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Restaurative versus réparatrice, les mots ne sont pas anodins

Au musée de la vie romantique : la main de George Sand

Attention, malgré un début léger ce post parle de violences (encore!)

Je vais parler d'un film que je n'ai pas vu. Et que je n'irai probablement pas voir. Dont tout le monde me dit du bien : de la prof de yoga à la personne qui sort de la salle de ciné et qui enjoint toute la file des Trois Mousquetaires à changer d'avis et de séance.

Pour que j'aille au cinéma voir les Trois Mousquetaires, ça en dit long sur mon état d'esprit ce jour là. J'étais fatiguée, j'avais envie d'un truc facile, d'une histoire qui ne me demande aucun effort ni aucune empathie, j'avais envie de voir des beaux gars jouer les gros bras. Ah (long soupir) Pio Marmai, oh (les yeux tout ronds) le sourire de Romain Duris ... Rien à dire que les deux autres : François Civil a quelque chose dans son visage, et Vincent Cassel me débecte. Si, des choses à dire sur les deux autres en fait.

Ce soir là non, je n'allais pas changer de file pour aller voir "je verrai toujours vos visages". Je passe sur les critiques du jeu des acteurs, dont on dit qu'ils en font trop dans le mélodrame. Je veux juste m'arrêter sur le concept de justice restaurative dont parle le film, encore une fois, que je n'ai pas vu.

Parler du concept, remettre du cadre, devant l'emballement dégoulinant de bonnes intentions que j'entends malgré moi. 

En France sur le site institutionnel, celui du Ministère de la Justice (dont le représentant du gouvernement est indigne de la fonction) il est bien écrit : 

La justice restaurative consiste à faire dialoguer victimes et auteurs d'infractions (qu'il s'agisse des parties concernées par la même affaire ou non). Les mesures prises, selon des modalités diverses, visent toutes à rétablir le lien social et à prévenir au mieux la récidive.

Ce qui pose au moins deux questions :
La France a signé la Convention d'Istanbul à l'égard des femmes et des violences domestiques, et plus largement sur les violences intrafamiliales. Il y est stipulé qu'aucune médiation ne peut être faite ou proposée entre une victime et son agresseur. Pour protéger la victime tout simplement, ne pas la remettre en présence de son agresseur. 
La version française de la justice restaurative ne semble pas s'en encombrer puisqu'il s'agit de "faire dialoguer des victimes et agresseurs dans les mêmes affaires". Sachant que dans plus de 99% des cas ce sont des femmes, cette justice - qui n'en a que le nom - propose à celles qui ont déjà du se battre pour dénoncer, porter plainte, raconter plusieurs centaines de fois leur histoire à des policiers, au tribunal et donc face à leur agresseur de ... recommencer. Où s'arrête la violence qu'on inflige aux victimes?

La deuxième interrogation porte sur l'objectif visé : "rétablir le lien social et prévoir la récidive". On s'occupe donc des agresseurs, l'intention est louable. En remettant en difficulté les victimes si elles se retrouvent de nouveau face à leur agresseur. On est en droit de s'interroger sur l'efficacité d'une telle proposition.

En 2020, sur France Culture, dans la série des hommes violents, Mathieu Palain était allé à la rencontre de 12 hommes, condamnés pour violences conjugales. On les écoute dans les groupes de paroles auxquels ils sont contraints de participer, seuls en échange avec Palain, on y entend l'avis des psychologues qui le suivent. 
Pas un ne regrette. Ce qui est déprimant dans cette série extraordinaire, c'est que je n'ai perçu aucun remords, aucune contrition, aucune compréhension de leurs actes ni de ce qu'ils ont de repréhensibles. Ces hommes restent sur "elle m'a provoqué". Rien n'est leur faute, dans le meilleur des cas, ils imputent la responsabilité de l'alcool, qui évidemment est un facteur aggravant. 
On est très loin du rétablissement du lien social. 

Plus récemment, dans la revue la Déferlante (il faudrait que je retrouve quel numéro) un éducateur engagé dans ces centres fermés où sont incarcérés des pédocriminels évoquait son désarroi face à ces hommes qui finalement ne comprennent pas vraiment le problème et parle de leur incapacité à vivre en société. Eviter la récidive : cet éducateur disait clairement qu'il n'y avait ni méthode, ni protocole pour cela. En bref, ils sont relâchés, ils recommencent.

Dorothée Dussy dans son livre "le berceau des dominations" recueille les témoignages de pédocriminels condamnés pour des peines longues : ils comprennent intellectuellement qu'ils sont franchi la ligne de la justice, mais uniquement la ligne de la justice. Pour eux il n'y a pas réellement faute. Ils ne sont d'ailleurs pas "malades" ni à soigner, Dorothée Dussy l'écrit très bien, ils ont juste "envie d'écrabouiller le plus faible".

Ce n'est pas optimiste, cela veut dire qu'aucun retour en arrière n'est possible ; ou que peu de repentir n'est atteignable. Il faut donc qu'on éduque les garçons franchement différemment, qu'on les "sociabilise comme les filles" écrit clairement Lucie Peytavin dans Le coût de la virilité.

Pour en revenir au film  : ce n'est pas en mettant les agresseurs en face des victimes qu'ils vont comprendre la gravité de leurs actes et l'étendue des dégâts. Ils sont agresseurs parce qu'ils ont manqué d'empathie, pour quelle raison, en face des mêmes victimes seraient-ils capables d'en avoir plus après coup ? 

Tout n'est pas perdu. Les Canadiens ont aussi un dispositif du même genre : eux la nomme "justice réparatrice". Le changement de mot est loin d'être anodin, il indique le changement de point de vue : celui de la victime. La justice réparatrice part du besoin de la victime  :
l'approche de la justice qui vise à réparer les torts causés en donnant aux personnes lésées et à celles qui assument la responsabilité des torts infligés l’occasion de communiquer leurs besoins respectifs et d’y répondre à la suite de la perpétration d’un crime

Les mots ne sont pas du même registre : on y parle de ceux qui assument la responsabilité de leurs actes et on y parle de crime, pas d'infractions.

Le dispositif canadien est très encadré, et ne dégouline pas de bonnes intentions comme le français, il essaie d'être opérationnel : 

- les victimes ne se retrouvent pas en face de leur agresseur. Pas du tout. Mais en face d'agresseurs de crimes similaires.

- dans les cercles de parole, la société est représentée par des citoyens lambdas (volontaires bien évidemment). Et ça ca fait une différence. Il y a un représentant de la "communauté" comme disent les Canadiens. Les actes de violence ont des impacts au delà du binôme agresseur-victime, et c'est essentiel de l'entendre. Ce n'est pas qu'une relation dominé-dominant, ça se passe dans un environnement, un sytème social qui est représenté partie prenante du dispositif.

Le podcast québécois Les Vivants ont produits une série sur le sujet  : la 3ème personne. Cette 3ème personne est celle qui représente la communauté. Ce podcast produit en 2018, interroge des agresseurs, des victimes, des troisièmes personnes. Il n'est pas facile à écouter, on y parle de violences sexuelles, alors attention avant de vous lancer. 
On y comprend très bien le dispositif québécois, qui semple plus professionnel que notre bricolage bien intentionné mais dangereux de notre version française.
Enfin, la tribune récente de Edouard Durand dans le Monde sur ce film m'a confortée dans ma position vis à vis du film "je verrai toujours vos visages ". Il y écrit qu'on va trop vite dans l'exercice de tentative  de réparation et de pardon, au service des agresseurs d'abord,  et précise que le langage a ses limites et qu'il faut parfois accepter l'échec de ce que le langage ne pourra pas résoudre. 
Il remet un peu de réalité dans l'expédient que pourrait être de trouver une solution et une voie de sortie aux agresseurs

Le défi auquel nous sommes confrontés n’est pas de tendre la main aux violents sexuels ou aux violents conjugaux, la société l’a toujours fait. Ne confondons pas l’humanité et la connivence. Le défi est de prendre au sérieux la réalité des violences extrêmes qui sont commises dans l’intimité, la dangerosité des agresseurs et la souffrance intense et durable des victimes. Ne confondons pas l’humanité et l’indifférence. Edouard Durand dans le Monde.

Je rappelle qu'Edouard Durand est un magistrat qui a longtemps été aux affaires familiales de Bobigny et si vous n'avez pas vu le documentaire Bouche cousue, que le sujet vous intéresse et que vous êtes costaud, vous comprendrez rapidement de quoi il parle. Il est aujourd'hui le président de la Civise et milite ardemment sur le retrait de l'autorité parentale dès l'ouverture d'une enquête pour violence intrafamilliale. 

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