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Le monde (désuet) de l'attente

Raymond Depardon


Je voudrais être solitaire.

Solitaire, célibataire et nomade.

Quand je voyage, je suis un enfant.

Ne pas essayer de séduire.

 

A Paris, ils n’ont pas compris.

Raymond Depardon, Notes (1979)

 

Le carnet de Notes de Raymond Depardon ouvre une fenêtre sur un monde qui n’existe plus. Un monde où le voyage ne se vit pas sur Instagram, où il coupe de ses bases. Le voyageur dans les années 1970 (en plus en temps de guerre) est dans un autre espace-temps que ses contemporains, en France, à Paris. Il est seul face à lui-même, et c’est probablement ce qui permet la réflexion, l’introspection, le recul face à ce qui est vécu.

 

Ce matin j’avais envie de te téléphoner, et ce soir de t’envoyer un télégramme, mais les postes étaient fermées.

Raymond Depardon, Notes (1979)

 

C’est un temps ancien coupé du monde. Comment imagine-t-on aujourd’hui devoir attendre l’ouverture des Postes pour téléphoner ? Qui sait encore ce qu’est un télégramme ?

Il y a une dimension poétique et initiatique dans cette attente. Cela n’a rien à voir avec la mélancolie de l'Avant (qui n’est pas mieux qu’aujourd’hui). 

L’attente procure la rareté et rend encore plus précieuse la relation, ainsi que le temps ensemble. Sylvain Tesson parle parfaitement de l’attente dans « la panthère des neiges »

Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait, c’était que nous n’avions pas su regarder. La panthère des neiges – Sylvain Tesson

Je ne sais pas ce qui vient quand on attend en 1979 devant les Postes fermées, ça doit laisser de la place à l’intérieur de nous, pour l’autre celui/celle qu’on attend, ou de la place pour la prochaine rencontre. 

L'attente laisse dans l’ici et maintenant quand elle se couple avec la patience.

J’avais appris que la patience est une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. Elle invitait à s’assoir devant la scène, à jouir du spectacle. La patience était la révérence de l’homme à ce qui était donné. 

La panthère des neiges – Sylvain Tesson

Il y a du commun entre Raymond et Sylvain au-delà de l’attente et la patience : le présent ; un qui le vit et l’autre qui le photographie, sans savoir lequel est lequel.

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