Anna Eva Bergman @MAM |
Une partie de mon métier consiste à parler aux gens d'eux. En individuel, et aussi en collectif. de leur raconter quel groupe ils sont, comment ils se comportent, quel effet ça a sur les autres et dans l'organisation. C'est un moment important pour un collectif, cet effet miroir, ça ne leur plait pas toujours, ça les bouscule souvent, cela n'est jamais neutre.
Récemment, nous faisions cette restitution devant la quarantaine de personnes que nous accompagnions, il y avait dans les faits trois groupes sociaux, dont un composé de femmes, presque exclusivement à l'exception d'une seule personne. Il s'agit d'un métier très féminin, sur la bonne dizaine que constituait ce collectif, un seul homme.
Mon collègue et moi avons fait la restitution en disant "elles" pour ce groupe-là, tout au féminin. Comme les précédent portraits nous avions dit "ils" parce que majoritairement masculins.
Et entre deux "elles", une main se lève, une femme d'une autre groupe que celui là. Un groupe où il ya une majorité d'hommes, un groupe pour lequel on fait parlé d'eux au masculin.
"excusez moi, parmi les personnes dont vous parlez il y a un homme".
La remarque m'a arrêtée net. J'ai vu défiler devant mes yeux toutes les répliques que je pouvais faire, certaines plus violentes que d'autres, aucune dans le bon ton de la présentation, dans la neutralité et le professionnalisme attendu.
J'ai respiré et finalement j'ai répondu :
"On sait. Nous utilisons la règle du plus grand nombre, un homme dans un groupe de 10 femmes, nous employons le féminin".
J'ai souris pour adoucir mon ton, mais en vrai je l'aurai volontiers cinglée voire giflée verbalement. Et nous avons poursuivi.
Comme je ne suis pas totalement une mauvaise personne, à une pause je suis allée voir l'homme du groupe en question pour m'assurer qu'il avait compris ma remarque sur l'emploi du féminin dans un groupe majoritairement féminin. Je ne me rappelle pas sa réponse dans le détail, le début de sa phrase est brumeuse dans ma mémoire mais il me reste "je veux juste me sentir inclus".
Là encore, j'ai sorti mon sourire-passe partout et je n'ai pas poursuivi. Mais si un homme ne se sent pas inclu quand on parle d'un groupe dans lequel il est, au féminin, qu'en est-il des femmes qui sont toutes sans exception dans des groupes dont on parle exclusivement au masculin?
Il n'est pas responsable de toutes les fois où le masculin est employé alors qu'il y a des femmes dans un groupe, et où ces dernières ni se sentent incluses ni ne l'expriment comme lui, parce qu'il n'y a pas l'espacé pour le dire, et que c'est in-entendable.
Ce n'est pas avec lui qui fallait que je parle de cela.
Et je me suis demandée depuis quand je me préoccupais de la susceptibilité d'un homme dans un groupe de femmes. Je ne fais pas le tour des femmes dans un groupe d'hommes savoir si ça leur va qu'on emploie le masculin et si elles se sentent incluses.
Peut être que je devrais compter les hommes et les femmes dans un groupe et appliquer cette règle du plus grand nombre, je suis certaine que les hommes du comité de direction de cette organisation où les directrices sont plus nombreuses, ne se sentiraient pas concernés si je disais "dans le codir, elles..." et ils attendraient qu'on parlent ensuite d'eux.
La langue est ainsi faite me direz-vous. La langue est une convention, les conventions se changent.
Le cerveau en revanche est binaire : c'est masculin ou féminin, si on dit "un groupe de directeurs" notre cerveau ne voient que des hommes, et inversement. Donc le masculin n'est pas représentatif de l'humanité, il n'est représentatif que des hommes, sans H majuscule. Ce qui d'ailleurs est une invention bien française qui n'a pas voulu lâcher le masculin dans la représentativité de l'espèce humaine.
Les Canadiens, comme le reste du monde parlent des droits humains, et nous des droits de l'Homme, la femme se cache derrière la majuscule. De même, pour le musée de l'Homme ...
L'habitude à prendre et de citer les deux genres dès lors qu'ils sont représentés.
Ces règles d'accord sont récentes, élitistes et dominatrices ; "le masculin l'emporte sur le féminin" va bien plus loin que nos accords d'orthographe.
Comme d'autres règles grammaticales, notamment celle de l'accord "au passé composé avec le COD si celui-ci est posé avant l'auxiliaire avoir". J'adore cette règle, j'ai bataillé avec mon ainée pour qu'elle l'apprenne et l'applique, les iAdos suivants n'en ont jamais entendu parlé à l'école. Mon iMari qui est étranger ne l'a jamais vraiment comprise. C'est une règle élitiste qui traduit tout de suite le milieu social et éducatif, qui domine à l'écrit. J'en suis consciente et vaguement honteuse, mais j'aime cette règle.
Je ne peux que recommander les 2 épisodes sur le sujet, très apprenants, démystifiant cette idée que le masculin représente les deux genres. Le masculin ne représente que le masculin, il domine et exclut le féminin. Comme à la Révolution Française on a exclu les femmes du droit d'être citoyenne et on l'a bien inscrit dans la devise : Liberté, Egalité Fraternité.
Pas humanité, ni solidarité ni adelphité.
Fraternité : un truc bien entre-mecs.
Les couilles du la table, masculin neutre écriture exclusive 1 et 2 :
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