Sara-Vide Ericsson (encore à l'Institut Suédois) |
Ce mois j’ai de nouveau pris l’avion, un vol intérieur pour aller à Nice. Avec une grande culpabilité à chaque fois, je vois le carbone qui se libère, les grandes trainées blanches de condensation qui font effet de serre…Je me sens coupable oui, mais pas assez pour y aller en train, ce qui représenterait un total de 6h et quelques de trajet ferroviaire, un seul horaire possible par jour, sans la possibilité d’un aller-retour sur la journée. Nos vies pressées, ma vie pressée, mon bilan CO2 et celui d’autres, tant que nous ne ralentirons pas.
Comme je voyage moins, je ne suis plus abonnée Air France (pas certaine que cela baisse mon niveau de culpabilité), j’arrive moins au dernier moment, je n’ai plus le passage VIP pour les contrôles, ni les places des premiers rangs (ma vie pressée, je vous dis), j’arrive même en avance et je fais l’expérience (inédite, ce qui est incroyable) de la salle d’attente de l’aéroport, la salle juste devant la porte d’embarquement. Ce qui me permet d’observer la vie des gens notamment, et de ceux qui disparaissent.
Il y a toujours au moins deux personnes appelées quand l’embarquement de leur vol se termine et qu’ils ne sont pas là.
D’abord un simple rappel, puis la menace de l’annulation de leur siège et du désembarquement de leur bagage (deux fois, cette annonce), puis leurs noms. Ils sont appelés plusieurs fois, par leur nom dans le micro de toutes les salles d'attente.
Je suis toujours soulagée que cela ne soit pas le mien (de nom), même si je ne vais ni à Marseille, ni à Toulouse, je suis toujours contente d’entendre que ce n’est pas moi qui suis menacée de désembarquement de ses bagages (ce que je n’ai pas d’ailleurs).
Sur les deux noms, j’ai pu observer qu’il y en a au moins un qui se pointe : une femme ce matin, et pas en courant, juste d’un pas rapide. A sa place j’aurai été en panique. Mais le deuxième nom ne s’est pas montré.
Et la dernière fois, alors que nous étions déjà installés dans nos sièges avec nos ceintures attachées, on nous annonce que nous prenons quelques minutes de retard pour descendre les bagages des voyageurs qui ne s’étaient pas présentés à l’embarquement. C’étaient un pluriel. Ils ont été plusieurs à disparaitre.
Mais où sont-ils ?
Je me dis que si leur nom est appelé c’est qu’ils sont enregistrés et ont passé les contrôles. Ils sont donc dans l’aéroport, dans la zone d’embarquement.
Je parle d’Orly, ce n’est pas non plus un espace si étendu qu'il permette de se perdre, ni d’une animation démentielle qui nous en fasse oublier notre départ prochain. C’est une suite de fauteuils tristes, avec des stands cafés de marque dans un coin, et un Relay pour la presse.
Les gens qui ne se prennent pas à leur porte d'embarquement me font le même effet que les antivols de deux roues, accrochés tous seuls autour d’un poteau, sans leur deux-roues. Qui tiennent ils encore ?
Je me demande s’il y a un lieu des personnes disparues, si on les retrouve tout sec dans un coin, ou de façon plus pragmatique s’il y a une recherche pour les retrouver pour s’assurer qu’elles ont été là, sont reparties qu’il ne leur est rien arrivé. Il y a surement des statistiques, est-ce qu’il y a des études sur les raisons pour lesquelles les voyageurs ne se rendent pas à leur porte d’embarquement ?
Mais où sont ils ?
Pris dans leur lecture debout au rayon « presse masculine » en feuilletant « vélo magazine » ?
Rêveurs devant leur tasse de café expresso et leur macaron Ladurée ?
Coincés avec leur casque devant une série débile sur leur ordinateur ?
Enfermés dans les WC et malades (de leur bilan carbone) ?
Blessés en bas des escaliers (les toilettes sont au sous-sol) et incapables de remonter ?
Charmés par une rencontre et décidant de tout plaquer pour rester dans cette étincelle ?
C’est cette dernière hypothèse qui me plait le plus.
Que peut il y avoir de plus impérieux que de prendre son vol – une fois que tu es dans la salle d’embarquement - si ce n’est une rencontre ?
On se croirait presque dans un téléfilm de Noel.
Il n’empêche ce matin un passager pour Toulouse a - encore - disparu à Orly.
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