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Quand aucune complication horlogère ne suspend le temps

Augustin Rouart - Petit Palais

Ma semaine de travail s'est terminée vendredi dans une bulle de conscience éveillée, dans un bel endroit qui invite à la flânerie, à la contemplation, tout simplement à ralentir, et à prendre soin du moment présent dans l'ici et maintenant.

J'étais au Petit Palais, avec le "gang des coach" pour un séance de supervision particulière de dialogue avec l'art. Le lieu déjà est un cocon au sein de la ville. Un espace en dehors du temps, avec son jardin intérieur, sa colonnade, ses grandes baies vitrées, son sol de tout-petits carreaux, son allée de sculptures et ses peintures. Je ne vais souvent qu'au premier étage, au milieu des peintures à droite après les sculptures. Je n'ai pas encore compris la scénographie de ce musée, mais je crois qu'il ne faut rien changer, ça ajoute à son charme, à la déambulation et à la découverte.
Et la séance de "dialogue avec l'art" ou de dialogue avec soi, est le deuxième cocon, qu'on devrait s'offrir plus souvent dans nos vies effrénées.

Petite surprise grands effets, le musée venait de recevoir une donation de tableaux de Augustin Rouart - que je ne connaissais pas - et qui m'ont fait l'effet d'une bouffée d'oxygène : telles des cartes postales de lieux aimés, des scènes de vie, je me serais crue dans un album de famille, en peinture, une époque joyeuse et douce.
Les nouvelles peintures étaient placées avec d'autres oeuvres du musée, une mise en relation, en résonance qui donnait à la pièce cet air de bonheur familial des grandes vacances (souvent fantasmé, je l'accorde, mais on a tous cette nostalgie imprimée quelque part en nous.) J'ai passé un long moment dans cette salle, pour prendre un bain d'été et de joyeuseté.

Au café, à la table à côté, un gars s'est installé avec un couple plus âgé, peut-être ses parents. Adulte, il avait le look du baroudeur, ni d'ici, ni d'ailleurs, un anglais dont je n'ai pas reconnu l'accent.

Et il avait la carte du monde tatouée à l'intérieur de l'avant-bras gauche.

J'étais fascinée. Je n'ai regardé que son avant-bras le temps de mon jus de fruit. 
J'aurais aimé passer mon doigt le long des lignes simples qui détouraient les continents, la Nouvelle Zélande sur la partie tendre du poignet, l'Asie sur les veines, l'Amérique touchant presque l'intérieur du coude. 
J'aurais aimé poser mes lèvres sur cette carte, comme si par ce simple geste j'aurais été transportée dans un autre endroit à découvrir.
J'aurais adoré le prendre en photo. C'est évident, je l'aurais moins regardé sur le moment, je n'aurais plus son image dans ma rétine si j'avais photographié l'avant bras de cet homme. 
Je me suis dit qu'un tatouage comme ça, était ce qu'il me fallait en confinement, le Monde avec moi, je peux me perdre juste sur quelques centimètres de peau tendre.

Et dans la conversation - celle de ma table pas celle de M. WorldMapTatoo - j'ai appris qu'il existe une montre (Hermès pour ne pas la citer), dotée d'une complication horlogère qui suspend le temps (le budget de cette montre n'est lui, pas suspendu)

Une complication horlogère pour le temps suspendu.
Une carte du monde sur l'avant-bras.

C'était tout ce qu'il me fallait en cette fin d'après-midi. Ma journée aurait du s'arrêter là.
Ce ne fut pas  le cas. 

Plus tard, à un rassemblement autour de saucisses au bbq et de légumes grillées, j'ai été confrontée à une complication qui a suspendu la relation. 

J'ai dit à quelqu'un qui m'abreuve depuis plusieurs années de ses discours ultra libéraux, insidieusement racistes, définitivement sécuritaires, résolument mécontents de la Justice, de l'Education, du Gouvernement, du boucher du coin, de l'école qu'elle a choisi, du prof de musique, de ses voisins...(je n'ai pas trouvé de quoi elle est/pourrait être contente) ; je lui ai dit, pour la première  fois, avec toute l'énergie amassée depuis toutes ces années que je l'écoute sans rien dire ; je lui ai dit "tu dis vraiment des grosses conneries"
Pas sur un ton doux et conciliant, mais sur le ton explicite de celle qui ne supporterait plus un mot de plus, un ton qui régurgite tout ce que je n'ai pas dit les années avant. 

Ce n'est évidemment pas ce qu'il faut faire quand on se veut civilisé. Mais rester civilisée avec l'extrême-droite rampante, c'est trop me demander.

La relation avec elle est donc suspendue. Et ce n'est pas dommage.


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