Queyras, rien à voir avec les chemins noirs
J'ai tout lu, tout aimé. Sans grand discernement certainement. En toute subjectivité.
Alors que j'aime pas du tout Jean Dujardin comme acteur.
Alors que filmer le repli dans la marche et l'introspection d'un alcoolique repenti n'est pas le sujet le plus cinématographique de l'histoire.
Je me passionnais pour toutes les expériences humaines de repli. Les hommes qui se jetaient dans le monde avec l’intention de le changer me subjuguaient, certes, mais quelque chose me retenait : ils finissaient toujours par manifester une satisfaction d’eux-memes.
Il y a eu des milliers de manière de fuir le monde. Un homme du paleolithique avait du initier le mouvement. Je l’imaginais se lever, quitter la chaleur de feu et disparaitre à jamais dans la savane, menacé et libre. Plus tard, l’histoire avait multiplié les expérimentations.
Port Royal était la façon la plus noble et la plus accomplie de prendre congé.
Le monastère cistercien, la plus aisée ; tout était déjà en place, et les repas servis à heures fixes.
Le cabinet d’étude la plus modeste : il suffisait d’aimer l'érudition et d’avoir un bureau. L’atelier d’artiste, la plus civilisée : on se retirait et on laissait une œuvre à la postérité.
Le refuge de montagne, la plus hédoniste : en cas d’ennui on s’envoyait une face nord pour la beauté du geste.
La grotte d’ermite – époque bouffeur de lézards du IV ème siècle, la plus doloriste.
La bergerie dans les alpages, la plus romantique. La cabane dans les bois, la plus juvénile. Le fortin colonial, aux avant-postes de l’empire, la plus classe. La Commune rejouée dans un corps de ferme, la plus risquée, l’Etat n’aimait pas les flots de contestations..
Sylvain Tesson – Sur les chemins noirs
Alors qu'en dehors du personnage principal, le personnage secondaire le plus conséquent est le paysage, ce film ne passe pas le test de Bechdel. La durée totale des dialogues est de moitié celle du film. Les personnages féminins se comptent sur les doigts de la main d'un schtroumpf amputé.
Le héros ne fait pas bander, ne fait pas rêver, ne permet pas de se projeter. C'est un anti-héros nombriliste, misanthrope et pathétique par moment. Je ne lui pardonne rien.
Et pourtant j'ai aimé le film. C'est une prouesse, un miracle, un paradoxe, incompréhensible et inattendu.
J'ai aimé les paysages, j'ai aimé l'histoire de Sylvain Tesson à travers ce personnage réinventé.
C’était la noble leçon de Mme Blixen devant le paysage de sa ferme africaine : « je suis bien là où je me dois d’être ». C’était la question cruciale de la vie. La plus simple et la plus négligée.
Sylvain Tesson – Sur les chemins noirs
J'ai aimé la marche. J'ai aimé le baroudeur. J'ai aimé voir qu'il n'y a rien à voir.
Les Russes ont une idée très précise de ce qu’il faut voir ou de ce qui n’a pas d’intérêt. Cette représentation des choses est fréquemment aux antipodes de celles des baroudeurs.
Le tourisme officiel s’oppose violemment à l’idée du voyage, en déniant les charmes de la vie pour se concentrer sur les supposés « curiosités ».
Cedric Gras - L’hiver aux trousses (son ami écrivain, qui joue l'autre personnage masculin du film)
J'ai envié la solitude, j'ai envie le soir au coin du feu, la nuit sous les étoiles, le verre au bar du coin (d'eau pour lui, qui serait vin pour moi).
Je jalouse l'expérience et j'inscris sur ma liste des chemins à arpenter quand je serai à la retraite, celle des chemins noirs. Pas à la suite de Tesson, mais pour l'expérience d'être ici et pas là, d'être ici et coupée du monde, d'être ici et connectée avec plus grand que soi.
Je vous rassure, il n'y a rien de tout ça dans le film. C'est ce qu'il me fallait réinventer, d'être allée voir un film réalisé par un homme qui parle d'un autre homme, centré sur lui et ses copains mecs.
Tesson est ma passion honteuse, celle qu'on avoue après trois gin tonics. Le plus grave est que j'y suis allée à jeun.
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