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Ben Donich - 847 m |
Sur la même période, je lisais le matin avec mon petit-déj, la série d'été du monde "Everest Business" en 6 épisodes qui décrit comment l'ascension de l'Everest est devenue une industrie touristique. Charlie Buffet (le journaliste) y passe en revue différents aspects : en partant le nombre de personnes qui gravissent le sommet (un vrai celui-là, pas un Ben quelque chose) chaque année : 846 personnes pour cette saison (celle qui s'est achevée au printemps) sachant qu'en 1953, le total des "summiters" s'élevait à 353 personnes depuis le début des expéditions. Je n'ai pas tracé de courbe, c'est probablement une exponentielle (ce que confirme une étude américaine sur le sujet). Il suffit de voir les photos de la longue file d'attente sur la crête avant d'atteindre le sommet pour comprendre ce que signifie surexploitation de la zone. En me penchant sur le sujet je découvre qu'il existe sur Wikipedia la liste des double "summiters" (au moins 2 ascensions) et un registre des summiters : il faut pour cela avoir gravi l'Everest et être redescendu à pied au camp de base. En 2024 plus de 11 milles ascensions, réalisées par 7120 personnes, ce sont principalement les sherpas qui cumulent les multi-ascensions et les guides (qui sont aujourd'hui principalement Népalais, la tendance est récente, elle date de moins d'une dizaine d'années).
Sans surprise, ce sont surtout des hommes qui cherchent à gravir des sommets : jusqu'en 1989 seulement 4,5% des grimpeurs étaient des femmes, ce pourcentage a doublé sur la quinzaine suivante, et depuis 2006 elles sont près de 15% des grimpeurs.
Bien un truc d'homme que de vouloir se retrouver sur le toit du monde (
je suis le plus grand!), Sun lien avec le pouvoir, l'égo, la domination (ne serait ce que de l'espace)? Je suis prête à parier que tous ceux là savent
faire atterrir un avion de ligne si besoin.
Autre fait intéressant (et pas surprenant) : peu de femmes parmi les Sherpas, la première femme Sherpa a gravi l'Everest en 1993 et est décédée dans la descente, elle s'appelait Pasang Lhmau Sherpa (et était femme de Sherpa). Au passage de mes recherches, je découvre un livre "les népalaises de l'Everest" publié en 2021, de Anne Benoit-Janin que je m'empresse de mettre sur ma liste.
Les articles poursuivent par ce qu'est devenu le camp de base : une ville éphémère avec le Wifi, de la moquette et une machine à expresso (pas encore de spa, ça ne saurait tarder) ; le business repris par les Népalais ; la place qu'ont pris les hélicoptères dans l'ascension : beaucoup de gens ne montent plus à pied au camp de base, encore moins n'en redescendent par leur propres moyens, ils sont nombreux à se déplacer en hélico ; sans compter les nouveaux exploits : gravir l'Everest en 1 semaine porte à porte (la porte de départ étant Londres ou NYC). Le dernier épisode est consacré au sauvetage de cette chinoise dans la zone de la mort par deux Sherpas.
Je ne suis pas une alpiniste, et je n'ai aucune velléité de grimper des sommets, mais je peux comprendre la passion, l'effort, le fait d'éprouver la montagne. Je me suis une fois renseignée sur le Kilimandjaro, pour la simple curiosité d'un sommet enneigé en Afrique, et parce que le nom me plait à prononcer, j'aime les sonorités dans la bouche.
Je ne peux pas comprendre de vouloir le faire vite, ni de le faire "à moitié".
Je ne comprends pas la recherche de l'exploit, ni la ligne dans le CV (ce qui marche aussi pour les gens qui ont couru un marathon : je suis tombée l'autre jour sur le site d'un gars qui accompagne à la prise de parole en public, il écrit : "comédien, coach en prise de parole, marathonien"!). Tout me pousse à croire que sur les CV des summiters, c'est mentionné.
J'ai besoin de l'expérience, du temps, de la difficulté, de le sentir dans les jambes, dans les poumons. Que le corps le traverse.
Pas de l'hélico.
J'aime autant les courbatures et la fatigue après : le moment où j'enlève mes chaussures, où je m'écroule dans mon lit, où je tombe de sommeil dans mon assiette.
Je ne comprends ce gars monté en hélico qui raconte qu'il passe une semaine au Camp de Base à s'acclimater en télétravaillant (véridique!).
Je ne comprends que quand on aime la montagne on évite l'approche, on évite la montée, qu'on choisisse l'hélico plutôt que la marche, tester son matériel, humer l'odeur de ses chaussettes (!). Ce n'est pas la montagne qu'ils aiment, c'est en parler plutôt que de le vivre.
Un autre gars explique qu'il est membre du gouvernement anglosaxon et qu'il n'a pas suffisamment de temps à consacrer à sa passion (la montagne) alors il choisit le le "faire" en une semaine (porte à porte), ce qui suppose plein d'artifices pour l'acclimatation, notamment dormir dans une chambre hyperbare. Pourquoi ne pas choisir un sommet moins prestigieux ? Une randonné ou une approche qui se réaliserait en une semaine puisque c'est le temps dont il dispose. Dormir au frais, dormir en refuge, avoir froid, avoir mal...Sacré programme en comparaison de la chambre hyperbare.
Parce que probablement ce qui est recherché n'est ni la marche ni l'expérience, mais l'exploit, pouvoir dire, écrire, répéter avoir gravi l'Everest.
A l'autre bout du spectre, il y a
Mitch Hutchcraft qui a gravi l'Everest en partant de chez lui (Pays de Galles) sans jamais prendre un seul moyen de transport : il a traversé la Manche à la nage, les continents à la course à pied et à vélo et a grimpé l'Everest "tranquillement" (ie pas en courant). Son record à lui c'est la durée la plus longue pour gravir l'Everest : 8 mois.
De 1 semaine à 8 mois.
Certainement plus de choses à raconter que quand on est juste allé télétravailler au Camp de Base.
Il y a de quoi publier et partager : la préparation, la sensation, l'empreinte dans le corps (il a perdu 16kg et gagner en muscle, les photos avant/après sont impressionnantes, rien que la barbe et les cheveux qu'il n'a pas coupé de son périple), le sens avant, la signification après.
Le Ben Donich et ses 8000 mètres d'altitude de moins que l'Everest me suffit largement. Sa zone de tourbière est tout aussi impressionnante que la zone de la mort, je n'ai pas fait la queue pour atteindre le rocher et en redescendant il y a le Boat shed et son wifi, très certainement aussi bien que le Camp de Base. Je me tâte à ajouter sur mon CV (ou sur ma page Linkedin pas du tout à jour : Summiter du Ben Donich, et préciser que je suis un quart de marathonienne).
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