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Paysage de Gabriele Munter, dans lequel j'aurai envie de courir |
L'année scolaire se termine et force est de constater que j'ai été assidue à l'entrainement.
Pas forcement aux entrainements.
J'ai couru dans le noir, dans le froid, sous la pluie. J'ai loupé peu de séances, celles que j'ai loupées étaient des cas de force majeure.
J'ai un peu triché. Pas avec l'entrainement mais avec les séances .
L'année avançant, j'y suis souvent allée à J+1 plutôt que le soir avec le club et tous les autres.
J'ai parfois couru mes tours de piste le mercredi matin au lieu du mardi soir et le vendredi matin au lieu du jeudi. J'ai mis quelques mois à m'autoriser à le faire en dehors des cas de force majeure (pluie, retards, déplacements). Je l'ai réalisé un soir où je me faisais vraiment violence à y aller, que je pouvais décider de ne pas y aller et de reporter au lendemain matin. Une bouffée d'air qui me permettait de zapper la séance collective sans culpabiliser de ne pas m'entraîner.
J'ai aussi réalisé que ce qui me coûtait certains soirs n'était pas d'aller courir mais de me retrouver dans un groupe, d'être en interaction, de parler . Ça m'arrive plus souvent le jeudi que le mardi évidemment.
Courir le matin a plein d'avantage en dehors du fait d'être seule, il fait jour (ce n'est plus vrai depuis que les jours rallongent), la lumière est claire et belle, peu de monde au stade, parfois des collégiens ou des coureurs solitaires, ça dynamise pour la suite de la journée...et je n'ai ni à parler, ni à écouter, ni à être sociable. Juste courir.
La bonne question serait : pourquoi s'inscrire dans un club si c'est pour éviter d'aller s'y entraîner?
Ce n'est pas pour avoir le plan d'entrainement, il existe des appli qui font ça.
C'est - bizarrement - pour avoir - un peu - des gens avec qui partager les tours de pistes.
Un peu.
En silence.
Parce que ça aide, je cours plus vite quand quelqu'un·e met son chrono à côté de moi.
Parce que que les gens s'encouragent "ne mollis pas sur les derniers 100m".
Parce qu'on se félicite à la fin des séries qu'elles soient de 300 de 400 ou de 1000m.
Parce que ceux qui me doublent avec leur VMA de 16 ou 18, me font de l'air dans les cheveux.
Et certains soirs, je fatigue vite des discussions des bobos de uns, des douleurs des autres, et même des performances qu'ils partagent via Strava et qu'ils commentent. Je ne suis - toujours - pas sur Strava, mais je sais deviner qui est sur Strava.
Ce fut notre jeu favori en week-end dans les Vosges, en balade, en courant autour du lac de se demander si celles et ceux qu'on croisait étaient sur Strava.
Le mec en vêtement de sport flashy : oui ; les traileurs avec leurs semelles de 10 cm : oui, le jeune couple en tenue de randonnée : oui, les jeunes en bande en survement aussi, la nana avec sa tenue de marque : aussi, celui la torse nu : oui ; celle avec son vieux short et sans montre : peu de chance.
On s'est marré à ce jeu là, évidemment on se saura jamais.
C'est le moment où j'ai appris qu'il existait des Strava Jockeys, des gens qu'on paie pour courir à sa place et qui performent sous notre nom dans Strava.
Incroyable.
Quand courir devient une valeur marchande.
Juste après être une valeur marketing de soi : ce qui est mis sur Instagram, ce qui est valorisé avec l'achat des dossards (affichés eux aussi dans Instagram). Des performances (RP : record personnel) largement partagées et documentées.
Les coureurs deviennent chiants, titre l'Equipe, dès lors qu'ils s'entrainent pour un marathon. Ils se couchent tôt, devienent intégristes sur leur alimentation, ne boivent plus une goutte d'alcool, organisent leur calendrier selon la date du marathon, sans se préoccuper de la vie autour.
Le marathon de Paris cette année comptait un tiers de néo marathoniens, des personnes qui s'engageaient pour la première fois dans un marathon. J'en connaissais un, j'ai l'impression qu'il ne l'a pas fini, il ne figure pas dans la liste des finishers. Je doute que celui-là ce soit réellement entrainé, ni le soir ni le matin uniquement dans son fantasme. Il n'est pas du genre à avoir un compte Starav, enc one moins à connaitre l'existence des Strava Jockeys.
Le "ré enchantement de soi" - décrit par the Conversation - n'est pas allé jusqu'au bout pour lui. Ni pour moi, d'ailleurs. J'ai juste l'impression d'être dans une forme physique cohérente avec mon coeur réparé, je n'ai pas besoin de devenir chiante avec un marathon je le suis déja (pas marathonienne, chiante avec mes marottes).
Courir nécessite d'accepter de donner bien plus que de recevoir,Cecile Coulon dans son carnet de course
C'est peut être pour ça alors qu'on achète des dossards chers, qu'on publie tout ça sur Instagram, qu'on prend des Strara Jockey : pour recevoir ce qu'on a donné en courant (ou pas donné avec les Jockey!).
Quand la course devient un troc.
C'est d'abord un troc avec soi même : quand on se dit qu'est ce que je fous là au départ d'un course (dont le dossard n'a pas été mis sur Instagram, quand Strava n'a pas été démarré et qu'on fait le tour du lac, juste pour le plaisir de finir le tour.)
Le plaisir de se dire, je sors faire un petit tour, puis de fil en aiguille, longer le lac (de Gerardmer en l'occurence), se dire que c'est déjà la moitié et de poursuivre plutôt que de faire demi tour, croiser d'autres coureuses (ce matin-là que des femmes, peu de Strava girls selon nos critères) et finir son tour en cinquante minutes toute guillerette. Et toute seule parce que l'iMari qui démarre toujours avec moi devient grincheux au bout de vingt minutes, veut abandonner à vingt-cinq, et arrête à trente.
Je finis toute seule.
Comme les matins reportés d'entrainement.
Et même si Cécile Coulon dit que courir est un excellent moyen de draguer quelqu'un qui fait la même pointure que vous, je ne suis pas certaine de vouloir flirter avec une autre personne qui fait du 36 (existe-il des hommes adultes qui font du 36?).
On a beau s'inscrire dans un club, s'entrainer en groupe, s'inscrire à des courses, prendre des départs à dix, cents, milles ou dans des sas, on court seul, avec soi-même et pour soi-même. Ni pour Strava ni pour les like sur Instagram.
Courir est un plaisir solitaire.
J' ai appris à trouver la repetition surprenante et la nouveauté habituelle (sic Cécile encore).
J'ai appris que tous les tours de stade sont tous les mêmes - 400 mètres, mais jamais dans le même état d'esprit.
J'ai appris à priser la sortie du stade , à apprécier les montées de marches ou les côtes à fond.
J'ai appris le plaisir à sentir mes jambes, et mes tendons raides le lendemain matin.
J'ai appris le plaisir de la course.
Comme d'autres le surf.
Je n'ai jamais surfé, mais je garde en tête ce que dit le cousin australien de mon iMari :
surfing is better than good sex
Je n'en dirai pas autant de la course. Peut-être faut il que je mette au surf?
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