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Gabriele Münter |
Il y a quelques semaines, l'Espagne a subi par une panne électrique d'ampleur. Bien que je ne parle pas espagnol - à part commander une bière et du poulet-frites (le kit de survie), cette panne m'a beaucoup affectée. Interpelée. Questionnée.
J'ai tout de suite compris ce que je ne pourrai pas faire. Comment j'étais paralysée. Comment la société serait vite à l'arrêt.
Je n'avais pas besoin de le vivre.
J'ai pensé à tout ce à quoi je devais renoncer.
J'ai aussi pensé à tout ce que je pouvais changer.
J'ai pensé à tous les trucs inutiles qu'il était possible de contourner.
Dans les jours qui suivent ou précèdent (je ne sais plus), je suis allée au lancement de la Convention des Entreprise pour le Climat, un climatologue Christophe Cassou parlait des choix à faire dans plusieurs domaines, il disait par exemple que dans les années qui viennent la région Languedoc Roussillon devrait choisir entre le tourisme et l'agriculture, les tensions sur l'eau ne permettraient pas les deux.
La question est qu'est-ce qu'on protège et garde qu'est ce qu'on sacrifie, à quoi on renonce. Le tourisme ou l'agriculture?
Quand il n'y a plus d'électricité la question du choix ne se pose plus, il a été posé sans nous.
Et un soir, je regardais une série et d'un coup tout s'éteint. Plus d'éléctricité. Je vérifie l'interrupteur. Rien
Je vérifie à la fenêtre, mais il est tard je ne vois pas si les voisins ont ou pas de l'électricité.
Evidemment, j'ai vérifié le disjoncteur des chambres, de la maison ...
J'ai bien du me rendre à l'évidence que c'était bien une panne d'électricité.
Et c'était angoissant, même en pleine nuit.
Il y avait des coupures d'électricité quand on était enfant, c'était un épiphénomène désagréable selon l'activité en cours : regarder la télé ou écouter un disque, pas d'incidence quand on jouait aux Legos et aux Playmobil (tout du plastique cependant).
Je n'en avais pas subi depuis des années, j'avais même oublié que ça pouvait arriver.
Alors que c'était la nuit, qu'il n y avait plus rien d'autre à faire que dormir et que je n'avais pas besoin d'électricité j'ai gambergé, imaginé ce que je ferais demain si le courant n'était pas revenu.
J'ai tourné en boucle là-dessus : économiser mon téléphone, ce qui ne serait pas possible longtemps car le wifi ne marchant pas je devrais faire un partage de connexion, ne pas ouvrir le frigo trop longtemps, l'allume-gaze ne fonctionnerait pas, retrouver les allumettes ... bref j'ai passé en revue ma journée sans électricité.
J'ai pensé à quelqu'un qui avait expliqué comment ils faisaient au Liban car l'électricité n'est pas disponible toute la journée. Ils y arrivent tous les jours, je devrais pouvoir y arriver quelques heures.
Je venais de finir La montée des eaux de Pierre Lieutaghi : en une nuit les eaux sont montées de 800 mètres, ne laissant que ceux et ce qui vivaient au delà, en les isolant les uns des autres, sans électricité, sans essence... sans énergie et surtout sans support extérieur. Je fais alors la liste de tout ce que je ne sais pas faire, de tout ce qu'ils se remettent à faire pour survivre?
Entre tout ce que je ne peux pas faire et tout ce que je ne sais pas faire, il ne reste pas grand chose à faire, surtout au milieu de la nuit.
Le monde peut sembler épouvantable, ai-je dit, mais le milieu de la nuit est le pire moment pour réfléchir à toutes ces questions existentielles.
Julia Glass - En ces temps de tempêtes
Il n'empêche, j'ai dressé la liste de tout ce qu'il possible de sacrifier sur l'hôtel de l'électricité, et au delà.
Les volets roulants pour commencer. Les volets roulants sont un deal breaker. Un élément rédhibitoire à tout. L'objet inutile et moche. Oui mais pratique, repend-on en général. Je n'ai jamais compris pourquoi les gens installent des volets roulants. En Espagne, ceux avec de volets roulants ont passé la journée dans le noir et s'ils en avaient aussi sur leur porte d'entrée, ils sont restés coincés à l'intérieur. Sacrifier les volets roulants.
Comme les brosses à dents électriques. Ce fut une idée de mon iMari il y a quelques années, une idée bien saugrenue pour quelqu'un qui ne se lave les dents qu'une fois par semaine, et encore. J'ai racheté des brosses à dents en bambou quand le bloc des enfants a rendu l'âme. J'attends que le nôtre fasse de même et il finira à la déchetterie. Parfois l'iMari prend des drôles d'initiatives, de celles qu'on n'attend pas, alors qu'il y en a des plus évidentes.
Trop facile pour moi ça. Comme de boycotter la Coupe du Monde de Foot. Je ne renonce à rien. Pour que ça compte il faudrait que je sacrifie une chose qui a de l'importance pour moi.
Les réseaux sociaux. Supprimer les réseaux sociaux. Petit renoncement. un peu comme de dire je ne mangerai plus de bonbons. Je ne suis pas une grande fan, ni une grande utilsatrice. Je me suis passée de Instagram une semaine, sans trop d'effort.
Le streaming. Là je commence à taper fort. Musique, prodcats et films. Comment faire ? Je repasse au vinyles et aux CD, mmmh sans électricité pas facile. J'écoute la radio, à heure fixe sur un poste avec des piles. Ce que je suis bien incapable de faire. Films et séries : j'ai de la réserve en DVD et sur un gros disque dur, de quoi m'occuper jusqu'à la fin du monde probablement. Toutes mes dispositions de secours fonctionnent sans internet mais pas sans électricité.
Heureusement j'ai des livres, partout dans la maison, je peux lire le jour et des bougies pour la nuit (qui sentent bon et éclairent aussi - au grand dam de mon iAdo qui a eu dans son kit de survie étudiant une bougie odorante Marius à l'huile d'olive).
Sans électricité j'ai dressé la liste de toutes les choses inutiles qu'il serait possible de sacrifier : la vache qui rit, l'eau en bouteille (surtout celle avec des matières fécales et des pesticides), le gazon artificiel, les footballeurs professionnels (surtout ceux qui se marrent à l'idée de se déplacer en char en voile), les voitures de golf (quelque soit leur taux de taxe douanière), les faux ongles, les grosses voitures (en particulier celles qui sont des armes pour écraser les cyclistes) et pour finir les Jeux Olympiques.
Beaucoup n'ont pas grand chose à voir avec la panne d'électricité, mais c'est ce à quoi je pensais cette nuit là.
Peut être parce que j’étais jeune, mes jours étaient beaux. Je ne mesure qu’aujourd’hui ce que la beauté du jour doit à la présence de la nuit.
Jean-Baptise Andrea – veiller sur elle
Je me suis dit aussi que c'était une discussion à avoir en famille : que feriez vous une journée sans électricité ?
Mon dernier iAdo a répondu "j'ai une batterie externe, je tiens plus d'une journée". Pas sans wifi j'ai répondu. Mais si mon forfait data me permet de tenir. Il a confiance, sans comprendre que le relais mobile pourrait ne pas fonctionner, et surtout il serait judicieux à ce moment là de limiter le débit au minimum c'est à dire à la voix, pas aux données. Mais on rentre dans une discussion technique.
La conclusion de cette gamberge nocturne est qu'un jour sans électricité : je lis.
Ce n'est pas très différent de d'habitude.
Vers une heure du matin, le courant est revenu, la lumière du couloir, restée allumée, m'a réveillé.
Je me suis levée, j'ai éteint avant de me rendormir.
Ce n'est pas demain que je vais lire toute journée.
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