Dans la moisson d'avril, une pépite, renouvellement du genre (roman d'espionnage), qui en change aussi les codes et ça fait du bien! Glané chez mon libraire, un peu au hasard, "nos secrets trop bien gardés" de Lara Prescott ne doit pas rester un secret (trop facile!).
C'est un roman inspiré de l'Histoire (que je lis rarement) mais qui raconte des histoires (que j'adore) de femmes (forcement) et de littérature (ça en fait une recette magique), et cerise sur le gâteau des agents secrets femmes : des agentes secrètes (les dictionnaires ne sont pas tous d'accord avec cette féminisation de la fonction).
Des histoires de femmes qui se croisent (les histoires plus que les femmes) sur fond de guerre froide, et de la parution du grand roman de Boris Pasternak "le docteur Jivago". Je dis grand roman parce qu'il a eu le Prix Nobel de Littérature, je n'ai vu que le film il y a de cela des années, je n'en ai gardé aucun souvenir. Et après avoir lu "nos secrets trop bien gardés" j'ai une telle image de Pasternak que j'en viens à le détester.
L'histoire sous jacente est celle de la CIA qui a tenté d'introduire le roman de Pasternak en URSS alors qu'il n'y avait pas été édité et était interdit. Sa première édition est d'ailleurs traduit de l'italien, le manuscrit avait été sorti clandestinement. La CIA avait une branche "littérature et soviétisme"qui pensait que les mots avaient un pouvoir et pouvaient changer le monde. Cela en ferait presque une entreprise philanthropique, dit comme ça.
On y croise des anciennes espionnes (qui ont perdu leur job après la guerre, pas comme les hommes qui en ont été récompensés par des postes haut placés) et sont devenues dactylo en attendant (quoi, on ne sait pas bien) ; la maitresse de Boris Pastrenak (qui ne quitta jamais sa femme et qui a dormi tous les soirs chez lui après avoir diné et fait l'amour avec sa maîtresse) qui a passé des années au goulag à cause (et pour) lui ; des femmes qui s'aiment et qui perdent leur job à cause de leur homosexualité ; des vrais agentes secrètes, qui ne courent pas de toit en toit ni sautent des trains en marche, mais qui récupèrent des vrais secrets et deviennent des agents doubles. Elles sont plusieurs héroïnes, personnages plutôt, attachantes, et avec des préoccupations universelles de liberté, de responsabilité, d'épanouissement et toutes cherchent leur voie.
L'autrice a une sacré plume, et un fil narratif articulé autour des chapitres qui donnent voix à (ou juste centré sur) chaque personnage, chaque lieu a son propre style, ton et interpellation. Je suis de tout coeur avec les dactylos qui parlent un "nous" pluriel, je suis fascinée par Irina qui n'aime pas Tedd alors qu'il est adorable, et je voudrais être Sally l'agente double, j'ai envie de secouer Lara qui se meure d'amour pour son vieil écrivain... Je me reconnais dans chacune et dans toutes.
Ce livre tisse les liens de nos destins féminins.
Et ça résonne fort dans l'invisibilité faite aux femmes, dans l'Histoire, dans la création, dans la liberté qui est laissée, et de ce qui se passe quand elles ne s'y cantonnent pas. Encore aujourd'hui.
Nous tapions cent mots à la minute et ne rations jamais une syllabe. Nos bureaux, tous identiques, étaient équipés d'une machine à écrire Royal Quiet Deluxe à la coque vert menthe, d'un téléphone noir à cadran de la marque Western Electric et nous disposions toutes de blocs sténo jaunes. Nos doigts voletaient au-dessus du clavier. Le cliquetis des touches ne cessaient jamais. Nous ne nous arrêtions que pour répondre au téléphone ou tirer une taffe sur notre cigarette ; certaines parvenaient même à faire les deux sans perdre le rythme.Les hommes arrivaient vers dix heures.
Lara Prescott - Nos secrets trop bien gardés
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