@Tasses et pinceaux, à Troyes |
Des semaines ont fui. Chaque jour fut une distance nouvelle - ici, les jours devraient valoir des années.il faut repousser à l'arrière-plan de sa pensée tout ce que l'on cru savoir, et apprendre avec soin des choses auxquelles on ne croira pas.J'en ai la tête lasse. Je me sens égarée dans les détours d'un monde grouillant, un multiple monde aux indéfinissables frontières, et je ne discerne plus rien. Je suis aveuglée.En poursuivrait le rêve que je viens d'atteindre sans le saisir, je pensais avoir murmuré des syllabes qui lui donnaient sa vérité : ô Afrique noire, j'aimais l'évocation de ta puissance énorme et sombre, embrasse d'un éternel soleil et mon désir centré sur l'unicité du nom appelait un seul être qui n'aurait eu qu'un seul visage.Anita Conti - Géants des mers chaudes
Dans la vitrine d'une libraire coopérative (je ne sais pas exactement ce que c'est : qui appartient à une coopérative et pas à un seul gérant surement), il y avait toute une série de récits de voyages de la collection Petite Biblio Piot voyageurs et ô miracle quasiment autant de récits de femmes que d'hommes. La coopérative commence bien, les Editions Payot aussi.
Il y avait bien Bouvier mais pas ses plus connus et surtout il y avait Anita Conti, Isabelle Eberhart, Ella Maillart... enfin des noms de mon livre Elles ont conquis le monde, les grandes aventurières (1850-1950). Elles existaient en dehors du grand livre d'images, il y avait des écrits. Longtemps j'ai cru que c'était resté dans les carnets tels des des journaux intimes comme on dit pour les femmes qui voyagent.
Dans cette vitrine, j'avais la preuve qu'elles avaient été éditées, que ce qu'elles avaient écrits étaient digne d'être lu.
Soulagement. Au propre au figuré, puisque qu''évidemment j'en ai acheté quelques uns. J'ai été sobre. Just a couple, comme disent les anglo-saxons. Ça ne dit pas le nombre, ça dit juste que c'est strictement supérieur à un.
Anita Conti a passé sa vie en mer pour des missions de l'Etat Français sur la pêche, pour déminer pendant la guerre, pour des études océanographiques... En bateau, elle a sillonné la planète, jamais en croisière, toujours sur de porte-conteneurs, des chalutiers, des bateaux de recherche et autres radeaux plus ou moins animés.
Elle a eu une vie d'homme, celle d'un aventurier dès le début du 20è. Elle était mariée à un diplomate, il n'est pas embarqué avec elle. Il est peu mentionné dans ses biographies. C'est étonnant, pour une femme précisons-le. Quand on nous parle des grands voyageurs, il est rare que soit mentionné s'ils sont mariés, en couple... Pour Anita Conti, c'est dit et c'est tout. Je me demande quel couple ils forment à cette époque pour qu'elle puisse mener cette vie là? Quelle correspondance elle entretien avec son Marcel (je suis encore empêtrée dans les échanges Albert et Maria, tout devient correspondance!)
Elles le sont parfois (mariées), ce qui permet de se faire financer (Alexandra David-Neel), ou tout simplement rassurer l'environnement (il y a bien un homme à qui se référer au cas où. Au cas où quoi d'ailleurs?). Comme dit Isabelle, surtout pour avoir des référence et trouver un job par exemple. La moi semble l'accessoire utile de l'autonomie financière. Elles en reviennent toujours là, à cette époque.
En France, il faut être française pour vivre du journalisme et avoir (..) un amant dans les journaux. Un mari, c’est plus difficile, mais celles qui ont un mari y arrivent seules.
Isabelle Eberhart - Lettres et journaliers
Je suis donc en Afrique (moi qui ne veut pas entendre parler de ce continent - pour voyager par exemple), avec Anita. Je n'ai jamais mis les pieds en Afrique et la lecture ne le donne pas envie dy' aller, mais force est de constater à la lecture que ses récits est bien différente de Bouvier ou Tesson.
Objectif scruter le vide. Veiller le ciel. S’assurer qu’il ne se passe rien. Le noter. S’en rejouir.
Sylvain Tesson - Avec les fées
Il y a beaucoup d'humilité dans ce qu'elle raconte, je ne reçois pas une leçon sur l'Afrique, ni sur l'usage de l'Afrique. Et encore moi de son rapport au monde autocentré.
J'ai juré aussi dernièrement que je ne monterai plus dans un bateau. Je m'y ennuie et j'ai le mal de mer. La seule exception sera une traversée en ferry, aller d'un point à un autre, ne pas avoir le choix.
Avec Anita, je pars des jours entiers à bord. Je sens d'ici l'odeur du gasoil, la nausée qui monte dans la chaleur, le tangage et le roulis, la vue qui se brouille. C'est moi, ce n'est pas elle.
J'ai compris très vite, il ne faut pas embêter les marins, alors je m'applique simplement à ne jamais voir faim, jamais avoir soif, jamais avoir chaud ou froid, jamais avoir le mal de mer, jamais demander à se laver, c'est tout. Je me débrouille quoi. Anita Conti
C'est sa réponse quand on lui demande comment elle se fait embarquer si facilement. Je dois mal me débrouiller en mer. Nous ne sommes pas du même milieu.
Sacrée vie, longue vie. Elle est décédée à 98 ans. L'eau salée conserve, peut-être plus que l'air de la montagne (je dis ça pour moi).
C'est à Troyes que j'ai croisé Anita dans la vitrine de la libraire coopérative. J'ai bu un thé glacé à côté, dans un lieu où j'aurai pu passer l'après midi avec Anita justement, en sirotant thés et cafés et en grignotant des gâteaux présentés sous cloches en verre. J'y étais avec mon iMari et mon iAdo, ils ne connaissent Anita que de nom, mais la terrasse était accueillante, ce constat a fait l'unanimité.
A la rentrée, ce sera la ville d'adoption de mon iAdo, y croiser Anita et les autres exploratrices en proximité d'un endroit où boire du thé en bonne compagnie m'a semblé un bon présage pour mon iAdo.
Je suis sereine.
Il sera bien ici.
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