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52 Clarendon Road, LS2

52 Clarendon Road, Leeds

Revenir, revisiter. A mon (grand) âge, forcement on se retrouve sur des sentiers déjà parcourus, on remet ses pas là où on a déjà marché, il y a longtemps.
Je suis retournée là où j'étais il y a plus de 30 ans. C'était l'occasion, une amie y avait aussi fait ses études puis y avait travaillé quelques années. On s'était dit qu'on y retournerait, en week-end, entre filles. D'une idée l'autre, nous avons embarqué nos familles à Leeds puis dans le Yorkshire pour marcher la semaine en compagnie des soeurs Bronté et de Kate Bush qui hurle Wuthering Heights.

Leeds est la porte sud du Yorkshire, à 300 kilomètres au nord de Londres. Elle n'a rien de touristique, ni de remarquable. Je ne suis pas certaine que la ville mérite une entrée dans les guides de voyages. Mais c'est là où j'ai habité pendant l'année scolaire 1991/92, au siècle dernier comme diraient mes iAdo.

Down memory lane dans les rues de Leeds. 

La maison où j'ai habité, ma chambre au premier étage dans ce quartier résidentiel de briques rouges. L'air est le même, l'ambiance aussi, calme, résidentielle et étudiante à la fois. La maison n'a pas bougé, elle fait toujours l'angle, il n'y a plus les poubelles au coin, il ya désormais une rampe d'accès handicapé. Le jardin est mieux entretenu, il devient envisageable d'y mettre une couverture pour un pique nique. 

J'aime la rue qui monte, la boite rouge Royal Mail, le soleil qui tape sur ma fenêtre qui ce matin là est entrouverte, j'aperçois quelqu'un qui passe devant. Je n'irai pas taper à la porte et demander à parcourir les lieux. Je ne veux pas voir la cuisine refaite, ou la salle de bains qui aurait perdu son immense baignoire au profit d'un douche fonctionnelle. Je ne veux pas voir la disparition de la moquette rouge épaisse dans les escaliers. Je ne veux pas voir la disparition de ce qui n'est plus. Je veux voir la maison et m'imaginer y rentrer, comme il y a trente ans. parce qu'alors que je peux encore encore avoir 20 ans dans cet endroit.

Puis le trajet jusqu'à la fac. Je sais le suivre sans regarder le plan, je reconnais les noms des rues que je croise alors que je n'y ai pas pensé depuis des années.  Je retrouve le parc et sa statue à l'angle, de nouveau maquillée et déguisée par les étudiants. Les années passent, les grimages restent, les accessoires aussi : un cône de travaux une écharpe rayée ou un chapeau plus ou moins ridicule. Hyde Park, traversé mille fois, dans plusieurs sens de la maison vers chez mes copines de l'autre côté, vers le cinema à l'angle , vers la fac quand j'avais le temps, vers les jours chauds de printemps (cela a t-il vraiment existé les jours chauds?). 

Hyde Park et son exhibitionniste. J'ai oublié la scène, les détails. Je me rappelle en revanche que ça m'avait mise en colère. C'était un dimanche après midi, vers 15h il faisait presque nuit c'était en hiver et j'allais un cinéma. Le gars s'est cru malin et a ouvert son manteau pour me montrer son sexe. C'est là où ma mémoire me joue des tours, un manteau? Un imperméable? Ou est-ce la représentation commune et stéréotypée de ces scènes? Aujourd'hui je me pose des questions très pratiques sur cette scène : est-il nu sous son manteau? Son pantalon est-il roulé sur ces chevilles? Comment était son sexe? Est-ce un jeune un vieux? Quel âge avait il ?

Je me rappelle avoir rigolé, puis m'être énervée et lui avoir crié dessus en français pour une histoire de débit de paroles et d'insultes alors plus spontanées. Puis j'ai continué. Pas un instant, je n'ai eu peur. 

Evidemment, trente ans après, il n'est plus là. En plein jour et habillé, je ne l'aurai de toute façon jamais reconnu. Ce n'était pas un habitué, il n'y avait pas d'histoires glauques dans le quartier. je l'ai croisé une fois, et je l'ai oublié. Je n'y a plus pensé depuis ... trente ans peut être. Jusquà ce que je retourne dans le parc l'autre jour.

Le quartier autour du parc a changé, comme beaucoup d'endroits il s'est gentrifié. Je doute que la maison dans Moorland Road où habitaient mes copines soient encore une colocation d'étudiants. En continuant après le parc, en descendant, on se retrouve dans des quartiers plus populaires, les Terraces se font plus denses, les voitures plus petites et en moins bon état. Il y a une mosquée flambant neuve plus loin. Je ne retrouve pas le cinema d'instinct. Ma mémoire me fait défaut, je revois sa façade, ses fauteuils, l'entrée, mais je le situe à l'angle du parc, alors qu'il est bien à un angle mais quelques rues plus bas me dit google map.

Le campus est propret, la Union est désormais grande et claire, un immense espace de coworking. Fini le sombre shop pour acheter nos cahiers et nos classeurs. Qui a encore besoin de cahiers d'ailleurs?

En flânant sur le campus, je revis ces années d'insouciance, de liberté qu'on a à 20 ans, qu'on est une parmi d'autre, une anonyme parmi d'autre, une rousse comme beaucoup d'autres.

Du centre ville je ne me rappelle peu de choses. Et de la région, quelques noms et quelques images, aucun lieu que je n'aurai su placer sur une carte. C'est une époque où je me suis laissée porter. 

Par ma solitude, par les quelqu'uns qui m'entouraient et qui me proposaient des sorties. j'ai aimé flaner, trainer, me perdre (jamais trop loin) et me retrouver (en faisant demi tour souvent). j'ai aimé monter dans les voitures des copains pour des virées dans la campagne le week-end, pour des longues marches dans le froid et l'humide, sans s'arrêter au pub ou au café parce qu'on n'était pas riche. 

J'étais une suiveuse. J'aimais surtout ma compagnie je crois. Je ne cherchais pas nécessairement à faire des choses avec des gens. Une part de moi était timide et timorée, être déjà là était certainement un exploit , je n'allais pas en plus être conquérante. 

Et pourtant je ne me suis pas ennuyée : j'ai été invitée à une Wine and Cheese party et je suis arrivée avec du cidre ; je suis allée en Ecosse, j'ai dormi sur le canapé de quelqu'un que je ne connaissais pas, j'ai mangé le Hagis cuisiné par sa grand-mère après avoir dansé au son de la cornemuse ; j'ai écouté des contes dans un pub j'ai ri aux éclats sans jamais avoir compris le mot principal que j'ai cherché dans mon dictionnaire en rentrant (internet n'existait pas !) ; j'ai entendu Mary Black pour la première fois dans un pb en bas de chez moi qui - je crois - s'appelait the Swann (mais bon, la mémoire) ; j'ai mangé (presque tous les week-ends) une pizza hawaiienne (avec de l'ananas dessus) de chez Morissons (le supermarché le moins cher) ; mon lait était livré de la ferme 3 fois par semaine, la milkwoman passait le vendredi soir pour se faire payer et me disait " Ta lof" (tanks love dans la langue parlée du Yorkshire) ; j'écoutais la BBC et the black session où John Barry jouait solo, en fumant sur le rebord de ma fenêtre : j'étais transporté de joie quand je recevais du courrier et même une fois j'ai reçu une cassette audio avec l'album Osez Joséphine de Bashung (il se reconnaitra ; merci!) ; je suis allée camper dans les higlands en plein mois d'avril avec des gens pas très sympathiques, mais le Loch Ness le valait bien ; j'ai acheté Wuthering Heights dans un second hand book shop et je l'ai lu, cet exemplaire, je l'ai encore ; après plusieurs mois à la regarder sous toutes ses coutures, j'ai investi (à l'époque 7£50 était un investissement) dans une cassette des Cowboys Junkies que j'ai usé jusqu'à la corde ; j'ai découvert Calvin and Hobbes et j'ai pu en acheter quelques uns cette année là, collection que j'ai complétée ensuite avec mon premier salaire...

Ce fut ce qui ressemblait le plus à une chambre à soir, un lieu à soir selon Virginia Wolf. Un lieu et un espace rien qu'à moi, j'y étais inconnue,  je n'avais d'attentes de personne, de comptes à rendre à personne pas de liens, pas d'engagement, pas d'obligations. Un moment de grande liberté. 

Leeds was my room of my own. Et c'est ce qui en fait un lieu special pour moi, un lieu d'émancipation, presque plus intérieure que d'autonomie. J'étais déjà partie depuis quelques années de la maison quand je me suis retrouvée en Angleterre, autonome je l'étais, et boursière aussi. Emancipation s'est aussi s'affranchir de ce qu'on pense qui est attendu de nous. 

La mug Tea que j'ai acheté en arrivant à Leeds s'est cassé en début d'année ; mon iMari a recollé la anse une première fois, quand elle a de nouveau lâché il y avait trop de morceaux pour la réparer une nouvelle fois. Leeds a disparu de ma vie quotidienne avec cette mug. Ce qu'il en reste est ce que je suis aujourd'hui.


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