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Trois façons d'occuper sa place dans le monde - lectures d'août

Le hasard des lectures d’août, trois à la suite, se penchent sur d’autres relations pour faire « société », et encore, je ne suis pas certaine que « société » soit le mot juste.
Trois façons d’appréhender le monde et d’y prendre sa place. De rentrer en relation avec les autres et avec ce qui fait société.
 
Joanna Pocock explore, plus que cherche, dans son livre Abandon en français (qui n’est ni un roman, ni un essai, mais cet entre-deux non fiction des anglo-saxons), les paradoxes de l’ouest américain, la façon de vivre, à défaut de se réconcilier avec la nature, avec la Terre plus exactement. Elle y rencontre des « rewilders », à l’initiative d’un mouvement de ré-ensauvagement, certains très radicaux, d’autres plus à la charnière dans un rôle de passeur, de sensibilisation et d’éducation. Elle va dans des mouvements de chasseurs de loups et de l’autre côté ceux qui les observent et les protègent. Elle suit les communautés des Buffalo Field Campaign (ceux qui protègent les bisons de Yellowstone en particulier), des Buffalo Bridge (ceux qui ne chassent pas mais qui savent découper un bison et surtout tout transformer : peau, os, graisse, viande) et ceux qui chassent quelles qu’en soient les raisons : des natives qui perpétuent des traditions, des urbains qui se prennent pour des chasseurs…
 
Je ne m’étais moi-même jamais vu comme une proie. C’est là que quelque chose a basculé en moi. Ma relation avec la Terre venait de prendre une toute nouvelle trajectoire à la suite de la remarque anodine d’un parfait inconnu (…)
 
Tous les paradoxes sont permis, détaillés, analysés, sans jamais être jugés. C’est admirable.
Elle va même à un stage d’un mouvement nommé Ecosex Convergence, où la sexualité est ramenée à l’amour de la Terre. Un extrait de ce passage est lisible sur ce site.
 
Son attirance pour le mythe de l’ouest américain, magnifiée par des livres comme My beautiful Darling, Sauvage (Jamey Bradbury), Indian Creek (Pete Fromm), Dans la foret (Jean Hegland), ne fait pas d’elle une fanatique, au contraire, plutôt une chercheuse, ni ne donne de réponse ou solution, il s'agit plutôt des clés de compréhension ou d’options de voies pour vivre sans devenir totalement schizophrénique.
Elle (Joan Didion) ajoute que pour pouvoir poursuivre son travail, il a fallu « accepter le désordre ». Peut-êre que ces mots apportent une réponse à l’énigme : comment vivre sur une planète qu’on sait mourante ? Peut-être qu’aller de l’avant c’est ne pas s’enliser dans le désespoir. C’est simplement accepter le désordre. Oublier l’ordre que nous sommes programmés à trouver dans la nature : plonger dans le chaos
 
Joanna Pocock rencontre au cours de sa quête un personnage fascinant Finisia Medrano. Une femme qui a vécu de façon nomade et quasiment en autosuffisance pendant 35 ans sur ce qu’elle appelle l’anneau : un circuit dans l’ouest américain qui couvre plusieurs états (Washington, Californie Wyoming, Montana, Indiana.. ). Sur l’anneau, elle replante des espèces vulnérables tout du long, ne prend jamais plus que ce qu’elle donne, vit de cueillette, peut-être un peu de chasse, se déplace avec des chevaux. Cette femme a fait sa transition dans les années 70, à l’époque où se faire opérer pour une ré-attribution de genre n’était certainement pas facile, a vécu dans une grotte sur les plages de Californie de LSD et de sexe (quand elle était encore un homme) et de ce qu’on lui donnait. Elle a été mariée à quelqu’un de 45 ans plus âgé qu’elle, c’est son mari qui a payé sa chirurgie de ré-attribution de sexe. Une histoire de vie rocambolesque dont plus de la moitié seule ou presque, nomade, dans les bois. Elle est décédée l’année dernière au printemps.
La suite de cette vie nomade a été reprise par Michael Ridge, depuis 8 ans, il semble ne pas être seul mais accompagné, et semble moins radical que Finisia : ils ont un site, et des chroniques en podcast disponibles sur Spotify.
Le livre de Joanna Pocock n’est pas un grand livre, et ne sera probablement jamais un best-seller, il nous reste un goût d’insatisfaction quand on le referme, d’unfinished business. Inabouti, pas qu’on ait besoin de solution, mais de son analyse, de son point de vue, de ce qu’elle en retire, de ce qu’elle a intégré de sa quête ou même de comment elle va la poursuivre. Certes elle retourne vivre à Londres (elle le dit la sécurité de sa retraite et du système de soin sont devenus des choses dont elle ne sait plus se passer), mais j’aurai aimé savoir comment elle va continuer.
 



Encabanée de Gabrielle Filteau Chiba est carrément plus radical. Une jeune québécoise abandonne sa vie urbaine, achète une cabane et des terres dans la région du Kamouraska et y passe l’hiver. J’ai lu beaucoup mieux sur ces expériences de recul, d’isolement, d’ermitage : Sylvain Tesson avec sa forêt de Sibérie et son amour de la vodka (on sait ensuite où ça l’a mené), Pete Fromm avec Indian Creek puis ce qu’il a refait des années après avec ses fils .
Elle partage avec le premier l’addiction (les joints de cannabis pour elle), avec le second les rudes tâches de survie dans le froid et les visites impromptues. Le style avec aucun. C’est de cette expérience qu’elle tire ce roman, qui deviendra une trilogie, je le découvre en faisant des recherches sur cette femme. Une émission de janvier (2021) lui est consacrée par France Culture, il est désormais sur ma liste de podcasts.
Ce qui est intéressant, c’est l’abandon de la vie pour laquelle elle a été élevée, elle a étudié, elle a été formatée. Contrairement à Joanna Pocock qui reste dans la société et cherche des passerelles, des liens, des façons d’exister, une voie vers (comme dirait ma prof de yoga quand on doit installer une posture un peu difficile « respirez et trouvez votre voie vers la posture ») Gabrielle Filteau Chiba prend la tangente, et ne raconte pas son expérience à elle, elle en fait un roman (très court), d’où l’irruption du « terroriste environnemental ». L’expression est de moi, ça doit bien exister, pour nommer les gens qui font des actes violents au nom de l’environnement (comme tuer d’autres gens), ou on appelle ça le militantisme ?
 
Enfin, « où je suis » de Jhumpa Lahiri, où le choix de la narratrice est clairement celui de la solitude. De vivre dans la société avec un métier à l’université, des amis, mais seule, sans mari, sans enfants, sans trop d’attache. De faire des tentatives de socialisation sans insister pour encore et toujours démontrer que finalement elle est mieux en solitaire.

Je comprends parfaitement la tentation de la solitude moi qui est un iMari, trois iAdos, des clients qui deviennent des proches, et qui finalement ai peu de temps seule. J’en chéris chaque instant. 
Récemment en croisant à Athènes une femme un peu plus âgée que moi qui voyageait seule, je me suis demandée si je le ferai. 
Mon iMari n’a eu aucun doute « oui, toi, ça t’irait ».

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