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Réflexions @Gerardmer |
Je suis née à une époque où Le mur existait (il n'y en avait qu'un seul en ces temps-là), il y avait le Rideau de Fer, et on fantasmait, pas toujours positivement, sur ce il y avait derrière. Seul aperçu sur l'autre côté du mur était les Jeux Olympiques ou les rencontres sportives, les athlètes avaient DDR, ou USSR dans le dos de leur maillot. Les pays communistes n'étaient pas ouverts au monde, pas ouvert au tourisme, ce n'était pas une destination de vacances. J'étais curieuse.
En l'espace de ma vie (de la mienne, mon échelle à moi), j'ai vu ces frontières tomber, le monde est devenu un immense territoire explorable, il était soudain possible d'aller (presque) partout. Mon territoire de curiosité semblait sans limite quand j'avais la vingtaine d'années. C'est aussi la période où j'ai commencé à travailler, à avoir des revenus, où l'avion, encore cher, n'était pas un sujet écologique (pour moi en tout cas), ni un cas de conscience. Je ne connaissais pas l'expression transition écologique, on parlait de pollution (c'était une thématique très abordée au lycée en Allemand LV2 circonscrite au nucléaire, pas les avions). Je sais aujourd'hui pourquoi : les Allemands sont très anti-nucléaires car ils n'en ont pas, ils ont des centrales à charbon et du charbon à consommer. Chacun sa pollution et sa transition écologique. C'était aussi une époque où le nuage de Chernobyl s'arrêtait évidemment à la frontière.
Ma curiosité, mes lectures, le cinéma m'ont poussée ailleurs, m'ont menée plus loin. J'ai beaucoup voyager - comme touriste, comme expatriée - je fais partie de ce tourisme de masse qui s'est développé depuis les années 90, un peu partout, dans des endroits reculés ou confidentiels, dans des endroits fragiles, dans des endroits mythiques (pour moi en tout cas), dans des coins pas toujours accessibles. J'ai habité à l'étranger et j'en ai profité pour aller creuser des coins de Chine et qui se voudraient autonomes de celle-ci, des moins accessibles depuis l'Europe. Mon bilan carbone est révoltant, rien à voir avec les 3 vols d'une vie que préconise Jancovici.
J'ai déja exploré ici pourquoi je voyage, pourquoi je continue alors que j'en connais l'impact. Je continue néanmoins de me poser la question, de ré-interroger ces raisons, et de me les ré-expliquer.
Ma curiosité d'aujourd'hui ne rétrécit pas, mais le monde qui me rendait curieuse oui.
Du moins j'en ai l'impression. Il n'y a plus LE mur (j'ai lu cependant qu'il y a plus de kilomètres de murs aujourd'hui que pendant la guerre froide, entre celui des USA avec le Mexique, ceux qu'Israël construit autour de "ses" colonies, ceux de Gibraltar "contre" les migrants ...), mais il y a tellement de guerres qu'elles soient au propre comme au figuré qu'il y a des endroits où je ne peux ni ne veux aller.
Outre atlantique, les USA se sont fermés pour au moins quatre ans (idéologiquement, pour moi), le développement du tourisme en Antarctique s'est tellement développé, de façon tellement dangereuse (et honteuse) que ça devient presque militant de ne pas aller à l'extrême sud du contient sud-américain (ça fait des années que je rêve de la Patagonie). Tout à l'Est, la Russie, celle des frères Karamazov et de Anna Akhmatova, des Forets de Sibérie et de Evgenia Arbugaeva n'est plus accessible ni ne donne envie, la Mongolie se cherche une respectabilité, la Birmanie est infréquentable (l'a-t-elle été un jour?).
Tout le Moyen Orient est soit en guerre soit la cherche. Je ne veux pas aller dans les émirats du pétrole, ça me rendrait malade de constater ce qu'il s'y passe. Israel est dans le même panier que les USA, l'Iran n'est ni accueillant ni recommandé (et je ne cesse de lire des récits de voyage en Perse), surtout pour une femme, il serait malvenu de s'y promener en touriste ; je me rappelle encore avoir planifié tout un voyage pour la Syrie et la Jordanie à une époque où la région était un paradis pour les amateurs de sites, j'ai oublié les raisons pour lesquelles nous n'y sommes pas allés ; la Turquie devient discutable, tout comme les pays d'extrême-droite en Europe (Hongrie, Italie). Si je commence à regarder plus loin, je devrais rayer aussi le Royaume Uni pour sa nouvelle loi sur les personnes transgenre, la Pologne pour ses lois contre l'avortement, bizarrement l'Afrique du Sud reprend du galon...
Pauvre de moi qui me plains du manque de destinations de voyage!
Je crois que cette impression de rétrécissement est surtout une anxiété face à ce qu'il se passe.
Qu'aujourd'hui, ma conscience politique est plus nette (si ce n'est plus forte) qu'à 20 ans.
Qu'elle s'ajoute à la culpabilité de mon empreinte carbone.
Que le monde rétrécit parce que la lumière des esprits s'assombrit, les libertés reculent.
Tout devient plus petit, plus étriqué, plus autocentré.
Le monde rétrécit parce qu'il recule dans le noir, dans le complotisme, dans l'obscurantisme.
Il est partout sur nos écrans et sur les réseaux sociaux, mais il n'est plus incarné, il n'est plus brassé.
Je suis inquiète des droits qui reculent dans le monde, des gouvernants qui sont des didacteurs, des frontières qui se ferment, des guerres à balles réelles, commerciales ou idéologiques.
Je suis aussi inquiète de ma curiosité qui recule, à l'image du reste.
Si moi, comme d'autres, ne suit plus curieuse de ce qui se passe ailleurs, comment allons nous vivre ensemble?
Mon iMari qui lit toute la presse de France et de Navarre (ie allemande et anglo saxonne), qui a bien retenue ses cours (lointains) d'histoire et de géopolitique rappelle que la paix a aussi été maintenue grâce aux échanges commerciaux. On a moins de chance de faire la guerre avec quelqu'un avec qui on est en transaction, parce qu'en contact.
Si je ne suis plus curieuse, je n'irai pas voir ce qui se passe ailleurs, je pourrai plus facilement les détester. (je déteste deja les Américains d'avoir élu celui-là)
Le monde rétrécit, je ne dois pas suivre la tendance.
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