J’ai fait une grosse erreur de jugement, j’ai longtemps mis Angot et Houellebecq dans le même panier, les renvoyant dos à dos, l’un n’étant pour moi que la version féminine de l’autre. J’ai lu Houellebecq (les particules élémentaires et le suivant), je ne comprends pas qu’on puisse trouver un intérêt à ce qu’il écrit, ni même à son style. C’est un mystère de la littérature que ce type ait du succès. Je comprends que Guillaume Musso en ait, mais pas Houellebecq, ou c’est parce qu’il est la littérature réconfortante de l’intelligentsia qui se veut transgressive (petit frisson que Musso n’a pas).
Angot, ce n’est pas ça. Rien à voir.
Je croyais l’avoir lu. Je n’en ai pas trouvé dans ma bibliothèque. Il se peut aussi que j’ai fait du ménage, ne l’appréciant pas à l’époque. Je ne suis pas sûre de l’apprécier aujourd’hui, mais je commence à comprendre sa démarche. Son écriture est une démarche, sa vie est une démarche, ses prises de paroles sont une démarche.
Toujours la même, celle de raconter, de plusieurs façons différentes, de plusieurs points de vue, sans confusion, sans émotion, avec une précision chirurgicale son histoire. Elle parle d’autofiction, jamais elle ne mélange le personnage de son livre avec elle. Même quand elle parle d’elle.
J’ai écouté le podcast de la Poudre #105, qui lui est consacré : précis voire pointilleux, presque désagréable de tensions par moment, elle ne dégage aucune empathie (je soupçonne qu’elle ne veut surtout pas qu’on ait de l’empathie pour elle). C’est une technicienne de la littérature : quand elle parle de ses romans, elle parle de comment elle les construit : une narratrice qui dit « je », ou une héroïne à la 3ème personne, des faits (juste des faits), ou des points de vue et des ressentis… elle en parle très bien. Elle s’essaie à plusieurs techniques.
L’histoire est toujours la même : celle de l’inceste de son père de 14 à 16 ans puis quand elle était adulte (un peu avant 30 ans). Chaque livre est une pièce du puzzle de cette histoire, de ce traumatisme qu’elle analyse, explore, ausculte, dissèque à chaque fois différemment, sous un angle différent, un passage précis, avec un style précis. Un peu comme une montagne où on change à la fois le parcours, le rythme, l’équipement, les compagnons de route, la météo.
Dans le podcast, on sent sa rigidité, elle ne laisse rien passer : aucun mot mal employé ou trop imprécis, aucune interprétation de son vécu, de son ressenti encore moins de ses paroles. Elle ne cherche pas à faire alliance avec la journaliste, aucune connivence, rien à aucun moment.
Elle reprend toutes les phrases de la journaliste (Lauren Bastide), et dit « non, ce n’est pas ça » à chaque tentative de la journaliste pour expliquer un contexte ou proposer une lecture d’une situation.
Cette femme se contient en permanence. Cette femme gère son intégrité seconde après seconde, la précision est une affaire de survie. C’est en gardant pour elle son histoire aussi dans la façon de la raconter, qu’elle peut continuer à exister au delà de cette histoire).
Son histoire est ce qui la constitue, nul autre ne peut en parler ou interpréter. Toutes les interprétations possibles sont dans ces livres, écrits par elle et ainsi dans une version qu’elle maitrise. La seule chose qu’elle maîtrise dans l’histoire est bien la façon de la raconter, puisqu’elle n’a pas eu de maîtrise sur l‘histoire elle-même (son père en revanche l’a eu)
La maîtrise est ce qui la maintient en vie, ce qui fait tenir son corps ensemble, ce qui contient son psychisme en cohérence. L’imprécision pourrait la faire de désintégrer, se disperser en mille morceaux autant physiquement que psychiquement. Si elle concède ne serait-ce qu’une interprétation sur son histoire, elle se perd elle-même et se dissout.
C’est une survivante (comme dit Camille Kouchner), mais une survivante en Crystal. Le jour où ça se brise c’est fatal.
C’est l’impression que m’a donné Christine Angot à l’écoute de ce podcast. Elle ne m’a pas touché émotionnellement (elle ne permet certainement pas que les gens soient émus) mais elle m’a donné de clés de lecture. Et ça déjà c’est un cadeau.
J’ai voulu relire « l’inceste », et je me suis rendu compte que je ne l’avais jamais lu. J’ai donc lu « l’inceste », son premier livre scandale. Et c’est là que j’ai compris : c’est dans l’écriture qu’elle éponge sa folie. C’est dans l’écriture qu’elle se disloque (et dans sa vie intime aussi peut-être si on en croit ce qu’elle écrit). C’est dans l’écriture qu’il y a les brisures.
Ça m’arrache d’en parler. Quand je lui en parle, ça m’arrache, heureusement que je suis sans ses bras, sinon je ne pourrais peut-être pas. Je ne devrais pas écrire ça. Je ne devrais pas lui en parler. Ce que ça va provoquer, à elle, à vous, ce sera la même chose, ce sera de la pitié, vous ne pourrez plus m’aimer, non elle, ni vous. Elle ne pourra plus m’aimer. On ne pourra plus faire l’amour. Vous ne voudrez plus me lire. Je crois que tant pis il faut que je prenne le risque. On n’aime pas les gens qui ont souffert, on les plaint, on n’aime pas les fous on les plaint. On ne veut pas vivre avec un asile de fous à côté de chez soi. C’est normal, je le comprends moi, ça. Je suis pareil. Je suis une pauvre fille, on ne tombe pas amoureux d’une pauvre fille. On n’a pas envie de faire l’amour à une pauvre fille, sauf si on est pervers. Quoi d’autre ?
Petit bonus le podcast ici
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