Fabienne Verdier |
Je ne suis pas la seule.
Pas la seule à croire que la vie est une boucle.
D'autres que moi, et pas de moindres. Nicolas Mathieu.
Autre Nicolas. Des boucles de Nicolas. Je vais devenir dingue à faire des liens comme ça.
Autre écrivain que j'ai l'impression de connaitre.
Je pourrai presque le considérer comme "un ami de la famille".
Je n'aime pas plus que ça son écriture et ses histoires sont plates. Elles ne m'emmènent nulle part. Ne me donnent envie d'aller nulle part, voire me feraient rayer des endroits de la carte tellement il en parle mal.
Mais c'est un "proche", même si je n'avais pas entendu parler de lui avant qu'il ne reçoive le Goncourt.
Ce jour-là, je marchais avec une copine avec qui je travaillais. On avait bossé ensemble le matin, elle est historienne, chercheuse, consultante, protestante, prof à l'université, conférencière, écrivaine ... un doux mélange. Je l'ai croisé récemment au hasard d'un podcast.
Nous remontons la rue, pour aller déjeuner. Au Pur Café, une institution du 11è, où j'adorais les deux barmans, (c'est une autre histoire, celle des barmans du Pur).
Elle reçoit un SMS et me dit ravie, presque en sautant de joie : "Nicolas a eu le Goncourt."
Et m'explique que c'est le meilleur ami de sa fille et qu'ils attendaient ça depuis quelques jours.
La façon dont elle en parle me transporte dans son salon où Nicolas et sa fille sont sur le canapé, et moi sur le fauteuil en face, intranquilles, posant un livre le reprenant, buvant du thé, rajoutant du sucre, du lait, puis finalement aller le verser dans les plantes, se lever se rassoir ... Impatients, entièrement tournés vers l'attente.
Elle m'a parlé de Nicolas tout le déjeuner. Je me suis sentie obligée de lire son Goncourt ensuite. C'est un "ami de la famille" qui m'a tout de suite déplu, mais comme tous les "amis de la famille", je sais de loin en loin ce qu'il devient. parfois malgré moi, parfois sciemment comme pour la série #WhenIwas15 sur l'amour et le désir des ados (après la censure sur le livre "bien trop petit"). Comme souvent avec les amis de la famille, j'ai même suivi son compte Instagram, avant de le supprimer ça m'énervait plus souvent que je n'étais intéressée.
Depuis ce texto dans la rue, j'ai eu l'impression de le connaitre.
Et en ce moment il est très présent dans la presse, à la radio avec son dernier livre A ciel ouvert. Qui a l'air bien écrit celui-là, les extraits que j'en lis donnent envie. Mais, qui a envie envie de lire les états d'âmes d'un gars qui trompe sa femme pendant des années ? Avec le temps qu'il me reste, je vais me consacrer à autre chose.
C'est dans un article des Inrocks que je boucle avec Nicolas, Mathieu cette fois.
En à peine une centaine de pages, Mathieu restitue son mouvement le plus vrai et le plus intime : la vie est circulaire. Nous la comprenons après en voir fait le tour, et si nous ne revenons pas exactement au même point , c'est parce que notre déplacement temporel nous a fait voir les choses différemment, dans leur nudité, selon le principe d'anamorphose de Henri James. Ici le livre commence bien sur par l'amour et s'achève par la joie.
Cela m'a semblé soudain tellement limpide.
Bien sûr qu'on ne revient pas au même point. Qu'avais-je imaginé?
Ce n'est pas une boucle et on passe à autre chose, ni une ligne qui ne revient jamais en arrière, mais une spirale, pas la spirale du ressort, plutôt la spirale-spaghetti qui s'emmêle un peu les fils (comme ceux de mes écouteurs).
Comme Nicolas n'est pas un scientifique, peut-être ne connait-il la spirale? Encore moins la spirale-spaghetti façon fils d'écouteurs.
Dans ma boucle de Nicolas, j'ai re-sorti L'usage du monde (Bouvier) pour ...je ne sais pas au juste. Avec un titre comme ça, je m'attendais à des clés indispensables sur le monde, ou sur la vie. Je me rappelle avoir été déçue à l'époque de ne pas avoir eu un manuel façon manuel d'usage (de votre iDevice par exemple). Avec un titre comme celui-là, j'espérais un usage de la vie : boucle ou ligne? Que faire en cas d'entrelacs?
Je ne l'avais pas fini. J'ai constaté le coin de page plié à cinquante pages de la fin.
Il est désormais sur ma table de nuit et le soir avant de me coucher je fais quelques kilomètres avec lui pour terminer ce voyage . Je suis désormais dans l'Indu Kush. J'ai passé Kandahar et Kaboul.
Évidemment, maintenant je meurs d'envie d'aller en Afghanistan.
Ce Nicolas (Bouvier) ne boucle pas, parti de la Suisse, il trace en voiture, en camion, en toute sorte de véhicule plus ou moins motorisé à travers le continent vers l'Afghanistan.
Il est sur une ligne qui jamais ne boucle, une ligne qui tire plein Est.
Et je suis allé boucler la boucle des tests à l'hôpital. Les efforts, le souffle, les mesures.
Moi dans la salle d'attente avec mon Mac sur les genoux.
Lui, avec une heure (55 minutes dit-il ) de retard.
La consultation entremêlée de la conversation.
Il a fini Le vide et le plein. Il lit L'usage du monde.
A ce moment-là des croisements de boucles et des entrelacs de fils, je me dois de préciser qu'il ne s'appelle pas Nicolas.
Nous sommes sur la même ligne, celle de Nicolas entre Genève et l'Afghanistan.
Mon coeur est devenu normal, me dit-il. Il n'est plus dilaté, a repris forme symétrique, le volume du coeur doit est deux fois plus petit que six mois auparavant. Il me montre les chiffres.
Sur l'écran, il pointe en dynamique une coupe du coeur, où il n'y a plus du tout de shunt entre les deux cotés des auricules.
"C'est fini le trou est définitivement bouché, et comme il a repris forme normale il n'y a aura pas de problème avec la partie du stent qui dépasse." annonce-t-il content. Il va au spa le jour de la semaine où il ne travaille pas, après avoir couru 40 minutes, et s'active pour terminer sa thèse. Il enchaine entre les données du coeur, L'usage du monde, l'usage de son temps libre dans le même souffle de phrase.
On compare nos temps de courses à pied, je cours plus longtemps, mais lui plus vite. Ça m'agace.
Je demande comment on vieillit avec un stent, il me dit qu'il ne sait pas, ils n'ont pas de recul depuis cinq ans qu'ils en posent dans le coeur. "D'habitude les stents c'est sur des artères, des vaisseaux plus rigides, mais là s'il n'a pas bougé, il ne bougera plus". Je crois que je suis rassurée, il est content des résultats, de tous les résultats.
Il me parle de sa maman, je m'excuse de mon texto énervé lors du changement de rendez vous, je lui avoue que venir à l'hôpital me coûte beaucoup, il me rappelle que j'ai eu énormément de chance avec ce protocole.
Je suis pressée de partir. On se revoie en consultation dans un an et demi. Je sais qu'il va me manquer. Il propose un apéro dès qu'il fera beau. Je préférerai une visite ou une expo, un moment en mouvement.
Une boucle ? Une ligne droite ?
Ce n'était pas bouclé quand je l'ai quitté, et la trajectoire n'était pas définie.
J'aurai pu écouter James Blunt, comme quand je flotte ou que je suis désorientée
Il a fallu l'après-midi pour je réalise.
Il a fallu du temps pour que j'ordonne pensées et émotions.
Et d'un coup j'ai réalisé que c'était fini.
Que j'étais guérie. Que je le lui devais.
Envahie d'émotions contrastées joie, tristesse, soulagement et gratitude, bien intriquées, comme les fils de mes écouteurs.
Ni boucle, ni trajectoire linéaire.
Comme les fils des écouteurs qui s'emmèlent, il a fallu le temps de démêler et de lui dire en quelques lignes merci et le reste. Et qu'il allait me manquer. Pas le médecin, la personne.
La boucle a commencé avec l'épisode médical et se termine sur la possibilité de cette relation, qui serait alors une trajectoire linéaire, un peu moins loin que l'Afghanistan tout de même.
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