Je crois que c’est fini. Ça me rend un peu triste, mais je mets un terme à la relation. Je me dis « c’est la dernière fois », sans en être totalement persuadée. Peut-être que je replongerais, peut être un soir d’hiver, au coin du feu, j’aurai envie de le lire à nouveau.
J’ai fini le dernier Tesson et je le quitte. Je ne lirai pas les prochains. Entre lui et moi, c’est terminé.
Enfin surtout moi.
Lui s’en fout. Cela ne lui fait pas du tout le même effet qu’à moi.
Je pourrais un jour me présenter devant l’auteur ou l’autrice en croyant que nous sommes liés et constater l’évidence : la relation ne s’est produite que dans un sens, et je suis une étrangère, debout devant quelqu’un que je crois connaitreAlice Zeniter – Toute une moitié du monde
Cette sensation a un goût de déjà vu, je parle de "c’est fini et d’être tout de même triste".
J’ai déjà vécu ça. J’ai déjà été à l’initiative d’une telle rupture, et pas qu’avec un écrivain qui ne me connait pas.
J’avais une vingtaine d’années, j'étais dans une histoire avec un gars, un truc qu’on nommerait aujourd’hui situationship. C’est-à-dire pas une histoire, une situation non définie, mal définie, que personne n’a envie de détourer, entre friends with benefits ou sex buddy ; la relation qui arrange tout le monde parce que pas encombrante, qui dure sans engagement, et qui sauve des soirées voire plus.
Et puis après des années de cet état de relation, un soir au moment de se dire au revoir j’ai su que pour moi c’était fini.
J’ai su que je ne l’appellerai plus, j’ai su que je ne lui répondrai plus, j’ai su que sauf le hasard, nous ne nous croiserions plus.
C’était d’autant plus facile qu’il y a trente ans, il n’y avait ni téléphone portable ni réseau social. Pour se voir on se faisait des plans OSTOSFUB (on se téléphone on se fait une bouffe), tous les contacts passaient par la ligne fixe, celle des parents à l'époque.
Couper les ponts était aussi simple que de jeter son chewing gum par terre (ce que plus personne ne fait aujourd’hui).
Je revois très bien la scène, j’ai dit « salut » et j’allais partir. Quelque chose dans mon ton, dans mon attitude a donné un indice : « on se rappelle bientôt ?, ou pas bientôt, tu m’appelles quand tu veux, je serai toujours là, j’aime bien quand tu m’appelles, ça me fait plaisir de te voir… » J’ai eu une logorrhée, comme jamais. Il a dut vouloir tout me dire en une seule fois. Je n'ai rein écouté. J’ai di oui à tout, je n’avais qu’une envie, c’était de partir, tourner la page. C’était fini. Et ce fut fini. Je ne l’ai jamais contacté, croisé, ni lui non plus d’ailleurs.
Aucun risque d’avoir la même logorrhée avec Tesson. Il ne me dira rien.
Mais il me parle tout de même. Je suis d’accord avec lui sur bien des points, au moins sur une moitié (pas celle qu’il oublie)
Poèmes et romans offrent la clé des songes et la carte des lieux : mieux que le guide Michelin.Sylvain Tesson - Avec les fées
Il n’est pas un livre ou bande dessinée que je lis qui ne me donne envie d’aller visiter l’endroit dont il est fait mention. J'ai emmené toute la iFamille à Edimbourgh dans le décor de Alexander McCall Smith, Brooklyn sur les traces de Paul Auster et New York d’après Siri Hustvedt, je rêve d’aller en Alaska après avoir lu Catherine Poulain ou les rocheuses d’après Pete Fromm.
J'ai collectionné les petites vérités de Tesson au fil des lectures.J’ai assez de ses petites phrases pour le restant de ma vie et d’ailleurs certaines sont discutables
Rien n‘est jamais perdu pour qui sait regarder la mer en face.Sylvain Tesson - Avec les fées
Ça sonne cliquant, mais on peut remplacer la mer par la cime, le mont, la neige…
Ces mots sont des bonbons à suçoter, mais le gout du sucre n’est pas terrible une fois le bonbon avalé. J’aime le son dans les oreilles, mais il me manque du sens à la suite de ces chapitres.
Voila, Tesson et moi c’est fini.
Je me donne le droit de le relire (parmi ceux de ma bibliothèque), de le reprendre (j’ai fait des réserves de citations et d’extraits) mais je n’achèterai ni ne lirai les prochains, les futurs, toute sa prose à venir.
Je suis un peu triste, mais le temps qu’il me reste je ne veux pas le passer avec lui.
A un moment on se pose la question des petits arrangements, de leur sens, et de ce qu’on pourrait faire de notre temps.
Un peu comme quand j’avais vingt ans.
Commentaires
Enregistrer un commentaire