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Madeleine

Départ du car, quand il fait jour 

 Je me déplace beaucoup, en particulier en ce moment. Je sillonne la France en train. L’appli SNC Connect est ma meilleure amie, surtout pour changer les billets retours à la dernière minute au moment de monter dans le (nouveau) train : vive la technologie. Je connais les salons Grand Voyageur de beaucoup de gares (il n’y en pas à Montpellier), je sais où prendre un bon petit déj (Café Folliet à Chambery), là où il faut réserver les taxis à l’avance (Cholet), là où les bus ne passent que toutes les 20 minutes (Albertville, du coup c’est à pied), les endroits où je ne sais jamais s’il faut sortir côté Nord ou Sud (Nantes, Lyon), et là où je me perds à chaque fois (Rennes, Marseille), les lignes où il n’y a pas de première classe (Abbeville), et celles où il y a deux gares (Lille). 

Et cette semaine, j’ai inauguré le Car Ter : c’est un car qui fait le trajet d’un TER, celui de la ligne entre Chambéry et Bourg Saint Maurice qui doit être en travaux. 

C’est une aventure, le Car Ter. Il ne se prend pas à la gare SNCF, contrairement à son nom, mais un peu plus loin, à ce qui s’appelle « la gare routière » nous dit la cabane en bois plantée au bord d’un parc agréable. Sur la cabane, il y a bien écrit gare routière, et au feutre fluo à plusieurs endroits l’agent a cru bon de préciser « je ne suis pas un agent SNCF ». Je me demande si c’est une altercation ou si c’est juste la lassitude de répondre aux voyageurs du train un peu perdus dans l’endroit qui parait presque bucolique pour une gare routière, qui l’a amené à coller ce papier manuscrit en rose autour de sa cabane en bois.

Nous avons un car affrété. Un car pas un bus. Ceux qui , comme moi, n’étaient pas citadins dans leur jeunesse connaissent le car, et ça n’a rien à voir avec les bus de ville. Mes années collège et lycée sont marqués par le car, le matin tôt, le soir tard.

Et là, à Chambery département de Savoie, les cars viennent de loin, de toute la région. Le nôtre est un car Marillac qui vient d’Ancelle dans les Hautes Alpes, à côté de là où j’habitais jeune. En fait c’est exactement la compagnie qui me trimballait au lycée. Je ne sais par quel détour la SNCF de Chambéry utilise des cars scolaires des Hautes Alpes, mais trente ans après je me retrouve dans un car pour le lycée. Heureusement ce ne sont plus les mêmes véhicules, reste l’ambiance.

Le chauffeur a été importé avec la compagnie : il a un look champsaurin avec ses lunettes de montagnes noires, et surtout son accent. Je n’entends que ça, son accent chantant, si particulier à cette vallée, si incongru ici à Chambéry. Je me retiens de lui dire bonjour sur le même ton, il pourrait avoir soudainement le mal du pays. 

Et quand il nous a mis sa playlist j’ai un goût intense de retour en arrière.

 

Pour aller au lycée, on prenait le car 6h30 le matin sur la place du village. C’était toujours la course pour attraper ce fichu car. Je montais dedans en espérant pouvoir finir ma nuit contre la vitre, dans le noir, le calme et le froid. Nous étions le point de départ du trajet, le chauffage poussif n’avait pas eu le temps de faire effet. Nous étions tous encore endormis, le calme aurait du être une obligation, un devoir, la base.

Mais à un moment dans ma vie de lycéenne, le car a été changé, dans cette version neuve il y avait un magnétophone. On pouvait y mettre une K7 (cassette audio). Le chauffage était toujours poussif, mais la radio était disponible et la musique si on apportait nos cassettes.

Fini le calme. 

Nous ne craignions rien avec la radio, dans ce coin la réception radiophonique de l’époque était nulle ou réduite à la radio locale que personne d’entre nous n’aurait admis écouter, pas même le chauffeur. 

Mais les cassettes … les cassettes ont ruinés mes trajets scolaires du matin. 

Parmi nous, il y en avait un, le simplet du groupe – je ne sais pas ce qu’on dirait aujourd’hui : il était plus lent, ne s’exprimait pas comme nous et surtout n’était pas au lycée mais dasn un cursus distinct, lequel je ne saurai pas le dire. 

Bref, lui, s’est mis à apporter des cassettes. 

Non, pas des cassettes. Une cassette. Une seule. 

La même tout le temps.

J’ai l’impression que toutes les années lycée ont été marquées par cette cassette, par l’album de Gold (Plus près des étoiles). Le car me ramène à cette chanson, dans le noir, dans le froid, dans ce demi-sommeil qui n’en était plus un du coup, devenait certains jours un cauchemar.

Alors quand le chauffeur de Chambéry a branché son téléphone et nous a mis sa musique, je me suis presque attendue à entendre « Plus près de étoiles ». Évidemment ce n’était pas la même chanson, mais c’était sa version contemporaine : « des milliers de je t’aime ». 

Et le clou du spectacle, c’est que le chauffeur, tatoué champsaurin de 55 ans, s’est mis à chanter. Pas freudonner, chanter vraiment, il connaissait toutes les paroles (pas très compliqué), et l’air, juste, fort, clair afin que tout le monde en profite.

Dans mon car dans les années en 1987, si nous connaissions tous les paroles par la force des choses, personne, jamais, n’aurait chanter. 

Ce trajet fut un enchantement, un retour en arrière actualisé. 

La cassette remplacée par le smart phone, « plus près des étoiles » par « des milliers de je t’aime » pour une même expérience du car Marillac qui devient Car Ter

C’est une Madeleine, celle de Proust.

 

Pour ceux qui ne connaissent pas des « milliers de je t’aime », le chanteur est Slimane (Merci Shazam) et apparemment il est le vainqueur de The Voice (Merci mon client parent d’ado branché).

Et pour toutes celles et ceux qui regrettent la fin des années 80, l’album K7 de Gold.

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