentes de l'iMari : tous les barbus aux cheveux longs de la région parisienne sont ici ! Mais où sont ces gens dans la vie de tous les jours? Qu'est-ce qu'ils font comme job qu'on ne les voit pas le jour ?
Les poils ne se portant pas juste pour une soirée, contrairement aux anneaux lumineux clignotant de notre personne-chat. J'aurai pu compter sur les doigts de mes deux mains les hommes imberbes. Pas un seul chauve, pas un seul bien rasé, même l'iMari (il se doutait donc !)
Evidemment, je me suis régalée du spectacle.
Assise sur une marche à siroter une IPA moyenne dans un verre en plastique, dont la logique m'échappe en première instance : le 25 cl est dans un gobelet jetable, alors que le 50 cl est dans un gobelet recyclable. Après un court temps d'observation : je suis une des rares à prendre une "petite" bière. Tous les noir-vêtus -chevelus ne boivent que des pintes. Et quelques femmes (largement tatouées montrent leurs short, dos nus, bras longilignes) tentent le vin (verre en verre). Mais le half pinte de bière, je suis presque un cas unique.
Cerise sur le gâteau : il n'y a pas la queue aux toilettes des femmes. Mais à celui des hommes!
C'est une longue file de barbus, chevelus qu'il me faut remonter, couper, pardon-excusez moi, pour accéder aux toilettes femmes, où nous ne sommes que quelques unes à fréquenter.
C'est une première pour moi. Toute la soirée est une première pour moi.
C'est la première fois depuis longtemps que ce n'est pas moi qui ai décidé, programmé et acheté les places. C'est l'iMari.
C'est la première fois que je vais à un concert que je connais pas, dont je n'ai rien écouté du tout. Aurais-je du?
Ce n'est pas première fois que j'ai la sensation de faire un safari social, ni que je suis aussi curieuse, mais c'est la première fois où je ne me sens pas condescendante (je vieillis, je deviendrai tolérante ?).
Le concert c'est Igorrr, du black metal, death metal et autres trucs metal hurlant qui mélangent de la musique baroque et d'autre styles.
Des cris, du bruit et de temps en temps des accalmies.
Je n'ai pas écouté les deux premières parties (deux !) : fond inaudible, sons indistincts, aucune mélodie à mon oreille, j'ai largement préféré le bar, les marches, et la queue des hommes aux toilettes.
Je suis restée dans la salle pour Igorrr, dont l'iMari est fan, ce qui est tout à fait compréhensible pour un musicien.
J'ai beaucoup sursauté aux changements de rythme : on passe de la chanteuse baroque aux cris, de la musique de bal avec clavecin aux hurlements, jusqu'à ce que je repère des mecs qui dansaient et qui connaissaient les morceaux (je n'ose pas dire chanson) par coeur et qui anticipaient avec leurs mouvements les moments d'apocalypse. Je pourrais me préparer aux retours des cris.
J'ai observé les martèlements de tête pour battre la mesure (que je ne repérais pas du tout), je me suis reculée pour éviter les mouvements de bras des poilus-barbus-chevelus qui dansaient avec conviction, j'ai admiré la ferveur de cette communauté homogène devant les personnes sur scène largement déguisées (costumes et masques). Le leader du groupe est un français, beau gosse, sans surprise barbu soigné, moustaches Dali revisitées et tout de noir vêtu.
Ces gens-là, et l'iMari, avaient l'air de passer du bon temps, l'iMare sait parler des heures des harmoniques et des différences de rythmes de cette musique.
Moi, j'écoute des voix qui chantent en s'accompagnant à la guitare, j'aime les mots dans les morceaux, la douceur dans les notes. "Tu écoutes de la musique de dépressifs" disent les iAdos. Born in USA est le plus dynamique que je supporte.
J'avais mon vieux jean délavé, un pull polaire blanc (!), mes baskets violette et mes chaussettes de marche roses et grises. Je ne pouvais pas être plus décalée.
J'ai écouté une demi-heure et je suis partie.
Dans le hall de l'Olympia, le gars à l'accueil, un blondinet en T-shirt noir (tout de même) m'a demandée : vous partez définitivement?
Oui, fut mon retour.
Sans regret. Ni d'être venue, ni de partir avant la fin.
Bonne soirée.
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